Daaaaaalí

Daaaaaalí, par Quentin Dupieux : un drôle de non-biopic

L’Insoumission.fr publie un nouvel article de sa rubrique « Nos murs ont des oreilles – Arts et mouvement des idées ». Son but est de porter attention à la place de l’imaginaire et de son influence en politique, avec l’idée que se relier aux artistes et aux intellectuels est un atout pour penser le présent et regarder le futur.

Pour ce nouvel article, l’Insoumission vous parle de « Daaaaaali », le récit de la non-interview de Salvador Dali par une journaliste débutante. Cela donne un film dans le film. Les débuts s’éternisent. Le milieu s’embrouille. La fin se répète. Mais on ne s’ennuie pas une seconde et on rit beaucoup. Quentin Dupieux est un serial-filmer. Un artisan bricoleur à budget confortable. Hyperproductif. Quatre films ces deux dernières années. Une idée de départ originale et drôle. Et puis souvent, ça s’essouffle. Ça ralentit. Ça s’épuise. Pour ne pas vraiment finir. Avec un goût d’inachevé. Des acteurs bancables à chaque opus. Un thème récurrent : le temps qui ne tourne pas rond. Daaaaaali, son dernier film, est une bonne surprise. Notre article.

« Daaaaaali », une bonne surprise, où Quentin Dupieux a transformé ses travers en force

Daaaaaali, son dernier film est une bonne surprise. Quentin Dupieux a transformé ses travers en force. La vie réelle du peintre a au moins trois faces. L’artiste et son œuvre. L’homme et sa vie – le XXe siècle -, de l’anarchisme au monarchisme et au franquisme. L’image publique et publicitaire construite, assumée et vécue. Pour le film, il faut au moins cinq acteurs pour interpréter Salvador Dali.

Quentin Dupieux ne s’intéresse principalement qu’à l’image plus qu’à l’artiste et l’homme en lui même. Dalí le disait lui-même à cette période : « Ma peinture ne m’intéresse pas, c’est Dalí qui m’intéresse ». Quentin Dupieux prend donc à revers la mode actuelle du Biopic. L’acteur-rôle incarnant et ravageant tout sur son passage. De Bob Marley à Du Barry en passant par Napoléon. Et répond en écho « J’aime presque plus Dali l’homme, le génie de la communication que Dali l’artiste. J’aime la manière dont il a constamment cherché à échapper à son image en jouant avec elle. L’hommage du film, c’est ça. Un non-film sur Dali pour un type qui n’aurait jamais voulu qu’on le mette dans une boîte ».

Et effectivement bien peu de Dali sur la pellicule. Le peintre a réalisé avec Bunuel « Le chien andalou » et « L’âge d’or ». Il a travaillé pour Lang, Walt Disney, les Marx Brothers et Hitchcock. Mais comme personnage filmique ? Un passage dans « Hugo Cabret » de Scorcese. Un second dans « Minuit à Paris » de Woody Allen. Quoi d’autre ?

Dupieux réalise le film d’un morceau de vie qui brouille les frontières entre le réel et l’imaginaire

Dupieux réalise le film d’un morceau de vie qui brouille les frontières entre le réel et l’imaginaire. Un film fait de boucles, d’avance rapide et de ralentis excessifs. Sans trucage. Des running gags, d’éternels recommencements, des variations, des mises en abyme, des emboîtements… Des coqs aux ânes du début du cinématographe. Un suspens formel. Un kaléidoscope ou un patchwork ? 

Un temps, on tente de suivre le fil de l’histoire. Roulé une fois. Roulé deux fois. La pelote finit emmêlée. Inenvisageable comme un anneau de Moebius. On rit du labyrinthe. Les images du cinéaste sont sages. Le scénario et les jeux du personnage principal sont fous et hors du réel. 

Daaaaaali n’est pas tout Dali. On voit l’artiste peindre. Certaines de ses œuvres sont reconstituées. Ainsi que les décors des maisons de Cadaques et Figueras. Mais le cinéaste s’intéresse plus à ce que Dali fait de lui même – préfiguration warholienne ? –  qu’à son œuvre Et plus encore qu’à son histoire. Le Dali de Daaali est plus proche du Chocolat Lanvin que des « Montres molles ».

Bunuel, inspirateur de Dupieux et ami puis ennemi de Dali, avait expérimenté le dédoublement du personnage dans « Cet obscur objet du désir ». Conchita était parfois Carole Bouquet, parfois Angela Molina. Ici, Dali est cinq. Pas un par caractère. Pas un par âge à part Didier Flament qui joue un intrigant très vieux Dali. Non, cinq acteurs avec Edouard Baer, Pio Marmaï, Jonathan Cohen, Gilles Lellouche et le précédent, joués comme pour un coup de dé. La même moustache iconique. Chacun ses R roulés caricaturaux. Chacun ses A accentués. Chacun ses yeux exorbités. Chacun ses gestes outrés. Filmés pas loin de la maison de Cadaquès. Pas mal vu pour tantôt le mégalo, tantôt le schizophrène.

Et comme dans « le charme discret de la bourgeoisie » du même Bunuel -où apparaît un ecclésiastique repris dans Daaaaaali – le rêve se superpose à la réalité et tout est fait pour être interrompu. Et comme dans le « Fantôme de la liberté » du même, on retrouve le tueur de curé. Version faussaire ? Bunuel le cinéaste de la frustration.

Dali avait créé une méthode pour peindre : la paranoïaque-critique. Une projection de l’obsession et du délire interprétatif de l’artiste sur la toile. Quentin Dupieux ne s’en préoccupe pas. Il montre Dali peignant d’après nature. Sans souci de la chronologie des œuvres.  La « Fontaine nécrophilique coulant d’un piano à queue » ou « Dalí de dos peignant Gala vue de dos éternisée par six cornées virtuelles provisoirement réfléchies par six vrais miroirs ». Ou une scène paysanne à la manière du « Grand Masturbateur ». Ou un faux grossier simplement signé. La signature faisant l’oeuve et le prix ? Pas de paranoïa critique dans le geste de peindre. Dupieux se la réserve pour lui-même. Boiteux et bancal. En cinéaste.

Anaïs Demoustier interprète une journaliste souhaitant interviewer l’artiste. Elle a bien du courage entre un Dali maître de la sécation et de la suspension. Et son producteur joué par Romain Duris – plus sourd encore que le maître – qui confond l’ancienne pharmacienne qu’elle était avec une boulangère. Coup de griffe au cinéma tel qu’il se fait.

L’oeuvre et la vie réelle de l’artiste

Daaaaali est un pur divertissement drôle et intelligent. Mais le choix du traitement an-historique de Dali construit un discours de Quentin Dupieux entre l’œuvre et la vie réelle de l’artiste. Une scène nous met sur la piste. On sait tout, dès avant le film, de la passion exclusive et infertile qu’il portait à Gala. De ses muses regardées et peintes avec craintes de loin. De Mae West à Amanda Lear. Du sexe et du désir empêché sur la toile. Dans Daaaaaali, Dupieux invente lors d’un des tournages du documentaire l’occasion d un me-too de Dali sous l œil complice de l’ensemble du plateau. 

On ne connaît pas de tels actes dans la vie de Dali. De la folie oui, mais pas cette infamie-là. Ce qui n’est pas le cas de son rapport à l’histoire de son siècle. Fasciné par le personnage d’Hitler, il est exclu du groupe des surréalistes. De retour en Espagne après la guerre, il soutient Franco pendant la dictature espagnole où anarchistes et communistes se faisaient garotter.

Dali dit : « La Monarchie absolue, coupole esthétique parfaite de l’âme, homogénéité, unité, continuité biologique héréditaire suprême, tout cela en haut, élevé près de la coupole du ciel. En bas, anarchie grouillante et super gélatineuse, hétérogénéité visqueuse, diversité ornementale des ignominieuses structures molles, comprimées et rendant le dernier jus de leurs ultimes formes de réactions »

André Breton avait formé une anagramme avec son nom « Avida Dollars ». George Orwell pousse plus loin : « À l’approche de la guerre en Europe, il n’eut qu’une préoccupation : trouver un endroit qui ait une bonne cuisine et d’où il puisse rapidement déguerpir en cas de danger » ajoutant que Dalí était « un dessinateur exceptionnel et un bonhomme dégoûtant traditionaliste vers le catholicisme romain ».

Dupieux ici n’en a que faire. Il déclare, au Festival de Venise où il présentait son film, « Mon seul et unique but, c’est de vous divertir et de vous faire marrer intelligemment, dans des recoins un peu spéciaux et nouveaux ». Gageons qu’il choisit un profil bas et humble pour un film à tiroirs – à l’image de La femme à tiroirs.  Son choix de la récursivité, de la mise en abyme et du maquillage devient la forme même de son film. Moins sur l’art qu’à propos d’un Dali qui superpose les masques.

Par Laurent Klajnbaum

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