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Prison ferme dans 9 cas sur 10 suite aux nuits de soulèvements : récit de comparutions immédiates

Au Tribunal de Paris, dans 9 cas sur 10, la prison ferme en réponse aux soulèvements. Habitué des comparutions immédiates, je ne peux que constater une réponse carcérale plus lourde qu’à l’accoutumée. Une répression loin du laxisme judiciaire fantasmé par certains. Malgré la grève nationale des greffiers reconduite, 10 personnes viennent d’être jugées en comparution préalable à la 23 chambre correctionnelle, suite aux soulèvements de ces derniers jours.

Toutes étaient poursuivies pour des faits de vol (une pour recel), sauf une poursuivie pour avoir incendié une ambulance. Tous ont reconnu les faits. Beaucoup étaient des jeunes majeurs, la plupart étaient insérés professionnellement dans la société (sauf une personne SDF et une autre au parcours difficile).

Ils étaient pour certains pères et mère de famille, avec des enfants à charge de seulement quelques mois parfois. Certains avaient un casier vierge, sans antécédents, d’autres non. 9 personnes sur 10 ont été condamnées à une peine de prison ferme avec maintien en détention. La personne restante a été condamnée à 140 heures de travail d’intérêt général et 2 000 € d’amende (ainsi que le refus de la non-inscription de la peine à son casier, lui étant préjudiciable au vu de sa profession). Récit.

Deux accusés prêts à « remettre le tabac en place pendant [leurs] congés »

L’audience s’est ouverte avec deux jeunes majeurs, M. A et M. B, du chef de vol dans un magasin Boulanger. Niant initialement les faits, leur version était contredite par l’exploitation de la vidéosurveillance, où on les voit prendre un/des carton(s). Insérés, M. A a un casier vierge et M. B a un casier portant mention d’un stage de citoyenneté suite à un jugement par le tribunal pour enfants. Pour M. A, 10 mois d’emprisonnement sont requis, assortis du sursis probatoire, et 140 heures de travail d’intérêt général.

Pour M. B, ce sont 10 mois avec maintien en détention. M. A est condamné à 140 heures de TIG et 2 000 euros d’amende ; M. B, lui, à 10 mois d’emprisonnement avec maintien en détention, passant d’un stage de citoyenneté à un emprisonnement immédiat. En sus, 2 000 euros d’amende. L’audience s’est poursuivie avec M. C et M. D, du chef de vol de cigarettes dans un tabac. Insérés également, M. C avait été condamné en 2014 à 4 mois de prison avec sursis pour des faits similaires ou assimilés commis en 2012 et M. D avait un passé plus « chargé » mais se « tenai[t] » sage depuis 2016.

Les deux hommes reconnaissaient avoir volé des cigarettes, s’excusaient à plusieurs reprises auprès du buraliste, des policiers et se disaient prêts à s’engager auprès du buraliste pour « remettre le tabac en place pendant [leurs] congés », quand bien même ces derniers n’avaient commis aucune dégradation. Malgré des antécédents judiciaires différents, est requise pour M.C et pour M. D la même peine : 18 mois d’emprisonnement avec maintien en détention. M. C est condamné à huit mois d’emprisonnement avec maintien en détention. M. D est condamné à un an d’emprisonnement (et 2 000 € d’amende), avec maintien en détention également.

Tous jugés de manière très rapide, l’audience se poursuivait avec M. E et M. F., également poursuivis pour vol de cigarettes dans un tabac. L’un a été blessé par les forces de l’ordre pendant son interpellation et se voyait prescrire deux jours d’ITT. Les deux hommes, travaillant chez Amazon, reconnaissaient avoir « ramassé des cigarettes par terre », présentaient leurs « excuses auprès du commerçant » et demandaient à aller « réparer » et « nettoyer » le commerce après leur acte de « lâcheté ».

Le casier de M. E faisait état de deux mentions ne lui ayant pas valu un emprisonnement, celui de M. F était vierge. Est requis pour M. E huit mois de prison avec maintien en détention et pour M. F., dont le casier est vierge, huit mois d’emprisonnement, dont quatre mois avec sursis, avec maintien en détention pour la partie ferme. Le tribunal suit les réquisitions et condamne les deux hommes aux deux peines sus-mentionnées.

En outre, ils sont chacun condamnés à 2 000 € d’amende. Les deux hommes restent en prison. (Avant que le tribunal se retire pour délibérer (et condamner les prévenus aux peines indiquées supra), un homme était jugé pour le vol d’une chaine de cou. Il sera condamné à dix mois de prison avec maintien en détention, soit la même peine issue des réquisitions.) Le tribunal se retire donc pour délibérer et, à la reprise de l’audience, va juger encore trois hommes et une femme dans le contexte des soulèvements.

« Pas l’intention de voler », « les gens couraient partout »

L’audience reprend.

Est jugé M. G, un jeune homme de 18 ans, pour avoir incendié une ambulance (le véhicule était vide de tout occupant). C’est le seul qui sera jugé aujourd’hui pour autre chose qu’un vol. Cette affaire a quelque peu laissé le tribunal interrogatif quant au profil de M.G. M. G a indiqué être sorti de chez lui, le 30 juin à minuit, avec son petit frère de huit ans pour lui acheter des bonbons dans une épicerie. Il indiquait au tribunal que plusieurs personnes responsables de dégradations étaient venus le voir, lui demandant d’incendier ledit véhicule en le menaçant.

« Si tu ne le fais pas, on s’en prend à toi et ton petit frère » lui auraient-ils dit. M. G s’exécutait alors, disant avoir été « forcé ». Dans sa fouille, rien de compromettant n’était retrouvé. La personnalité de M. G est étudiée de manière très rapide : casier vierge, vit chez sa tante avec ses frères, en formation pour devenir électricien, enfance heureuse, pratique du sport, vit dans une famille aimante. Le tout donnant beaucoup de mal au tribunal à comprendre un tel geste. Dans ses réquisitions, le procureur de la République indique que les faits sont « tout à fait étonnants » du fait du profil de M. G, lequel est inconnu de la justice.

Il requiert toutefois, « compte tenu de la gravité des faits », une peine de 18 mois de prison, dont 10 mois avec sursis, avec maintien en détention pour la partie ferme. L’avocat de M. G indique que son client est, non seulement inconnu de la justice, mais également du TAJ (traitement d’antécédents judiciaires, ndlr), ce qui indique qu’il n’a jamais été en garde à vue par exemple. Le tribunal suit les réquisitions et condamne donc M. G à 18 mois de prison, dont 10 mois avec sursis, avec maintien en détention pour la partie ferme.

Dès l’annonce du verdict, la tante/mère (?) de M. G fond en larmes, de même que lui en entendant ses sanglots. Était ensuite jugé M. H, pour un recel dans un magasin Boulanger, pour une valeur d’environ 200 €. M. H disait ne pas avoir eu « l’intention de voler ». Il a alors spontanément récupéré des objets se trouvant au sol alors que la situation était très confuse sur place (« tout le monde courait partout »). Le casier de M. H faisait état de plusieurs mentions, notamment pour des délits routiers.

« Je me suis rangé depuis que j’ai mes enfants »

« Je n’ai pas commis de délit depuis longtemps » dit-il, ajoutant « je me suis rangé depuis que j’ai mes enfants ». M. H est inséré dans la société. Il est électricien et jeune papa de deux enfants (deux ans et sept mois). Le soir des faits, il était avec des amis, car sa femme et ses enfants étaient partis « en vacances ». M. H indiquait suivre de lui-même un suivi psychologique, du fait notamment d’une « enfance très difficile » ; il avait les larmes en yeux en évoquant le sujet. Sa femme, en vacances, n’est pas au courant de sa garde à vue et de son jugement.

Il craignait qu’elle l’apprenne et que cela fragilise son couple. Était requise une peine de 8 mois de prison avec maintien en détention. Son avocat indiquait que le vol n’était en rien caractérisé et proposait une peine mixte de quatre mois de prison avec sursis probatoire et une injection de soin, son client souffrant d’addictions, ou a minima une peine aménageable. Le tribunal rejetait des exceptions de nullité prises sur le fondement des articles 56 et 66 du Code de procédure pénale et condamnait M. H à quatre mois de prison avec maintien en détention. Sa femme en sera nécessairement informée. Mme I comparaissait à son tour, détenue, comme c’était le cas pour toutes les personnes aujourd’hui sauf une seule.

« Je viens du sud de la France, je suis en galère, à Paris dans la rue pour une femme c’est très difficile. J’avais peur de prendre encore des coups »

Auparavant dans un foyer pour femmes, elle est désormais dans un hôtel à vocation d’insertion dans le nord de Paris. Elle est jugée, elle aussi, pour des faits de vol à Boulanger. Elle indique que, selon ses mots, un « garçon de la cité » lui a intimé l’ordre, sur un ton menaçant, de voler des articles pour lui (« vas-y, dépêche-toi, ramène-nous des trucs, t’es chez nous ici », lui auraient-ils dit. « Je viens du sud de la France, je suis en galère, à Paris dans la rue pour une femme c’est très difficile. J’avais peur de prendre encore des coups », ajoutait-elle en pleurant.

Mme I était blessée par les forces de l’ordre lors de son interpellation (6 jours d’ITT). Son casier faisait état de quelques mentions. Ses deux parents étaient décédés (« ma mère est décédée dans mes bras »), et elle n’a pas vu ses enfants depuis 2019. Elle fond en larmes en le disant au tribunal. Elle avouait prendre du crack et « avoir honte ». L’enquête confirmait ses déclarations : l’exploitation de la vidéo-surveillance montre en effet un homme dans la rue lui intimer l’ordre d’aller récupérer des articles dans le magasin, montrant ce dernier avec son doigt.

Reconnaissant qu’un homme lui avait intimé l’ordre d’aller récupérer des articles sur un ton menaçant, le procureur de la République requérait toutefois une peine de huit mois d’emprisonnement, « pourquoi pas sous le régime de la semi-liberté, voire un aménagement de peine mais pas un maintien en détention ». L’avocat de Mme I indiquait que l’élément intentionnel faisait défaut en l’espèce. Le tribunal est allé au-delà des réquisitions concernant les modalités de la peine, prononçant une peine de quatre mois de prison avec maintien en détention (!), nonobstant la situation particulière de Mme I.

Pour aller plus loin : Meurtre de Nahel : pas de discours, des actes, justice

Faire « exprès » de voler, pour avoir « un toit », pour « manger », mais surtout pour lutter contre son addiction au crack

Dernière personne à être jugée,, M. J, sans domicile fixe. Il lui est reproché un port d’arme (un cutter), et le vol d’une paire de lunettes (d’une valeur de 250 €) dans une boutique OPTIC 2000.

Pour le cutter, il disait dormir « sur des cartons », et que ce dernier lui servait à les « découper ». Il reconnaissait le vol de la paire de lunettes (« le magasin s’est fait craquer, 600 paires sont parties, alors moi j’en ai pris une »). Il disait avoir « fait exprès » de voler, pour avoir « un toit », pour « manger », mais surtout pour lutter contre son addiction au crack, ne pouvant s’en procurer en prison (« toute la journée je fume et je bois, je fais que fumer ce putain de crack, c’est une dinguerie »).

Son profil est chaotique : rupture de lien avec sa famille, pas de suivi psychiatrique, addictions au crack et à l’alcool mais également 43 mentions à son casier dont 21 mentions pour des faits de vols (« je suis en prison depuis 1982 [ou 1992], j’ai fait 20 ans de prison »). Un assesseur lui dit : « vous êtes malade et vous ne voulez pas vous en sortir »

M. J sort de ses gonds et lui répond en hurlant : « j’ai volé exprès [pour aller en prison et ainsi arrêter sa consommation de crack], mets-moi à Fleury ! Le teubé que c’est lui ! », dit-il en s’adressant à l’assesseur. Il ajoute : « je l’ai insulté donc il va me mettre à Fleury ». Relativement désarçonné par l’attitude de M. J, le procureur de la République requérait à l’encontre de ce dernier huit mois de prison avec maintien en détention. En répression, le tribunal a condamné M. J a une peine de six mois de prison avec maintien en détention.

Une dernière personne comparaissait en début de soirée des chefs d’exhibition sexuelle et agression sexuelle au préjudice d’une jeune femme. Aucun lien avec les soulèvements. L’audience était poignante en ce que la partie civile se tenait à la barre pour témoigner, non sans difficulté. Malheureusement pour elle, l’homme – un sans domicile fixe visiblement addict au crack – n’apportait aucune justification et niait les faits (« je ne l’ai pas touché »). Il a été condamné à deux ans de prison avec maintien en détention, et interdiction du territoire français pour une durée de 10 ans, le tribunal ayant suivi à la lettre les réquisitions.

« Il y aurait tellement à dire en appel, mais cela ne vaut même pas le coup malheureusement »

21 heures. Fin de l’audience.

Pour avoir assisté à de nombreuses audiences en comparution immédiate, il y a lieu de relever une sévérité plus importante qu’à l’accoutumée. « On retrouve la même sévérité que pour les Gilets jaunes », m’a-t-on dit. Tous les prévenus, sauf un, comparaissaient détenus, et tous sauf un ont écopé d’une peine de prison ferme avec maintien en détention. Dans la grande majorité des cas, la peine prononcée était calquée sur celle des réquisitions. Parmi les personnes jugées aujourd’hui, aucune personne ne l’a été pour avoir commis des violences sur une personne dépositaire de l’autorité publique, ni pour avoir attaqué un commerce ou détruit un bâtiment public (école, mairie).

Tous étaient jugés pour des faits de vol (un pour recel), à l’exception d’une personne ayant incendié un véhicule. Les affaires se sont succédé rapidement, encore plus que d’habitude en comparutions immédiatew, et le contenu des débats, notamment celui des réquisitions, était au final peu juridique. En sortant de la salle, l’un des avocats présents à l’audience, et ayant notamment défendu l’une des rares personnes à être condamnée moins lourdement que la peine requise, me faisait part de sa consternation, mais ne se disait « pas surpris ».

Il me disait en outre : « il y aurait tellement à dire en appel, mais cela ne vaut même pas le coup malheureusement, car mon client, et ce n’est pas le seul, a été condamné à quatre mois de prison ferme avec maintien en détention, or quatre mois est le délai moyen pour être jugé en appel ».

Par Laawnik

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