Europe. « Vous n’emmerdez pas vos amis milliardaires », « dans 3 mois, vous rejoindrez Blanquer à Ibiza », Emmanuel Macron a pu goûter à l’insoumission au Parlement européen. Dès midi ce mercredi 19 janvier 2022, les eurodéputés insoumis Manon Aubry et Manuel Bompard avait donné le ton de la journée, dans deux discours taclant le chef d’État qui ont enflammés les réseaux sociaux. Dans la soirée, devant plus de 2 500 personnes, Jean-Luc Mélenchon, trois jours après son joli coup réalisé à Nantes, a effectué une nouvelle démonstration de la force de la dynamique de l’Union populaire. Yannick Jadot, en meeting lui aussi à Strasbourg hier soir, devant moins de 300 personnes, a souffert de la comparaison. Donné à nouveau aux portes du second tour, Jean-Luc Mélenchon a tenu un discours de prétendant à la victoire. Le leader des insoumis avait sorti hier soir à Strasbourg son costume de tribun du peuple, celui des dernières semaines de la campagne de 2017. L’espoir est plus que jamais permis à gauche. Notre article.
Europe : quand Emmanuel Macron défend un logiciel dépassé, taillé en pièce par 2 ans de crise sanitaire
Ce mercredi 19 janvier 2022, Strasbourg s’est transformé en arène. Deux visions de l’Europe s’y sont entrechoquées. Sur les coups de 11h30, Emmanuel Macron, à l’occasion de sa prise de Présidence de l’Union européenne, a défendu, devant un Parlement européen loin d’être acquis à sa cause, sa vision néolibérale, celle de la mise de l’État au service du marché, mais aussi et peut-être surtout son bilan.
Problème, ces deux années de crise sanitaire ont été révélatrices de l’état de l’Union Européenne actuelle. Celle de la concurrence « libre et non faussée » au sommet de la hiérarchie des normes, organisant la compétition féroce entre les travailleurs européens. Celle d’une économie de marché à bout de souffle. Masques, tests, oxygène, vaccins, hôpital public, la pandémie que nous subissons depuis maintenant 2 ans a une nouvelle fois démontré la folie, l’extrême dangerosité et les conséquences sanglantes du néolibéralisme dévastateur imposé par la Commission européenne aux États européens.
Emmanuel Macron : Docteur Jekyll en Europe, Mister Hyde en France
Emmanuel Macron aura bien essayé de se poser en défenseur de la paix et de l’intérêt général. Problème, la guerre sociale féroce que mène dans son pays le chef d’État français depuis 4 ans. En campagne, Emmanuel Macron aura tenté de se réaffirmer « champion de la terre », déclarant notamment « nous devons passer de l’intention aux actes sur l’environnement ». Problème, les deux condamnations de son gouvernement pour inaction climatique. Docteur Jekyll, Myster Hyde.
Un double visage que n’ont pas manqué de tancer les eurodéputés insoumis. « Vous n’emmerdez pas les milliardaires », dans un discours magistral, Manon Aubry a souligné toute la contradiction et l’hypocrisie du discours d’Emmanuel Macron. Quelques minutes plus tard, Manuel Bompard, le directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon, a lui aussi démoli le « pipeau » du chef de l’État, l’invitant à rejoindre son ministre de l’Éducation à Ibiza.
L’arène strasbourgeoise s’est doublé d’une intense bataille sur les réseaux sociaux. Remportée sans contestation possible par les insoumis. Alors que les macronistes avaient lancé leur hashtag dans la matinée, #PourMoiLEurope, les insoumis ont lancé peu après le discours d’Emmanuel Macron le leur : #MacronMenteur. Verdict : la macronie éjectée des tendances France, #MacronMenteur sur le podium. Les discours des eurodéputés insoumis Manon Aubry et de Manuel Bompard enflammant les réseaux sociaux.
Europe : 2 500 personnes pour le meeting des insoumis à Strasbourg
Palais de la musique et des congrès, 20 heures. Alors que Jean-Luc Mélenchon doit commencer son meeting de Strasbourg, une foule se masse dans le hall. La salle principale, de 1 200 places, est pleine à craquer. La deuxième salle, de 600 places, déborde. Dans le hall, des centaines de déçus sont refoulés. C’est alors que le favori de la gauche pour 2022 apparaît. Jean-Luc Mélenchon s’adresse à la foule, et lui formule un message d’espoir. Le leader des insoumis va ensuite s’adresser à la seconde salle, et, prouesse technique, son image apparait sur un immense écran dans la salle principale sous les clameurs des spectateurs.
Quelques minutes plus tôt, les chanceux de la salle principale avaient pu vibrer face à ce même écran géant devant un clip retraçant l’insoumission durant ce quinquennat, des clameurs s’élevant de la salle à l’apparition de gilets jaunes, de militants pour le climats, de syndicaliste en lutte ou d’élus insoumis en manifestations. Les eurodéputés insoumis Manon Aubry et Younous Omarjee avaient ensuite lancé les hostilités.
Manon Aubry et Younous Omarjee, figures de l’insoumission au Parlement européen, plantent les premières banderilles contre l’Europe de l’austérité
« Nous faisons campagne sur un programme. C’est un peu old-school« . Première punchline de la soirée, signée Manon Aubry. La cheffe de file des insoumis au Parlement européen, chez elle à Strasbourg, visiblement en grande forme après son tacle à Macron, d’embrayer : « Est-ce que vous voulez lutter contre les paradis fiscaux européens ? Est-ce que vous voulez garantir l’égalité des travailleurs européens ? Dommage, tout ça s’oppose au droit européen ». La « Madame Europe » des insoumis, d’affirmer la ligne européenne de LFI : « l’opt-out », la désobéissance aux traités européens empêchant de mener la rupture écologique et sociale.
Younous Omarjee, autre figure européenne insoumise, monte sur scène. L’homme qui a obtenu la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité au Parlement européen prend la parole : « Notre projet est aux antipodes de tous les projets nationalistes qui menacent aujourd’hui le continent européen. Nous savons la solidarité des peuples en lutte contre l’austérité. Nous savons les effets dévastateurs des politiques ordo-libérales sur les peuples ! Cette Europe des critères absurdes de la dette et du déficit, nous n’en voulons pas ! ». Le message a le mérite d’être clair.
Europe : Jean-Luc Mélenchon s’attaque à la racine du problème, l’économie de marché et la soif de profit infini du capital
Puis, vient le tour de Jean-Luc Mélenchon. Aux antipodes du discours d’Emmanuel Macron prononcé plus tôt dans la ville, le favori de la gauche pour 2022 attaque d’emblée l’Europe de la compétition et de la concurrence entre les peuples : « C’est l’économie de marché qui crée le chaos, le désordre. Faites confiance à la volonté collective et à l’entraide puisque l’économie de marché est incapable de se corriger car, même en pleine crise, elle continue à générer du profit ».
Trois jours plus tôt à Nantes, déjà, Jean-Luc Mélenchon avait pointé dès son arrivée sur scène la racine du problème : le capitalisme est incapable de se corriger. Pourquoi ? Car son essence même, l’accumulation du capital, est et sera toujours incompatible avec l’intérêt général du plus grand nombre, la bifurcation écologique, le partage des richesses et le sauvetage de nos services publics en train d’exploser. Pourquoi ? Car l’ensemble de ce modèle économique est tourné vers la rentabilité. Le monde pouvant s’écrouler, une météorite menaçant l’humanité d’extinction comme dans Don’t Look Up, que le capital serait toujours préoccupé par une seule chose : sa soif de profit.
Mélenchon avertit : « les gens ne vont pas se laisser dépouiller comme ça, les gilets jaunes ne sont pas si loin »
Le candidat de l’Union populaire a profité de la tribune pour mettre en avant un nouveau rapport choc, celui de l’ONG d’Oxfam. Le casse du siècle : 5 milliardaires possèdent autant de richesses que 40% des Français. Ces profiteurs de crise, ils ont un nom, ils ont une adresse. Bernard Arnault (LVMH), Françoise-Meyers Bettencourt (L’Oréal), François Pinault (Kering), des frères Alain et Gérard Wertheimer (Chanel), ont doublé leur fortune depuis le début de la crise sanitaire, augmentant de 173 milliards d’euros leur pactole, excusez du peu. Avec les 236 milliards supplémentaires engrangés en 19 mois par nos chers milliardaires français, on pourrait… quadrupler le budget de l’Hôpital public. Ou distribuer un chèque de 3500 euros à chaque Français.
Mais le favori de la gauche a averti : « Les gens ne vont pas se laisser dépouiller comme ça. L’épisode des gilets jaunes n’est pas si loin et il est possible à tout moment que le peuple français retrouve le goût de la révolte et du refus de la résignation ». Jean-Luc Mélenchon a notamment lancé un appel à la jeunesse, alors qu’il est en tête des intentions de vote chez les 18/34 ans. Il rappelé sa proposition d’un héritage maximum de 12 millions d’euros, et sa proposition de redistribuer tout le reste aux non-héritiers, pour leur donner plus de chance de réussir leurs études sans travailler, face à la terrible reproduction sociale actuelle du système scolaire.
L’écologie populaire de Mélenchon VS l’écologie libérale de Jadot ? Strasbourg a choisi
Deux salles, deux ambiances. Au même moment, Yannick Jadot tenait un meeting lui aussi à Strabourg. Loin, très loin de l’ambiance du Palais de la musique et des congrès : moins de 300 personnes rassemblés sur des cartons, des petites dizaines de personnes sur le direct, miskine. Loin des atermoiements du candidat « écologiste » sur le nucléaire, ou de ses revirements sur le libre échange ou le capitalisme, Jean-Luc Mélenchon a réaffirmé la ligne de rupture qui est celle des insoumis.
« Nous avons près de 20% des réacteurs qui sont à l’arrêt en France. Je suis contre le rallongement de la durée de vies des centrales. Depuis Tchernobyl, Fukushima, on sait que même s’il n’existe qu’1% de risque, s’il se met en mouvement, c’est 100% de dégâts ». Pointant le coût faramineux du projet des 6 nouveaux EPR dont rêve Emmanuel Macron, celui qui s’est récemment déplacé voir la première éolienne flottante de France, à 20km au large du Croizic, a développé sa vision de l’écologie populaire.
« Nous sommes entrés ici par la grande porte de l’Histoire, celle qui se bat pour les droits des travailleurs » : Jean-Luc Mélenchon salue les victoires des insoumis
Séquence très forte en émotions, Jean-Luc Mélenchon a ensuite pu saluer les combats et les victoires arrachées par les insoumis. Revenant sur la niche parlementaire du groupe LFI à l’Assemblée nationale, le tribun a souligné l’importance de la victoire de Clémentine Autain pour la reconnaissance de l’endométriose, cette maladie qui touche des millions de femmes dans le pays. ìl aussi salué celle de Bastien Lachaud pour la réhabilitation des fusillés de la première guerre mondiale.
« Nous sommes entrés ici par la grande porte de l’Histoire, celle qui se bat pour les droits des travailleurs. Leïla Chaibi mène le combat contre l’ubérisation des travailleurs, elle rentre par la grande porte dans l’Histoire que nous incarnons ». Les frissons et les larmes coulent à l’intérieur dans l’équipe de l’insoumission. Jean-Luc Mélenchon fait référence au combat magnifique contre l’ubérisation pour l’ensemble du monde du travail que mène Leïla Chaibi, si peu médiatisé (retrouvez notre entretien sur le sujet ici).
Jean-Luc Mélenchon continua de développer le modèle économique qu’il mettra en place s’il est élu en avril, dans le sens inverse de l’ubérisation du monde. « En France une règle : nous n’appliquerons rien qui soit inférieur au droit social des Français (…). Les directives de la Commission européenne repoussent sans arrêt l’âge de départ à la retraite. Dans les conquêtes sociales, il a fallu tout arracher. Rien ne nous a été donné. Nous ferons la retraite à 60 ans à taux plein quand madame Pécresse propose de revenir à ce qu’était la retraite en 1910 ». Et le leader insoumis de poursuivre en villipendant les accords de libre-échange « qui ruinent l’économie des pays dont viennent ensuite des personnes qui migrent ». Un contre-discours à celui prononcé par Emmanuel Macron quelques heures plus tôt.
Europe : la démonstration de force de l’Union populaire à Strasbourg
Enfin, après avoir insisté sur l’absurdité du racisme et de la peur de l’autre face à l’immense défi du dérèglement climatique qui se pose à l’humanité toute entière, le favori de la gauche pour 2022 a rappelé l’importance vitale pour notre démocratie à bout de souffle, à l’heure où la majorité du peuple reste chez lui les jours d’élection, de la mise en place du référendum d’initiative citoyenne (RIC) pour proposer ou abroger une loi, mais aussi pour pouvoir révoquer un élu en cours de mandat.
En conclusion, Jean-Luc Mélenchon a choisi de faire sien les mots d’Aristide Briand : « La France ne se diminue pas quand, libre de toute visée impérialiste et ne servant que des idées de progrès et d’humanité, elle se dresse et à la face du monde elle dit : « Je vous déclare la paix ».
Un discours de prétendant crédible à la victoire : un discours présidentiable. Jean-Luc Mélenchon avait enfilé ce mercredi 19 janvier à Strasbourg son costume de tribun, de l’instituteur républicain qui élève la conscience de son auditoire. Le candidat de l’Union populaire est aux portes du second tour. Les renforts affluent chez les insoumis. Leur programme est plébiscité dans le pays. Tous les voyants sont au vert. L’espoir est plus que jamais permis pour la gauche en avril.
Par Pierre Joigneaux.