Festival Bruits blancs

« Bruits Blancs » : Un festival à la rencontre des auteurs de théâtre et des musiciens contemporains

Pour ce nouvel article de la rubrique « Nos murs ont des oreilles – Art et mouvement des idées », l’Insoumission vous parle de « Bruits Blancs », un festival qui présente des duos de 20 minutes entre un auteur, son texte et un musicien, sa composition. Sans répétition. Avec l’écoute et le dialogue comme fondement. Sur le mode de l’impro de jazz.

Il offre une occasion rare pour les spectateurs de rencontrer des artistes contemporains et d’assister en direct au processus de création. Il se déroule à partir de ce week-end. Avec plusieurs événements gratuits. Notre article.

Festival Bruits Blancs, partez à la rencontre des auteurs de théâtre contemporains

Les textes d’auteurs dramatiques vivants se font rares dans les grands théâtres. Dans les petits aussi. Revisites de classiques, adaptation de romans… pourquoi pas ? Mais on regrette la lutte du metteur en scène pour éclaircir le mystère d’un texte contemporain. Souvent, maintenant, les auteurs se mettent en scène eux même. Nous avons en France beaucoup d’auteurs de théâtre. de grande qualité et diversité. Sont-ils lus ? Entendus ?

Dans notre passé, tel n’a pas toujours été le cas. Hernani de Victor Hugo est créé à la Comédie française. Ça commence le 25 février 1830. Pour 4 mois de batailles. Soir après soir. Honoré de Balzac, Sainte-Beuve, Alexandre Dumas, Théophile Gautier …. mobilisés d’un côté et de l’autre. Formes, fonds et politique. Clameurs et coups.

Dans son journal Choses vues, Victor Hugo écrit : « Le public siffle tous les soirs tous les vers ; c’est un rare vacarme, le parterre hue, les loges éclatent de rire. Les comédiens sont décontenancés et hostiles ; la plupart se moquent de ce qu’ils ont à dire. La presse a été à peu près unanime et continue tous les matins de railler la pièce et l’auteur. Si j’entre dans un cabinet de lecture, je ne puis prendre un journal sans y lire : ‘Absurde comme Hernani ; monstrueux comme Hernani ; niais, faux, ampoulé, prétentieux, extravagant et amphigourique comme Hernani’. Si je vais au théâtre pendant la représentation, je vois à chaque instant, dans les corridors où je me hasarde, des spectateurs sortir de leur loge et en jeter la porte avec indignation. ».

En juin de la même année, la révolution des 3 glorieuses – la fin des rois de France. On raconte qu’elle était la suite de la bataille.

Plus proche de nous, avril 1966, la création des Paravents de Jean Genet mis en scène par Roger Blin au Théâtre national de l’Odéon. Équidistant de la fin de la guerre d’Algérie et de mai 1968 . Choc poétique et politique. Tremblements de l’ordre, de la morale et de l’esthétique bourgeois. Auxquels répondent invectives du Figaro, demandes d’interdiction de députés de droite, jets de rats morts et vivants sur scène, assauts de l’Odéon – salle et scène – par d’anciens combattants, des militaires et des miliciens d’extrême-droite. Les syndicats étudiants, certaines forces citoyennes et de gauche, Malraux à l’Assemblée nationale entrent dans la mêlée.

La création musicale contemporaine aussi a eu ses programmations prestigieuses et ses scandales éclatants. On pense à l’Après-midi d’un faune de Claude Debussy au Châtelet. Face aux huées, Diaghilev est contraint de faire reprendre le spectacle à plusieurs reprises. Du début. Tandis qu’Auguste Rodin défend l’œuvre, le critique du Figaro écrit : « Ceux qui nous parlent d’art et de poésie à propos de ce spectacle se moquent de nous » .

Et Désert d’Edgar Varèse ? Pierre Henry et le chef Hermann Scherchen l’avaient malicieusement glissé – le 2 décembre 1954 – entre des œuvres de Mozart et Tchaikovski. Au Théâtre des Champs-Élysées. Cris d’animaux, hurlements mêlés aux applaudissements. Bagarre générale dans la salle. Des dizaines de blessés évacués pour être soignés. Pendant que Pierre Henry pousse le son et que l’orchestre poursuit imperturbable son programme. Dans la presse le lendemain : « Ce monsieur Varèse devrait être fusillé ».

Bruits blancs, un festival d’improvisation unique, inédite entre mots et mélodies

L’auteur de théâtre Michel Simonot et le compositeur contemporain Franck Vigroux ont créé ensemble, il y a 13 ans, Bruits blancs. Un « festival itinérant ». Peut-être pour combler un manque. Et surtout créer une forme. Un dialogue. Ou une jam-session entre l’auteur avec ses mots et le musicien avec son instrument. Traditionnel ou plutôt issu de l’évolution de la lutherie, des champs de l’expérimental acoustique, électronique et numérique.

Textes et musiques inédits. Des duos de 20 minutes. Renouvelés chaque année. Avec historiquement, Laurent Gaudé, Claudine Galéa, Charles Robinson, Eugène Durif… côté textes. Alex Augier, Nina Garcia, Nicolas Maigret, Hélène Breschand Clara de Assis… côté musiques. Par exemple.

Depuis sa création, ont été formés une centaine de duos inédits. Pour une représentation seulement. Le texte porté par ses auteurs. La musique comme alter ego et non accompagnement. Pour une discussion unique à deux artistes. Un dialogue alliant ou confrontant deux langues propres. La recherche artistique en train de se nouer. En direct, face et avec nous. Tentatives de fraternité ou d’écho. Entre la musique des textes et la littéralité des compositions. Les formes peuvent avoir du sens et des valeurs. Au risque, ou plutôt à l’audace, de l’expérimentation. Du ratage ou du sublime. Un peu partout en France. Arcueil, Toulouse, Montpellier, Alfortville, Bagnols, Mende, Créteil…

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Festival Bruits Blancs : demandez le programme

Bruits Blancs 2023 s’est ouvert samedi dernier à Anis gras – Arcueil – le Lieu de l’Autre. Avec deux créations musicales . Nacht de Frank Vigroux, Loïc Varanguien de Villepin et Antoine Schmitt. La performance Deeat Palace de Marion Camy-Palou. Viennent maintenant les duos.

Le 11 décembre à 19H au Centre Pompidou à Paris. Noelle Renaude/ Odile Auboin – Antoine Mouton /Vincent Courtois – Claude Favre/Pierre Jodlowski – Dorothée Zumstein/Hélène Breschand. On y entendra la voix des auteurs se mêlant aux alto, violoncelle, dispositif de musique électronique et harpe expérimentale. Réservez, c’est gratuit.

Le 13 décembre 20H à la MAC de Créteil, ce sera au tour de Mariette Navaro/Franck Vigroux, Philippe Malone/Nadia Ratsimandredsy, Ismaël Jude/Bruno Chevillon. Les mots dialogueront avec les sons des ondes Martenot, un dispositif électronique et une contrebasse.

Le 16 décembre à 19h à Lanéjuols en Lozère, la Fabrique du Viala recevra Juliette/Mezenc/MLoïc Varanguien de Villepin et Marine Bedon/Matthieu Guillin pour croiser textes avec voix et musique électronique.

Ce sera aussi un plaisir singulier de croiser Michel Simonot, d’entendre Philippe Malone, Mariette Navarro et Dorothée Zumstein. Autant d’auteurs qui s’étaient engagés dans le soutien au maire de Riace – Mimmo Lucano – condamné à 13 ans de prison en Italie pour délit d’hospitalité. Puis relaxé en appel, après un combat judiciaire et de solidarité internationale. Un peu grâce à eux donc et à leur engagement au moyen de la littérature dans Terre d’humanité/Un choeur pour Mimmo. Dorothée Zumstein poursuit l’écriture du texte qu’elle y avait engagé sur Riace. On pourra en entendre une version à Beaubourg à l’occasion du Festival.

Les «révolutions du goût» comme dans la bataille d’Hernani sont toujours d’actualité. Politiques sociétales ou anthropologiques. Les moins jeunes d’entre nous se rappellent leurs oreilles écorchées par le rap. Ou les faux raccords des films qui leur abîmaient les yeux et entachaient la compréhension. Les airs de rap en question passent aujourd’hui dans les émissions grand-public. Hitchcock, Ozu, Godard… cinéastes des faux raccords sont aujourd’hui des classiques. Bruits blancs 2023 ne sera sûrement pas l’occasion d’une bataille hernaniesque. Ni à Beaubourg, ni à la MAC, ni la Fabrique du Viala. C’est sûrement le signe de notre temps de préférer les fracas médiatiques au travail des artistes. Comme tous les autres services publics, celui de la culture est dans le collimateur. Au profit de l’industrie de l’entertainment. Cela renforce l’attention à porter, nous qui voulons changer le monde, à ceux qui en font leur matière. En déplaçant les regards. En créant des univers, des imaginaires nouveaux. En figurant ce dont le réel est porteur.

Laurent Klajnbaum

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