GAZA MASSACRE
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Formes des luttes : ces artistes engagés pour le cessez-le-feu à Gaza et les droits du peuple palestinien

Gaza. Les manifestations de soutien au peuple palestinien ont rassemblé ce samedi des dizaines de milliers de citoyens dans plus d’une quarantaine de villes en France. 60 000 à Paris. Au cœur des cortèges, apparaissaient des images d’auteurs de soutien aux gazaouis et pour un cessez-le-feu. Cinq oriflammes graphiques à Paris. Depuis, on remarque aussi quelquefois ces images sur nos murs et les réseaux sociaux. C’est le neuvième appel à création du réseau Formes des luttes.

Déjà plus de 60 créations, par des graphistes indépendants, relevant d’esthétiques et de messages divers sont visibles. Certaines déchirantes comme des cris. D’autres poétiques, solidaires, politiques… Quelquefois tout cela à la fois. En téléchargement libre sur leur site. Disponibles pour toute initiative. En manifs. En collages. En distributions. En débats. Chez soi ou à sa fenêtre… Hors usage commercial. L’Agence de presse Média Palestine a diffusé l’information dans un communiqué : « Un collectif d’artistes s’engage pour un cessez-le-feu à Gaza ». Notre article.

En forme pour les luttes, en lutte pour des formes, pour Gaza aussi

On dit qu’une image vaut quelquefois mieux que cents mots. Nous devons être nombreux à avoir croisé leurs petites sœurs. Dans les manifestations contre la retraite à 64 ans. En bas de chaque image, la mention « formesdesluttes.org ». Qui est « Formes des luttes » ?

Il y a 5 ans, des graphistes – un métier plutôt solitaire – se sont constitués en réseau « Formes des luttes ». Ils se sont donnés un outil commun qui permet à tous les producteurs et productrices d’images de mettre leurs créations au service des luttes en cours.

Vous avez vu leurs longues tables porteuses d’autocollants ou les cagettes mobiles ? À l’occasion des manifestations contre la réforme des retraites de Macron. C’était leur 7ᵉ appel. Environ 250 images de 140 graphistes ont été publiées. Un tiers d’entre elles imprimées en autocollants et diffusées à un total de 300 000 exemplaires. Distribuées gratuitement pour irriguer les manifestations puis les prolonger dans l’espace public – du mobilier urbain au local syndical. À Bordeaux, Brest, Caen, Le Havre, Lyon, Marseille, Montpellier, Nantes, Rennes, Saint-Étienne, Saint-Nazaire Paris, Lille, Strasbourg… Entre autres.

« Nous, graphistes, artistes, illustrateurs/trices – déclaraient-ils – souvent précaires, la plupart du temps indépendants, ne sommes pas en mesure de faire grève et de bloquer l’économie. Mais nous sommes déterminés à mener la lutte avec nos moyens, ceux de l’image, en apportant notre soutien graphique aux mobilisations en cours et notamment aux secteurs en première ligne des grèves et des blocages ».

Avec quels moyens ? Le bricolage et l’engagement. Un site et une boucle d’échanges. Une impression payée et renouvelée par les dons récoltés lors des diffusions. Les excédents reversés aux caisses de grèves. Des paquets acheminés lors de trajets. Des stands montés et tenus par les intéressés eux-mêmes et leurs amis.

Parmi les précédents appels à contributions, en 2019, lors du confinement, Formes des luttes lançait cet appel : « Cette suspension de la vie commune ne doit pas être la suspension de la démocratie. Par nos fenêtres d’appartement, de maison, d’ordinateur, nous devons clamer nos colères, nos désirs et nos revendications. Dessinons ensemble la révolution écologique et sociale qui devra être mise en œuvre pour nous permettre de reprendre le contrôle sur nos vies et sur notre avenir. Nous lançons donc un nouvel appel à créer des images pour inventer demain ».

Forme des luttes a soutenu aussi Mimmo Lucano, le maire de Riace – condamné en première instance à 13 ans de prison pour délit d’hospitalité. Libre maintenant grâce à ses avocats et aux actions internationales de solidarité. Leur travail et leur mode d’action ont été exposés aux Rencontres nationales de la photographie d’Arles.

Pour aller plus loin : Scandale – Procès politique : Mimmo Lucano, jugé pour avoir accueilli des migrants

« Une simple image, si elle est nouvelle, ouvre un monde. Vue des mille fenêtres de l’imaginaire, le monde est changeant », Gaston Bachelard

Toute bataille se mène en déployant un rapport de force et d’idées. Important d’être divers et nombreux, ensemble. Mais une lutte se mène aussi – ou se conforte – avec des savoirs et des talents propres. Artistiques notamment. Les mouvements politiques et sociaux se nourrissent et participent à la construction de possibles, d’nouveaux imaginaires, de symboles… Qui mieux que des artistes pour les accompagner dans cette voie ?

On ne compte pas les groupes et les chanteurs qui ont apporté leur soutien aux combats sociaux. En 1984, The Clash lors de concerts de solidarité aux mineurs anglais contre la fermeture des mines décrétée par Margaret Thatcher. London calling, leur chanson, devient l’hymne des mineurs en grève.

Pendant l’occupation allemande, René Char est le Capitaine Alexandre les armes à la main et le poète résistant avec Les feuillets d’Hypnos. Comme Paul Eluard, avec Liberté, le poème symbole d’espoir, largué par les avions de la RAF sur le sol français.

La culture du graphisme d’engagement ne date pas d’hier. Déjà en 1790, une affiche révolutionnaire était intitulée « Dialogue entre l’affiche et le passant ». L’utilisation de la sérigraphie en Mai 68 amplifiait la parole combattante. Cette tradition s’est poursuivie dans la collaboration avec les institutions, mairies ou théâtres, les forces diverses. À l’image révolue de la complicité entre Grapus et le mouvement politique, social, associatif et culturel. C’est cette tradition que Dugudus a poursuivie ponctuellement avec la France insoumise.

Aujourd’hui, les commandes aux graphistes se font rares. Les boites de com ont pris le marché. Beaucoup de graphistes s’autoproduisent. Pourtant, on ne peut pas confondre les images des graphistes et celles publicitaires. Il peut y avoir des images d’auteurs qu’on aime ou pas, réussies ou non… Idem pour les images des agences de communication ou de publicité. Mais leur différence se voit et tient particulièrement au mode de commande et de production.

Dans les agences de com ou de pub, l’entreprise est soumise au commanditaire et soumet à son tour à la fois ses salariés en taylorisant le travail et le spectateur en l’enfermant dans le projet du commanditaire. Dans les images réussies d’auteurs, le résultat est l’objet d’un travail de création. Elles répondent et dépassent le projet simple du commanditaire. Elle instaure un « dialogue » avec le regardant. Qui ne s’épuise pas au premier regard. .

Marie-José Mondzain écrit dans Le commerce des regards « L’image a pour spécificité d’émouvoir, donc de mouvoir. Le pouvoir des images est donc à comprendre de deux façons totalement opposées. Ou bien il s’agit de la liberté qu’elles donnent et leur pouvoir n’est autre que celui qu’elles nous offrent d’exercer notre parole et notre jugement en ne nous imposant rien, ou bien il s’agit du pouvoir que nous laissons à ceux qui font voir et qui n’en laissent aucun à l’image et dès lors l’image disparaît, et notre liberté de jugement avec elle. Les images ne disent rien, elles font dire ».

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« La démocratie ne se fait pas dans la rue », Emmanuel Macron – « Si ! », Nous

La France est un des très rares pays où manifester son soutien aux gazaouis et son exigence de cessez-le-feu peut être interdit. Et où les manifestations sont encadrées et réprimées. Pourtant, la rue n’est jamais déserte de sens. En France notamment, elle est privatisée par l’esprit libéral et la marchandise.

En 2005, à l’aide de lunettes enregistrant son champ de vision, un journaliste a identifié en 90 minutes de déambulation 250 publicités de 100 marques différentes. Une étude datant de 2018 notait que chacun de nous était confronté en moyenne de 1200 à 2200 messages publicitaires par jour. C est à dire environ 100 par heure hors sommeil. Et cela a dû augmenter. Contre 200 dans les années 80.

La reconquête de notre tranquillité et libre arbitre dans l’espace public, face à sa privatisation et l’agression publicitaire, est un enjeu politique. La reconquête de la libre expression aussi.

Alors que l’affichage public est de plus en plus contraint, que les panneaux de libre expression, pourtant obligatoires, disparaissent, associations féministes, anti pub, graphistes, colleurs militants… se réapproprient l’espace public. Avec des images ou des slogans forts à l’inverse de la banalisation des événements dénoncés. Le but : sortir du ciblage, de l’entre-soi des réseaux sociaux, toucher le passant. Contester le monopole commercial de la rue. Interpeller sur des sujets ignorés par la sphère médiatique.

Tout le monde, à sa manière peut s’emparer de cette lutte. En auteur ou en diffuseur. Le site de Formes des luttes est une boîte à outils. Parmi d’autres. Emparons nous donc de la liberté que nous donnent les images libres.

Par Laurent Klajnbaum

Formes des luttes

Le site : https://formesdesluttes.org/

Instagram : https://www.instagram.com/formesdesluttes/?hl=fr

Twitter : https://twitter.com/FormesDeLuttes

Facebook : https://www.facebook.com/FormesDesLuttes

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