Hôpital. Disparue après s’être rendue aux urgences d’Aix-en-Provence le vendredi 23 février, Joëlle, 85 ans, a été retrouvée morte deux jours plus tard dans un conteneur à ordures du centre hospitalier. Sa fille a porté plainte et une enquête a été ouverte par le parquet.
« Je voudrais qu’ils se rendent compte qu’il y a des gens qui meurent quand on ne s’en occupe pas » déclarait il y a quelques semaines la mère de Lucas, 25 ans, décédé lui aussi aux urgences faute de prise en charge et après avoir attendu plus de 8 heures à l’hôpital d’Hyères. Comme Joëlle, Lucas et Josiane, ils sont de plus en plus nombreux à mourir à l’hôpital, tués par l’inaction politique et malgré les alertes répétées, sans cesse, des soignants qui décrivent un « enfer ». Une information qui a des allures de déjà-vu.
Ce ne sont pas des cas isolés. Ils sont des dizaines et des dizaines à mourir sur un brancard, dans un couloir isolé, ou dans un conteneur en sous-sol. On compte près de 150 décès en un mois « faute de soins » aux urgences dans notre pays. Le chiffre provient du syndicat Samu-Urgence France. Même le magazine L’Express, souvent prompt à relativiser les chiffres et les constats des syndicats, confirme « malheureusement » ce chiffre. Il date de décembre 2022. Les données de 2023 partiellement disponibles le confirment. « La vérité, c’est que quand il y a des morts, on ne fait pas remonter », confesse des soignants esseulés. Tel est le résultat d’un système de santé sabordé par six ans de néolibéralisme, incarné par la suppression de 21 000 lits d’hôpitaux en cinq ans. Notre article.
Dans la 7ème puissance économique du monde, on meurt à l’Hôpital
Le 15 février, nous vous racontions comment une femme 66 ans perdit la vie après avoir attendu 10 heures sans être prise en charge médicalement. Le tout, aux urgences de l’hôpital d’Eaubonne dans le Val-d’Oise. « Aucun soin, aucune prise de tension n’a été faite jusqu’à 4 heures du matin », racontait sa fille Nelly. Malgré, également, « des cloques d’eau sur les pieds », le personnel soignant, débordé, lui assurait que sa mère « n’avait pas de signe de gravité » lorsqu’elle est arrivée à l’Hôpital. À 11 heures 40, près de 12 heures après son arrivée aux urgences, la nouvelle tomba comme un coup de tonnerre à sa fille : Josianne Destruels n’est plus de ce monde.
Pour aller plus loin : Hôpital : elle meurt après 10 heures d’attente aux urgences, ses enfants portent plainte
De même, dans la nuit du 30 septembre au 1ᵉʳ octobre 2023, Lucas Mannina décéda aux urgences de l’hôpital d’Hyères, dans le Var. La raison ? Avoir passé 7 heures dans un brancard, livré à lui-même et souffrant d’une septicémie. Le 12 décembre, cinq membres de la famille de Lucas déposaient plainte auprès du tribunal judiciaire de Toulon pour « homicide involontaire » contre l’hôpital d’Hyères, son directeur Yann Le Bras. Également contre toute personne ayant « par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité », causé involontairement la mort du jeune homme. Le Parquet de Toulon a déjà ouvert une enquête préliminaire.
La vaste grève dans les urgences de notre pays en 2019 est partie du décès de Micheline Myrtil, 55 ans, oubliée sur un brancard à l’hôpital Lariboisière fin 2018. Cela a valu à l’APHP (Assistance Publique – Hôpitaux de Paris) d’être mise en examen pour « homicide involontaire ». Début 2023, le Parquet de Paris a demandé à ce qu’un procès se tienne, considérant qu’il y avait eu une « une succession de dysfonctionnements ». Arrivée à l’Hôpital en fin d’après-midi, Micheline Myrtil s’est retrouvée « sans surveillance » entre 1 heure et 6 heures du matin, heure à laquelle elle a été retrouvée morte. Elle n’a jamais pu voir de médecin.
Un triste autre exemple, datant d’octobre. Achata Yahaya, 79 ans, est morte dans la zone d’attente couchée des urgences de l’Hôpital de Jossigny (Seine-et-Marne). Elle ne parlait pas français, mais était accompagnée de sa fille, qui le parlait. Elle est morte d’une détresse respiratoire, jugée pourtant « prioritaire ». Près de deux heures plus tard, sans pris en charge, il était trop tard.
« Ces morts inattendues, il y en a toujours eu. Mais là, il y en a beaucoup trop »
En décembre 2022, le syndicat Samu Urgences de France demandait à ses adhérents de dénombrer les « morts inattendues » dans leurs services. C’est-à-dire les personnes qui n’ont « pas été identifiées comme étant en urgence vitale, qui sont souvent sur des brancards, dans des couloirs, depuis des heures, et qui décèdent. Ou encore tous ceux qui n’ont pas pu être sauvés parce que le Smur (le véhicule d’urgence des urgentistes) n’est pas arrivé assez vite. Ces morts inattendues, il y en a toujours eu. Mais là, il y en a beaucoup trop. C’était trop dur pour les équipes », a expliqué le président du syndicat, qui rapidement fait cesser ce recensement (Mediapart).
L’Hôpital se meurt. Le dire a des allures de déjà vu. La situation est connue, mais continue de se dégrader chaque jour. Le néolibéralisme, système économique mortel, fracasse l’Hôpital, ainsi que tous les autres services publics qui faisaient la fierté de la France. Aujourd’hui, la Santé publique est en lambeaux. Réduction des effectifs, cadences intenables pour le personnel soignant, maigres salaires, réduction du nombre de lits… L’agonie de l’Hôpital public est le résultat d’une politique néolibérale de réduction des coûts, mise en œuvre pour faire autant, voire plus, avec moins. De l’argent, il y en a dans les poches des milliardaires qui se gavent. Un argent qui permettrait de reconstruire un service public de Santé digne de ce nom. Qu’est-ce que l’on attend pour les taxer ?