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Fichage de Mélenchon, critique de l’AFP, interdiction des manifestations : jusqu’où ira l’autoritarisme des macronistes ?

Karl Olive, député du camp présidentiel, veut que Jean-Luc Mélenchon soit fiché S. L’Agence France-Presse est menacée par un député Horizons de se voir retirer ses subventions publiques. Le pouvoir macroniste, par la voix de son ministre de l’Intérieur, ordonne l’interdiction des manifestations de soutien aux Palestiniens bombardés, en faisant valoir un « argument moral » synonyme de blanc seing pour l’Élysée.

De Griveaux à Le Pen, les voix macronistes et du RN s’allient pour critiquer l’Agence France Presse pour avoir refusé d’employer le mot « terrorisme », à l’instar des insoumis qui préfèrent le langage de la paix à celui du choc des civilisations. En parallèle, le président du Conseil d’Orientation des Retraites (COR), pas exactement en accord avec les positions du Gouvernement pendant la bataille des retraites, a été viré. À sa place, désormais, un soutien inconditionnel d’Emmanuel Macron et de sa contre-réforme.

Tout cela s’est déroulé en une semaine. Jusqu’où ira l’autoritarisme du pouvoir en place ? À l’insoumission.fr, nous nous sommes souvent posé cette question. Chaque semaine, un nouveau palier est franchi. Jusqu’où cette dérive inquiétante ira-t-elle ? Notre article.

Un député du camp présidentiel souhaite que Mélenchon soit fiché S

« Jean-Luc Mélenchon est un danger pour la société, il devrait être fiché S » : voilà ce qu’a déclaré, sans broncher, le député macroniste Karl Olive ce matin sur Europe 1. Pour rappel, la fiche S répertorie les personnes qui représentent une menace potentielle pour la sécurité du pays, qu’elles aient ou non déjà commis un crime ou un délit.

En résumé, un parlementaire du camp présidentiel appelle à ficher S un opposant politique, plus précisément Jean-Luc Mélenchon, le 3ᵉ candidat à l’élection présidentielle ayant réuni 22% des suffrages exprimés et dont la popularité inquiète l’Elysée. Une proposition fascisante. « Le régime de Pinochet n’aurait rien trouver à y redire », a fustigé le député insoumis Thomas Portes suite à ces propos.

Il est certain que cette phrase a été très bien préparée par Karl Olive, en parfaite connaissance des conséquences à venir : le buzz est fait, ses propos sont critiqués ou approuvés sur les plateaux, on parle de lui. En bien, en mal, ce n’est pas ce qui compte. On parle de lui pour, ce qui permet de compenser son capital politique inexistant, quitte à passer pour un parlementaire fascisant.

De Griveaux à Le Pen, le torrent de boue contre l’Agence France Presse (AFP) qui ne veut pas parler de « terrorisme » pour qualifier le Hamas

L’attaque du Hamas du 7 octobre menée en Israël a été immédiatement condamnée par insoumis. Pour avoir parlé de « crimes de guerres » et non de « terrorisme », les insoumis ont été accusés par une large partie de la classe politique et médiatique des pires qualificatifs : « ambigus », « complices », voire « apologie du terrorisme » : tout y est passé. Assez rapidement, la BBC anglaise a fait savoir qu’elle ne comptait pas utiliser le qualificatif « terroriste » non plus.

Le 28 octobre, l’AFP s’est fendue d’un long tweet afin d’expliquer pourquoi elle tenait la même position que la BBC. « L’emploi du mot terroriste est extrêmement politisé et sensible. De nombreux gouvernements qualifient d’organisations terroristes les mouvements de résistance ou d’opposition dans leurs pays », a-t-elle notamment souligné. La meute s’est alors déchaînée.

Pour avoir défendu cette position, l’AFP a subi un torrent de boue du soi-disant « arc républicain », de Benjamin Griveaux à Marine Le Pen. L’ancien candidat macroniste à la mairie de Paris, faisant semble de ne pas comprendre toute la nuance de la position de l’AFP, a parlé d’une « tache indélébile », d’nue « brasse coulée qui prêterait à sourire si ce n’était pas si grave ». Très irritée, la députée macroniste Anne-Laurence Petel a demandé à l’AFP si elle n’était pas « l’Agence Mélenchon Presse ».

Du côté du camp présidentiel, la prise de position du député Horizons Jérémie Patrier-Leitus a été de loin la plus inquiétante. Dans un tweet, supprimé depuis, le parlementaire s’est demandé s’il était « peut-être temps de vous retirer vos subventions publiques ». Retirer les financements publics à l’Agence France-Presse, parce qu’elle n’utilise pas les mêmes mots que les « soutiens inconditionnels » à l’État d’Israël ? Que ce député ait pu y penser pose déjà un grave problème.

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Capture d’écran du tweet, supprimé depuis, de Jérémie Patrier-Leitus, député Horizons.

« On est aujourd’hui dans un moment où beaucoup de personnes influentes dans la société civile sont responsables de ce qu’il se passe et de ce qu’il va se passer en France », a également expliqué Violette Spillebout, député Renaissance (ex-LREM) sur CNEWS. Des mots pas si éloignés que ceux du Rassemblement National.

Dénonçant « un effet révélateur des complaisances et même parfois des compromissions avec l’islamisme d’une partie du monde politique, journalistique, associatif, culturel », Marine Le Pen a estimé sur Europe 1 que ne pas qualifier le Hamas de « terroriste » est « déjà une forme de complaisance à l’égard d’un groupe armé terroriste ». Qui peut sérieusement croire l’Agence France-Presse coupable d’une quelconque complaisance avec le Hamas ?

La bataille du pouvoir pour interdire les manifestations en soutien aux Palestiniens bombardés

La France a été le seul pays à avoir interdit les manifestations en soutien aux Palestiniens. Le ministre de l’Intérieur, qui les qualifie de « manifestations pro-Hamas », n’a pas caché sa fierté à ce sujet. Le 18 octobre, pourtant, le Conseil d’État a désavoué Gérald Darmanin. 6 jours plus tôt, le ministre avait en effet ordonné aux préfets d’interdire toutes les manifestations en soutien au peuple palestinien, sous les motifs de « trouble à l’ordre public ». Regrettant « la rédaction approximative » du télégramme envoyé par le ministre, le Conseil d’État a rappelé qu’il revenait aux préfets seul d’apprécier le risque de troubles à l’ordre public.

Pour aller plus loin : Paix en Palestine : de Marseille à Madrid, de Lons-le-Saunier à Los Angeles, des millions de personnes marchent pour le cessez-le-feu

Pour tenter de justifier cette exception française, le préfet de Police de Paris a mis en avant un critère « moral ». Ces interdictions n’avaient pas un lien avec « une question de maintien de l’ordre » mais étaient fondées sur un « critère immatériel et moral », avait-t-il affirmé sur FranceInfo. Qui décide de la « moralité » d’une manifestations ? Emmanuel Macron, seul à son bureau à l’Élysée ? Un tel critère ne peut être appliqué qu’à la discrétion du pouvoir. La pente est décidémment très glissante. L’interdiction de la manifestation prévue samedi 28 octobre à Paris n’a pourtant pas empêché de milliers de personnes de manifester et de défendre la paix en Palestine.

D’ailleurs, si le critère est « moral », pourquoi Laurent Nunez a-t-il autorisé un défilé de 500 néo-nazi le 6 mai 2023 dans les rues de Paris ? Au programme ce jour-là : croix celtiques, cagoules, gants coqués, intimidation de journalistes et slogans fascistes. Du cortège sortait deux principaux slogans : « Europe, jeunesse, révolution », le slogan du Groupe Union Défense (GUD) et « Sébastien Présent ». Deux poids, deux mesures. Alors, était-ce bien moral ?

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Quand le président du COR n’est pas d’accord avec le pouvoir, il est débarqué pour laisser place à un soutien inconditionnel de Macron

Souvenez-vous, c’était le 19 janvier 2022. Plus de 2 millions de personnes manifestaient dans les rues du pays pour dire non à la retraite à 64 ans, défendue bec et ongles par le camp présidentiel. Au même moment, le président du Conseil d’Orientation des Retraites (COR), Pierre-Louis Bras, était auditionné par la commission des Finances de l’Assemblée nationale par le député insoumis Éric Coquerel. « Les dépenses de retraites sont relativement maîtrisées, dans la plupart des hypothèses, elles diminuent à terme », avait affirmé Pierre-Louis Bras. Un propos clair, à l’encontre de toutes les affirmations des macronistes. En résumé, il n’y avait pas de justification économique à réformer notre système de retraite.

« En repoussant l’âge, on fait des économies sur les retraites, mais ça provoque des dépenses ailleurs », avait ajouté Pierre-Louis Bras. Résultat : un énorme grain de sable dans la machine argumentaire du camp présidentiel. Difficile pour eux de dire que le président du COR aurait mal lu… le rapport du COR. La Première ministre lui en a alors beaucoup voulu. Lors de ses vœux à la presse le 23 janvier 2023, elle avait estimé que Pierre-Louis Bras avait « peut-être » été amené à avoir « une position assez personnelle sur les travaux » du COR. Si une instance ne parle pas exactement comme lui, le camp présidentiel a les poils qui se hérisse.

Le 9 avril 2023, dans une interview au Parisien, Élisabeth Borne lui avait reproché d’avoir « brouillé les esprits », alors qu’elle se démenait pour essayer (sans le réussir) de convaincre les Français de l’utilité de cette contre-réforme. Pierre-Louis Bras avait pourtant tenu une position équilibrée, attendue pour un organisme rattaché à Matignon comme le COR. Celui-ci expliquait qu’il n’y avait pas de problème de dépenses dans le système de retraites, mais ne niait pas l’existence de déficits.

Pour aller plus loin : Retraites : Macron recadré par le président du Conseil d’orientation des retraites (COR)

En septembre, nous apprenions que Pierre-Louis Bras était sur la sellette. Ce 31 octobre, le nom du successeur de Pierre-Louis Bras est tombé : Gilbert Cette, professeur d’économie à la NEOMA Business School. Lors de l’élection présidentielle française de 2017, il a apporté son soutien à Emmanuel Macron. Le 10 janvier 2023, il déclarait dans L’Opinion : « Il y aura toujours des critiques, mais globalement, c’est une réforme très sociale ». C’est tellement plus pratique de nommer uniquement des gens qui sont d’accord avec soi. Le camp présidentiel n’accepte pas d’entendre des voix un tantinet dissonantes. Cela ne se voit que trop.

En écrivant ces lignes, subsiste cette impression de déjà-vu. Combien de fois l’Insoumission.fr a dénoncé l’autoritarisme du pouvoir macroniste ? La liste est longue depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron : dispositions de l’état d’urgence inscrites dans la Constitution, répression sanglante du mouvement historique des Gilets jaunes, loi Sécurité globale, loi dite « séparatisme », augmentation des violences policières niées au plus haut sommet de l’État, répression violente des différentes mobilisations, comme celle contre la réforme des retraites ou encore à Sainte-Soline contre les Soulèvements de la terre, piétinement du Parlement par l’usage sans broncher du 49.3, pour la 15ème fois cette semaine. À chaque fois, un nouveau palier est franchi. Jusqu’où cette dérive ira-t-elle ?

Par Nadim Février