Macron retraites

De la réforme des retraites au soutien à la Palestine : la répression inédite des mobilisations

Répression. « Aucune interdiction de manifestation ne peut être fondée uniquement sur le seul fait que la manifestation vise à soutenir la population palestinienne ». Le 18 octobre 2023, la plus haute juridiction administrative, le Conseil d’Etat, recadrait sèchement le ministre de l’Intérieur après ses manœuvres pour étouffer les mobilisations de soutien à la Palestine. Chose inédite, un argument « moral » avait été évoqué pour les interdire, lequel signifiait tout simplement l’admission d’un blanc seing pour permettre à l’Elysée une répression toujours plus forte des défenseurs de la paix.

Quelques jours plus tard, le 20 octobre à 6h20, le secrétaire départemental de la CGT du Nord était réveillé par un escadron de policiers cagoulés et armés venus l’arrêter pour « apologie du terrorisme ». Motif de l’accusation ? La publication d’un tract appelant à la « paix en Palestine ». Un énième exemple de garde à vue destiné à une seule fin : l’intimidation politique pour faire taire les velléités d’opposition. Une semaine plus tard, la manifestation pour la paix en Palestine du 28 octobre donnait lieu à 359 amendes et 21 interpellations, sans suites.

Arrestations et interpellations arbitraires, amendes abusives, violences policières, à chaque mobilisation, les mêmes méthodes de répression sont réutilisées et augmentées. Réforme des retraites, révoltes urbaines, activités syndicales, soutien à Gaza, chaque mobilisation connaît au total un niveau de répression inédit. Des méthodes qui inquiètent de nombreuses ONG mais aussi les instances internationales, à l’instar de l’ONU. Notre article.

Un appareil de répression hors de contrôle

« Aucune interdiction de manifestation ne peut être fondée uniquement sur le seul fait que la manifestation vise à soutenir la population palestinienne ». C’est par ces mots que le Conseil d’Etat, dans un communiqué de presse du 18 octobre 2023, recadrait Gérald Darmanin. Ce dernier venait en effet de tenter une manœuvre plutôt osée même selon ses standards : faire interdire purement et simplement toute manifestation de pacifique de soutien au peuple palestinien. Sans se soucier de démontrer en quoi elles présentaient un risque quelconque, comme c’est pourtant la règle dans un régime démocratique digne de ce nom.

Si Darmanin avait réussi son pari, il aurait pu alors déchaîner encore plus fortement la répression judiciaire contre les militants qui défient la politique macroniste de soutien inconditionnel à Israël. Ce qui n’aurait pas été peu dire, puisque c’est un appareil répressif hors de contrôle que l’on a vu se déchaîner ces derniers mois.

Les exemples sont légion. Que penser de l’interpellation de Jean-Paul Delescaut ? Le 20 octobre à 6h20 ce secrétaire départemental de la CGT du Nord est réveillé par un escadron de policiers cagoulés et armés qui viennent l’arrêter pour « apologie du terrorisme », devant sa femme terrorisée. Pourquoi ? Pour avoir appeler à la « paix en palestine » en dénonçant « l’occupation, l’apartheid et la colonisation ». En somme, pour avoir repris dans un tract les mêmes mots et positions que les instances internationales. Comment pousser la mauvaise foi jusqu’à y voir la moindre apologie du terrorisme ? Et finalement pourquoi l’usage de ces moyens totalement excessifs, quasi militaires ? Et à Strasbourg, que dire de l’arrestation musclée du septuagénaire Jean-Claude Meyer, président de l’Union Juive pour la Paix, et de nombreux autres manifestants, qui ne faisaient que se rassembler pour demander la fin du conflit ?

Arrestations et détentions arbitraires : les méthodes de la répression

Les arrestations et les détentions arbitraires n’ont rien de neuf en France. Le 31 mars 2023 en pleine mobilisation contre la réforme des retraites, des avocats constitués en collectif déposaient une centaine de plaintes pour des arrestations arbitraires, destinées, selon eux, à casser le mouvement social. Le 3 mai, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté rendait un rapport accablant qui démontrait le caractère abusif de très nombreuses gardes à vues décidées pendant l’offensive contre nos retraites. On peut lire, entre autres, à propos de la « majorité » des gardés à vue que « rien ne permet d’établir que leur comportement aurait justifié une intervention des forces de l’ordre » ! Pis, la Contrôleure ajoute « alors que 80% des procédures sont classées sans suite une fois opéré le contrôle de l’autorité judiciaire, la minorité des personnes déférées quitte le tribunal libre » mais « aura néanmoins passé près de 24 heures en garde à vue »

Et dans quelles conditions ! Le rapport précise que les trois équipes de contrôleurs dépêchés dans les commissariats les 24 et 25 mars 2023, dans tous les lieux visités, ont pu faire le « constat d’atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes enfermées ».

L’article 66 de la Constitution est censé prémunir chacun de toute détention arbitraire, de même que les articles 2 et 7 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Force est de constater cependant que ces grands textes ne protègent qu’imparfaitement, parce que délibérément ignorées par les autorités. Le pouvoir s’appuie sur le fait que les juges finissent par relâcher les personnes détenues et que, en ce sens, l’Etat de droit serait respecté. Mais comme l’exprime avec beaucoup de force le Syndicat de la magistrature : « nous ne devons pas nous satisfaire de cette présentation de façade d’une autorité judiciaire assumant son rôle en ne donnant pas suite à des mesures policières infondées. Ces chiffres montrent que les forces de sécurité intérieure utilisent très abusivement la garde à vue, déclinaison concrète d’une volonté politique de museler la contestation en brisant les manifestations en cours et en dissuadant – par la peur – les manifestations futures ».

Il faut savoir qu’il n’existe qu’un texte qui permettrait, théoriquement, d’obtenir réparation pour une détention abusive. Il s’agit de l’article L. 141-1 du Code de l’organisation judiciaire. Malheureusement, son application nécessite de démontrer une faute lourde de l’Etat ce qui, en droit public, est un exercice très complexe.

En réalité, les privations de libertés abusives de « courte durée » sont permises, de fait. Il en allait de même, d’ailleurs, de la technique qui consiste à interdire une manifestation furtivement et tardivement, pour une répression au plus haut. Il a fallu l’action combinée du SAF, de l’Adélico (NDLR : Association de défense des libertés constitutionnelles) et de la LDH pour que, le 4 avril 2023, la justice contraigne la préfecture de Paris à publier les arrêtés d’interdiction des manifestations. Jusqu’à cette date, il était possible de reprocher aux citoyens de manifester sans que l’interdiction ne figure nulle part, si sidérant que cela puisse paraître. Malgré tout, les préfectures font encore leur possible pour retarder au maximum la prise de leurs arrêtés et le juge ayant refusé de contraindre à une diffusion large – sur les réseaux sociaux notamment – c’est l’opacité qui demeure.

Dans le contexte actuel, ces possibilités liberticides du droit français deviennent des armes redoutables pour le pouvoir, qui ne relâche pas la pression. Jean-Claude Meyer et Jean-Paul Delescaut ne constituent aucunement des cas isolés. Le 28 octobre la manifestation pour la paix a donné lieu, selon les chiffres de Laurent Nunez, préfet de police de Paris, à 1359 amendes et 21 interpellations. Mais aucune suite n’est connue pour ces dernières, et il y a fort à parier qu’il n’y en aura pas : réforme des retraites et lutte pour la cause palestinienne, même combat : le pouvoir veut intimider, effrayer, réprimer, pour faire baisser les yeux à ses adversaires.

L’autoritarisme du pouvoir grandit, rendant la bataille pour les droits primordial. Il existe de nombreuses pistes à cet égard dont certaines seraient facilement faisables sans impliquer révolution juridique majeure. L’article 149 du Code de procédure pénale permet l’indemnisation des personnes ayant fait l’objet d’une détention provisoire injustifiée dans le cadre d’une procédure s’achevant par un non-lieu, une relaxe, ou un acquittement. Nombreux sont les avocats et les juristes à estimer qu’une telle disposition devrait être intégrée au droit de la garde à vue pour permettre une réparation automatique du préjudice de celui que l’on enferme sans raison. De manière plus générale, le caractère exceptionnel de la détention provisoire devrait être rétabli pour aller vers une politique de déflation pénale. Autant de préoccupations ignorées par l’arc prétendu « républicain » de la droite et de l’extrême droite.

D’ailleurs, si leur justice est abusive avec certains, elle en protège d’autres jusqu’à l’absurde. Par exemple comment est-il possible qu’Allan Brunon, militant insoumis, ait pu être cité à comparaître devant le tribunal correctionnel de Lyon pour avoir qualifié de raciste un maire proche d’Eric Zemmour ayant qualifié l’un de ses opposants politiques de « bonobo » ? Comment est-il possible, encore, que malgré les innombrables propos racistes et islamophobes tenus quotidiennement sur certaines des chaînes les plus écoutées du paysage audiovisuel français, le nombre de poursuites et de condamnations soient si proches de zéro ?

Le deux poids deux mesures de la répression

Alors que ceux qui demandent la paix au Proche-Orient connaissent criminalisation et calomnies, un mouvement inverse concerne les propos racistes qui semblent faire l’objet d’une tolérance totale. Ceux qui parlent de répression « aveugle » se trompent donc, la répression judiciaire est ciblée et éminemment politique. Le Syndicat de la Magistrature ne cesse de subir des offensives de la part des réactionnaires. Le dernier exemple en date est venu de leur présence à la fête de l’Humanité, en septembre. Que d’excitation droitière à cette occasion. De la rédaction du JDD choquée de ce « police bashing », jusqu’au zemmouriste Antoine Diers « horrifié », en passant par la très prolétophobe Sarah Saldmann qui trouvait tout cela « inadmissible ».

Pourtant comme Laurent Willemez l’a bien démontré dans ses travaux sur la sociologie de la magistrature, il est complètement faux d’imaginer que les juges sont, pour la grande majorité, dans une démarche militante ou même fortement ancrés à gauche. En revanche, ils constatent un mouvement de destruction du service public de la justice qui les touche profondément et une réduction croissante des libertés publiques. C’est pour cela et non pour revenir au concept défunt de « justice subversive » que certains syndicats professionnels tirent la sonnette d’alarme et descendent fréquemment dans la rue aux côtés de ceux que leurs adhérents défendent.

Par Nathan Bothereau

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