Migrants. Au moment où Lampedusa reflète à la fois le durcissement de la politique migratoire de l’Europe et l’urgence de construire des réponses aux guerres, aux dictatures, à l’exploitation capitaliste, au dérèglement climatique qui conduisent à l’exode, qu’est-ce qui peut bien valoir 13 ans de prison aujourd’hui en Italie ? L’hospitalité, ce serait le crime de Domenico Mimmo Lucano, ex-maire de Riace en Calabre. Déjà condamné à 13 ans de prison en septembre 2021 en première instance, son procès en appel se tient ce 20 septembre. Notre article.
Que reproche-t-on à Mimmo Lucano ?
En 1998, 200 réfugiés kurdes échouent sur les plages de Riace. Le village, sous l’impulsion du prêtre et de Mimmo Lucano, installe les migrants dans les maisons du village abandonnées du fait de l’exode intérieur calabrais vers le nord de l’Italie ou vers l’Allemagne, voire l’Amérique. Avec l’emprunt contracté auprès d’une banque éthique et l’accord des propriétaires, les maisons du centre-ville sont rénovées. Mimmo Lucano s’engage dans les municipales autour des valeurs d’hospitalité, consubstantielles selon lui de la Calabre, en désignant les réfugiés non pas comme un problème, mais comme la solution à la désertification et à l’appauvrissement de son village. Et ça marche.
De fait, l’école rouvre ainsi que les petits commerces, des coopératives et des entreprises artisanales, avec la mobilisation citoyenne et l’engagement de l’équipe municipale. Un exemple : le village dans sa partie haute est escarpé et les rues étroites. Le marché du ramassage des ordures ménagères a été attribué à une coopérative de carrioles conduites par des ânes, là où les appels d’offres conduisaient à l’allouer à des entreprises liées à la N’dranghetta, la mafia calabraise, pour une tâche non effectuée. Mimmo est réélu deux fois.
Il devient regardé dans le monde, cité en exemple par de nombreuses ONGs et par l’ONU, désigné meilleur maire de la planète par ses pairs, de nombreux articles, reportages, films dont un signé par Wim Wenders relatent cette « utopie réalisée ».
Riace : une zone à mettre en quarantaine pour l’extrême droite italienne
Dès 2016, les aides économiques du Centre d’accueil extraordinaire sont coupées. En 2018, avec l’arrivée au ministère de l’Intérieur de Matteo Salvini en Italie, les aides du Système de protection pour demandeurs d’asile et réfugiés sont suspendues. Le ministre de l’Intérieur d’extrême droite, venant du parti la Ligue du Nord, le désigne comme un ennemi à abattre. Le 1er octobre 2018, il est arrêté.
Une décision de justice le bannit de Riace. Le 5 septembre 2019, après 11 mois d’interdiction de séjour dans sa commune, l’ancien maire obtient la révocation de cette décision de justice contre l’avis du procureur, et retourne vivre dans son village après des municipales ayant donné la victoire à la Ligue du Nord. Son procès s’ouvre et en septembre 2021, il est condamné à 13 ans de prison et 500 000 euros d’amendes. Son crime ? Avoir considéré les migrants comme des frères et sœurs en humanité.
Mimo dit souvent que c’est la réussite et la diffusion de l’exemple de Riace qui a mis le village dans la ligne de mire de la mafia calabraise puis des différents pouvoirs italiens et des néo-fascistes. Au-delà même du point de vue sur la politique migratoire, cette propagation mettait en cause un modèle de pouvoir politique et aussi économique, c’est-à-dire considérer les réfugiés sans-papiers comme de la main d’œuvre bon marché et corvéable pour ramasser les olives.
L’Italie sous Meloni : la chasse aux migrants
En Italie, sous Salvini puis Meloni, l’hospitalité est donc punie sous les motifs d’inculpation d’ « escroquerie », « détournement de fonds », » abus de pouvoir », « faux en écriture » et « association de malfaiteurs ». Comme un air des Soulèvements de la Terre qui plaine dans les plaines de Calabre. Autant de supposés délits et infractions attribués au maire, commis dans l’organisation de l’accueil et l’intégration de migrants dans son village de Riace.
Mimmo Lucano a été condamné en première instance pour avoir favorisé l’immigration illégale et pour détournement de fonds. Il a été aussi condamné pour avoir conclu un contrat avec la coopérative de ramassage des ordures ménagères contre les entreprises mafieuses, décrété la gratuité pour tous – de la demande de certificats municipaux de toutes natures – et la prise en charge municipale du versement de 5 euros à la préfecture. On pourrait ainsi égrener les mille pages du délibéré.
Le tribunal de Locri, ville siège de la N’dranghetta, reproche au maire d’avoir utilisé les fonds quotidiennement attribués à l’accueil des migrants pour des projets d’intégration à long terme. Plus simple pour le pouvoir italien de financer avec cet argent, des entreprises privées qui bricolent des prisons à migrants. L’ancien maire est aussi condamné pour ne pas avoir respecté les procédures d’attribution des marchés municipaux en favorisant les coopératives locales de migrants et d’habitants de Riace.
La rumeur parcourt la ville et le tribunal d’une infamante accusation d’association de malfaiteurs. Et d’enrichissement personnel. Un théorème accusatoire auquel manque la pièce maîtresse : l’accusation a été incapable non seulement de démontrer, mais même de repérer quelque forme d’enrichissement personnel ou d’accumulation de patrimoine.
Au bout de ces deux mandats comme maire à la Mairie de Riace, Mimmo Lucano est resté le même homme, aux revenus modestes et sans patrimoine personnel, qu’il était avant son élection. Et si aucune trace d’enrichissement personnel n’apparaît, la réussite du modèle d’accueil et d’intégration des migrants dans le village de Riace est bien une réalité établie sous les yeux de tous et saluée dans le monde entier. En effet, Mimmo Lucano n’a fait que « tordre » les règles de la bureaucratie pour réussir avec peu un pari contraire au dogme libéral et que d’autres définissent comme utopique.
Face à l’infâmie, la solidarité s’organise
Mimmo a plusieurs fois répété que l’exemple est venu de France.
Le 17 novembre 2021, à l’initiative de deux collectifs citoyens, un meeting de solidarité réunissant 700 personnes se tenait à la Bourse du travail de Paris en présence notamment de Danièle Obono, députée insoumise. Plusieurs villes et villages dont Grabels, Marseille… faisaient du maire de Riace leur citoyen d’honneur.
Le 21 mars 2022, Jean-Luc Mélenchon signait une lettre adressée au premier ministre Italien Draghi et au président Mattarella dans une coalition de personnalités mondiales dont Ada Colau, maire de Barcelone, Noam Chomsky, linguiste américain, Malin Bjork eurodéputée suédoise, Jeremy Corbyn, député anglais, Yara Hawari, écrivaine palestinienne, Oezlem Demirel députée européenne allemande, Carola Rackete, capitaine de navire en Méditerranée…
Avec une simple demande : « Abandonnez toutes les charges contre Mimmo Lucano ». Un livre réunissant les contributions inédites de 40 auteurs et 20 graphistes – Terre d’humanité/un chœur pour Mimmo ed Manifestes ! – et le film Un paese di Calabria de Shu Aiello et Catherine Catella servaient d’activeurs à des dizaines de réunions dans des associations, des théâtres, cinémas et librairies.
Dans un silence médiatique assourdissant.
Ce 20 septembre, un procès hautement politique
Aujourd’hui, Mimmo Lucano affronte son procès en appel. Les réquisitions du procureur intervenues en octobre 2022 sont de 10 ans et 5 mois d’emprisonnement. La possibilité de la condamnation de Mimmo est réelle, après l’expérience hospitalière de Riace saluée dans le monde entier, du Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU au Pape. Il serait ainsi « le premier prisonnier politique du gouvernement Meloni-Salvini ». Cela ne peut nous laisser indifférent.
Mimmo ne se rendra pas à son procès. Autour de quelques amis et soutiens, il tient à profiter encore de sa terre, son village pour ce qui pourrait être ses derniers moments non d’homme libre mais de liberté de mouvement. Il assume la totalité de ses actes et déclare « J’assume d’être sorti de la légalité, mais la légalité et la justice sont deux choses différentes. La légalité est l’instrument du pouvoir et le pouvoir peut être injuste. »
Il continue la bataille de Riace. Après une interdiction, le moulin à huile d’olive « free N’dranghetta » a été remis en circuit ainsi que des parcelles agricoles. L’association Citta futura réfléchit à comment reprendre le contrôle des maisons, certains propriétaires reprenant la jouissance de leurs biens abandonnés mais restaurés grâce à l’argent public et aux dons, avec l’accord du nouveau maire de la Ligue du nord, pour les louer via AIRbnB. La côte napolitaine étant saturée, les bétonneurs, spéculateurs et autres mafieux visent la Calabre.
Pendant que des politiques français, de Darmanin à Le Pen pérorent en Italie et y prônent la chasse aux réfugiés comme ils font la chasse aux pauvres en France, de nombreux militants tentent de donner de la visibilité à ce procès. Très vite, on parlera de lui de nouveau à l’occasion de la publication du verdict fin septembre, soit pour fêter sa liberté et reprendre le cours de l’expérience de Riace, soit pour continuer le combat pour Mimmo. Pour un autre monde, fondé sur l’hospitalité et la fraternité.
Laurent Klajnbaum
Mise à jour de la rédaction du 20 septembre 2023, 14h07 : à la demande du procureur, la dernière audience du procès de Mimmo a été reportée au 11 octobre.