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RÉCIT – À Besançon, l’extrême droite en embuscade contre le mouvement social

Alors que le gouvernement tente d’imposer aux Français sa réforme des retraites par une voie autoritaire, le mouvement social bat son plein. À Besançon, en plus de l’intersyndicale professionnelle qui organise fréquemment des actions, les étudiants se mobilisent. Le blocage de la faculté de lettres et sciences humaines (SLHS) est reconduit presque quotidiennement depuis 3 semaines en Assemblée Générale, et même pour quelques jours sur le campus Droit-Sciences et techniques. Du jamais vu depuis 15 ans.

Jeudi 16 mars 2023, le couperet tombe : préférant l’autoritaire article 49.3 de la Constitution au vote du Parlement, la Première ministre Élisabeth Borne et le Président Macron passent en force. L’exécutif passe encore une fois outre les oppositions au Parlement : même des députés macronistes se disent opposés au recours au 49.3. Spontanément, dans toute la France, des rassemblements ont lieu. A Besançon, le rassemblement se fait à 18h, devant la préfecture du Doubs, à deux pas de la faculté SLHS occupée.

De son côté l’extrême droite tente notamment… de s’introduire dans l’université et de forcer le blocus étudiant. Elle est en embuscade contre le mouvement social, Mais face à l’extrême droite, la rue fait bloc. Récit.

Une première tentative (ratée) d’intrusion

Durant le rassemblement, des individus d’extrême-droite tentent de s’introduire dans l’université et de forcer le blocus étudiant. Ils sont cependant stoppés dans leur démarche par des étudiants et des enseignants. Pour cause, ils sont pour certains bien identifiés. Parmi eux, on retrouve notamment Théo Giacone, ancien étudiant en Histoire, ancien cadre du RN et de la Cocarde Etudiante, dont il a été expulsé après avoir été mis en cause dans le vandalisme raciste de la statue de Victor Hugo devant la mairie de Besançon (il a d’ailleurs été récemment condamné pour cela).

Apprenant cela, les manifestants devant la préfecture décident de partir pour la faculté. Une fois arrivés devant l’université, les agresseurs d’extrême-droite prennent la fuite. Le cortège improvisé scande des slogans antifascistes et part en manifestation dans le centre-ville : on recense au moins 800 manifestants ce soir-là. Quelques heures plus tard, s’assurant d’être seuls, les membres du groupuscule d’extrême-droite les “ratons nationalistes” (fondé par d’anciens de la Cocarde étudiante) reviennent devant la faculté, volant au passage les banderoles créées par les militants de gauche. Ils ne manqueront pas de s’en vanter sur leur compte twitter, posant avec leurs prises de guerre, prétendant que « les AFA [antifas] ont perdu leur courage ». Ils semblent ne pas avoir vu les 800 personnes défilant devant la faculté après leur fuite… on se rassure comme on peut.

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Théo Giacone tentant de rentrer dans la fac bloquée. Lui et ses deux comparses sont stoppés par des étudiants et des professeurs

Face à l’extrême droite : la rue fait bloc

Le lendemain, vendredi 17 mars, 17h, a lieu une Assemblée Générale étudiante à la faculté SLHS sur la tenue ou non du blocus la semaine suivante. Vers 17h30, la présence de militants d’extrême-droite non loin de l’université est signalée. Quatre militants se rendent à l’endroit indiqué, à l’angle de la rue de la Vieille Monnaie et de la rue Ernest Renan. Là, se trouvent pas moins de 9 individus d’extrême-droite… dont, encore une fois, Théo Giacone. Après avoir été averti que la police municipale se trouvait juste à côté, celui-ci se contente de provoquer les militants en leur proposant un combat en « 4 VS 4 ». Au moins, leur objectif a le mérite d’être clair : tendre une embuscade à des étudiants et/ou militants de gauche, avec, comme finalité, en découdre physiquement avec eux.

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Près de la fac de lettres de Besançon, 9 personnes d’extrême droite, dont Florent S (à gauche) et Théo Giacone (à droite)

La nouvelle se répand jusqu’à l’AG, qui s’interrompt en apprenant la nouvelle. Comme un autre rassemblement était alors prévu à 18h devant la préfecture, les personnes présentes à ce dernier se rendent de nouveau devant la faculté SLHS, rejoignant les étudiants indignés par cette nouvelle tentative d’agression. Encore une fois un cortège improvisé s’élance dans le centre-ville. Plus tard, vers 19h, le cortège revient près de la faculté. L’accès à la préfecture est bloqué par les CRS, mais l’attention des manifestants est vite détournée par les mêmes brutes d’extrême-droite. Attaquant le cortège, elles frappent un manifestant, pompier de son état, pour tenter de lui voler sa banderole.

Poursuivis par des militants antifascistes à travers la place Granvelle, les militants d’extrême droite sont rattrapés devant la faculté SLHS. La banderole est récupérée. Choqué par ces nouvelles effusions, le cortège décide de partir devant le “Shake Pint”, bar s’étant déjà illustré pour accueillir des activistes d’extrême-droite. Des slogans antifascistes y sont scandés, puis la manifestation repart derechef en ville. Arrivant rue Bersot, connue pour son nombre important de bars, le cortège est de nouveau attaqué. Les images filmées par la journaliste indépendante Emma Audrey montrent un néonazi s’en prenant à des manifestants … avant que ces derniers ne le rejettent aussi sec, le laissant s’enfuir.

D’après le journaliste Toufik de Planoise, il se serait même réfugié derrière les policiers de la BAC non loin. Ce même journaliste, après enquête, déduit qu’il s’agit d’un des hommes tendant une embuscade quelques heures plus tôt aux abords de la Fac’, un certain Florent S. Son identité est d’ailleurs indirectement confirmée par son ancien employeur, qui affirme que Florent S. a « juste effectué un stage » dans sa pâtisserie, précisant par ailleurs que lui et son entreprise « ne partagent évidemment pas ses opinions ». Que penser des « opinions » d’un agresseur néonazi dont le pseudo de compte twitter (aujourd’hui malheureusement supprimé) était “Lagestapo25” ?

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Twitter aujourd’hui supprimé de Florent S.

Bien sûr les activistes d’extrême-droite se sont empressés de se vanter de leurs exploits sur les réseaux sociaux : ils font passer leur comparse pour un héros, avec son combat en “1VS50”… eux qui provoquaient des militants à 9 contre 4 le jour même.

Ils ne semblent pas avoir compris qu’après un an et demi d’agressions, de menaces (un résumé ici), les bisontins et bisontines sont lassés des exactions de l’extrême-droite dans leurs rues. Quand ils osent se montrer en manifestation, les groupuscules d’extrême-droite sont vite repérés, isolés et éjectés.

Ces évènements nous rappellent que, dans la rue comme dans nos institutions, l’extrême-droite ne sert à rien, sinon à défendre, parfois par la force, les intérêts du capital. Car s’attaquer à des manifestations et des blocages d’opposants à la réforme des retraites, qu’est ce d’autre que de défendre les intérêts des grands fonds de pensions privés qui n’attendent qu’une chose : privatiser l’immense manne socialisée dans notre système de répartition hérité du Conseil National de la Résistance ?

Les élus macronistes et leurs réactions : les brèches dans le barrage républicain

Ces dernières semaines ont aussi montré l’aveuglement d’une partie du monde politique et médiatique quant aux violences d’extrême droite. Par exemple, dans son article dédié, l’Est Républicain ne mentionne pas l’intervention des nazillons…ce qui ne l’avait pas empêché quelques jours auparavant de dresser un portrait à charge des étudiants bloquant leur université et luttant pour la défense de leurs retraites. À propos de ce dernier article, celui-ci a fait réagir les députés bisontins. S’engouffrant dans la brèche, le député Eric Alauzet (Renaissance) publie plusieurs tweets consternant. Le 13 mars il dit « Après l’extrême-droite qui s’attaque à Victor Hugo, c’est l’extrême-gauche qui annexe nos universités. Aucune complaisance face aux extrêmes ! ». Le tout pour un simple drapeau, comparable, selon lui, à des tags racistes.

Après la publication de l’article de l’Est Républicain, il récidive : comme ce dernier, il s’« interroge ». Reconnaissons-lui néanmoins sa condamnation de l’agression néonazie du 17 mars : il espère une sanction « après que la justice et la police aient mené leur travail »…Cette même police qui a assisté à la scène sans broncher ? Cette même justice qui, quelques semaines auparavant, condamnait très légèrement un vandalisme raciste devant la mairie de Besançon (la maire (EELV) Anne Vignot s’était elle-même dite “extrêmement déçue” par ce verdict) ? Du côté de l’autre député de Besançon, le MoDem Laurent Croizier, la réaction est moins spontanée cependant. Il a fallu qu’un élu municipal EELV l’interpelle sur Twitter pour que le député sorte une paresseuse condamnation des « violences et discours de haine, qu’ils viennent de l’extrême-droite comme de l’extrême-gauche ».

Renvoyer dos à dos “les extrêmes” montre une méconnaissance totale de ce qu’il se passe sur le terrain : comment mettre sur le même plan un drapeau sur le fronton d’une université lors d’un blocage et plusieurs agressions en une soirée contre des manifestants ? Fort heureusement, moins d’ambiguïté du côté de la gauche locale, comme pour l’ancienne adversaire de M.Croizier aux législatives, Séverine Véziès (LFI), ou encore du côté des organisations de jeunesse. D’autant que Laurent Croizier est mal placé pour donner des leçons de « barrage aux extrêmes », lui qui, très récemment, a cosigné un amendement du…Rassemblement National !

Entre menaces et tentatives d’intimidation sur les réseaux sociaux ou au coin d’une rue, ce groupuscule de nazillons s’apparente plus à une bande de gamins, plus intéressés par la violence et le racisme qu’autre chose. On peut cependant dire qu’ils ne s’attendaient pas à se faire recevoir de la sorte par les manifestants, y compris les jeunes, après un an et demi d’exactions et d’agressions de la part de l’extrême-droite.

Outre le danger de plus en plus concret de l’extrême-droite pour notre démocratie, on voit les macronistes jouer à un jeu de plus en plus dangereux. En mettant sur un pied d’égalité « les extrêmes » (comprendre : toute l’opposition, de gauche ou d’extrême-droite), par un calcul cynique, le camp présidentiel continue toujours de plus de dédiaboliser le RN. Jusqu’à quel point ?

La lutte contre la réforme des retraites aura certes fait sortir dans les rues des millions de Français, exaspérés de voir les néolibéraux casser leurs services publics, précariser leur travail et leurs conditions de vie. Mais dans le même temps, les plus bas instincts de la macronie se sont réveillés : 49.3, répression policière de plus en plus dure… Et c’est dans ce contexte trouble que la bête immonde, l’extrême-droite, tente de prendre nos rues, mais elle se heurte néanmoins au rejet unanime du mouvement social.

Par Alexis Poyard