Besançon

Saluts hitlérien, « sieg heil ! », un cortège néo-nazi défile en pleine rue à Besançon

Dans la nuit du 27 au 28 août, un véritable défilé néonazi a eu lieu dans les rues de Besançon. Saluts nazis, tapage nocturne du style « Besançon est national-socialiste », « Sieg Heil », insultes proférées contre des clients en terrasses… Le tout étant suivi de réactions pour le moins tièdes des autorités locales et du responsable du bar le Shake Pint, connu pour accueillir régulièrement des militants d’extrême droite.

Depuis la rentrée 2021, et surtout du fait de la candidature d’Éric Zemmour à l’élection présidentielle, l’extrême-droite bisontine semble se déchainer. Affichages sauvages, profanation de mosquée, agressions lors de meetings, et même un défilé néonazi en guise de goûter d’anniversaire. Tels sont les évènements qui salissent la vie politique et militante dans la Boucle (le centre-ville de Besançon) et en dehors. Notre article.

Le Rassemblement National, vivier de pseudos-dissidents

Besançon est aujourd’hui une ville plutôt ancrée à gauche. La maire Anne Vignot y a été élue en 2020 avec l’étiquette EELV. Jean-Luc Mélenchon a récolté 32 % des suffrages au premier tour de l’élection présidentielle, loin devant les autres candidats. Mais cela n’a pas empêché la ville de subir des agressions de l’extrême-droite, comme en 2015 lors l’attaque de la librairie associative l’autodidacte.

Les affichages de la Cocarde étudiante (« syndicat » étudiant d’extrême droite) commencent dès septembre 2021. Le plus souvent de nuit, sur les trois campus de Besançon. Sur le compte Twitter de la Cocarde Franche-Comté, trois visages et trois noms reviennent beaucoup. Le premier est Steven Fasquelle. Il est aujourd’hui encore responsable de Génération Nation, l’organe jeunesse du Rassemblement National (RN). Il est également collaborateur du député RN de Haute-Saône Emeric Salmon (à en croire son compte Twitter) et conseiller municipal en Franche-Comté.

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Steven Fasquelle (au milieu de la première photo) et Théo Giacone (à droite) en compagnie de colleurs de la Cocarde Etudiante (source : Twitter)

On y trouve également Jean-Baptiste Batifoulier, plusieurs fois candidat aux élections locales. D’origine jurasienne, il est étudiant en droit à Besançon. Il relie « viols » et « musulmans » dans sa rhétorique xénophobe et islamophobe, selon le site Dijoncter.info. Puis vient Théo Giacone, étudiant en histoire à Besançon. Cet ancien cadre local du RN a depuis rejoint Reconquête !, le parti d’Éric Zemmour. Selon lui, par pure proximité idéologique. À moins que sa proximité avec les milieux néonazis bisontins n’aie gêné le parti de Marine Le Pen. Il demeure responsable de la Cocarde en Franche-Comté.

D’autres viennent s’ajouter. Citons notamment Quentin Le Derout, un autre membre du RN condamné pour avoir profané une mosquée. Ou encore Rémi K., photographié de nuit dans les locaux de la faculté de Lettres de Besançon, collant des autocollants pro-Zemmour. On le voit avec une bombe lacrymogène à la ceinture sur une publication Instagram de Génération Z du Doubs (les jeunesses zemmouriennes) . Publication supprimée aujourd’hui, mais qui a été conservée.

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Rémi K. Dans les locaux de l’université de Besançon, site de Mégevand, devant le Restaurant Universitaire, une bombe lacrymogène à la ceinture (source : Kawa TV)

Enfin, il y a Sébastien Archambault, un énième ex-RN, responsable de Génération Z sur place. Il se veut être la vitrine de l’extrême droite bisontine car il n’est pas membre de la Cocarde. Cela n’empêche pas l’étudiant en droit propre sur lui d’entretenir une « amitié » Facebook avec le chantre du Grand Remplacement : Renaud Camus. Tout ce petit monde vient ainsi du Rassemblement National ou y est encore. Dans nos colonnes, nous étions revenus sur ce sujet dans un article s’intitulant « Mais qui se cache derrière Marine Le Pen et Éric Zemmour ? ».

Lorsqu’ils étaient encore au RN, Batifoulier et Giacone ne rataient pas une occasion de poser avec Julien Odoul, l’humiliateur de mères accompagnatrices de sorties scolaires et nouveau député RN. Voire avec Marine Le Pen pour le deuxième. « Fidélité » avait écrit Giacone en commentaire d’un tweet (aujourd’hui supprimé mais que nous nous sommes procurés) comportant une photo de lui avec Marine Le Pen… un mois avant son ralliement à Eric Zemmour !

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De gauche à droite : Julien Odoul (maintenant député, à l’époque conseiller régional RN), Théo Giacone, Jacques Ricciardetti (aujourd’hui conseiller régional de Bourgogne-Franche-Comté), Jean-Baptiste Batifoulier en 2020 (source : Dijoncter)
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Théo Giacone en compagnie de Marine Le Pen, tweet datant d’un mois avant son ralliement à Eric Zemmour et rapidement supprimé (source : Twitter)

Des affinités néonazies et un amour commun de la bagarre

Cette radicalité ne se fait pas seulement sentir dans le choix d’allégeance entre un parti d’extrême-droite ou un autre, mais aussi dans les autocollants affichés. Un beau matin de mars 2022, des étudiants découvrent des stickers « VDL BSK » à proximité des autocollants Zemmour et Cocarde. C’est l’acronyme de Vandal Besak, groupuscule néonazi. Des autocollants qui n’étaient pas là la veille, tandis que les militants de la Cocarde Franche-Comté se vantaient le jour même de leur collage en ville. Même dans leurs actions « coups de poings », les affinités entre membres de la Cocarde et Vandal Besak sont manifestes.

Le 1er mars dernier a lieu un meeting de l’Union Populaire avec François Ruffin, Leïla Chaïbi et Sébastien Jumel. Trois militants et sympathisants d’extrême droite sont présents, dont Rémy K. Ils ont passé une heure au meeting sur leurs téléphones avant de s’en aller. Après la fin du meeting, un journaliste indépendant, Toufik de Planoise et l’une de ses amies sont verbalement agressés par Théo Giacone et Alexandre Meuret, membre des Vandal Besak. Ils sont passablement éméchés d’après le témoignage des victimes.

Les mêmes individus s’illustrent une semaine plus tard lors d’un meeting de Philippe Poutou. Un militant du NPA se fait frapper par le même Meuret, entouré de six autres militants d’extrême-droite. Ils sont tous retrouvés par la police quelques instants plus tard en terrasse. Cependant seul Meuret est arrêté, testé à plus d’un gramme d’alcool dans le sang, ce que le procureur considère comme circonstance aggravante. Son domicile est perquisitionné : un brassard frappé d’une croix gammée et une matraque télescopique y ont été retrouvés. Le procureur de la République de Besançon, qui a écarté la préméditation malgré une story Instagram de Giacone laissant peu de place au doute, ne poursuit pas les complices de l’agresseur.

En matière de bagarre, ces militants semblent rodés. Interrogé dans sa story Instagram sur ses débuts chez Génération Z, Théo Giacone a annoncé tranquillement qu’il « les forme au combat » dans une forêt près de Besançon. Ils ont même été aperçus par des promeneurs près de Montfaucon (Doubs). Juste après cette publication, une photo des Vandal Besak est publiée. Les visages y sont floutés, mais l’endroit ressemble fort au terrain d’entraînement de GZ, et les vêtements de certains correspondent à ceux de la première photo de Giacone.

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Publication Instagram de Théo Giacone (1), comprenant aussi Rémi K. (2) Et Romain J.(3) (avec en commentaire une référence de R.J. au bataillon néonazi ukrainien Azov)
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Séance d’entraînement des Vandal Besak. On remarque une forte ressemblance entre les tenues de Théo Giacone, R.K. et R.J. et les personnes A B et C sur la photo ci-dessus

Cette saine pratique sportive semble même donner des ailes à certains d’entre eux, du moins sur les réseaux sociaux. On n’est jamais trop prudent. Sur Instagram par exemple, un autre zemmourien, Romain J., propose un « un contre un MMA [Multiples Arts Martiaux, sport de combat, NDLR] sans règles » à une militante féministe. Règle n°1 du vrai combattant : toujours menacer caché derrière son écran. De toute manière, lorsqu’ils ont la possibilité de mettre en scène leur virilité, cela tourne à la débandade et à la farce ridicule. 

« Pas de fachos dans nos quartiers ! » 

Lors d’une manifestation contre le pass sanitaire en août 2021, alors que des néonazis bisontins et bourguignons tentent de s’infiltrer dans le cortège anti-pass, ceux-ci sont sans ménagement dénoncés par les autres participants, syndicalistes notamment. Ils finissent la manifestation isolés et hués. Le cas le plus récent de rejet de la population des militants et idées d’extrême-droite remonte au 1er mai dernier. Alors que les manifestants pour les droits des travailleurs et travailleuses arrivent sur la place du 8 Septembre (au centre de la Boucle), des fumigènes rouges sont allumés, une banderole frappée de « Gauchos collabos » est déployée aux cris de « On est chez nous ! ».

À la manœuvre, au moins deux militants de la Cocarde reconnus comme étant Théo Giacone et Rémy K. Ceux-ci sont cependant vite interceptés par la police, leurs papiers contrôlés : l’opération est un pétard mouillé. Même chose du côté des Vandal Besak (dont Alexandre Meuret) et Infréquentables Dijon, venus spécialement pour l’occasion, qui, après s’être infiltrés dans le cortège, sont vite repérés et isolés du reste de la manifestation aux cris des manifestants scandant « Siamo tutti antifascisti » (Nous sommes tous antifascistes), l’un d’eux se fait même cracher au visage lors de son départ. 

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Théo Giacone et Rémi K. Contrôlés par les forces de l’ordre lors de la manifestation du 1er mai 2022
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 Alexandre Meuret lors de la manifestation du 1er mai 2022 à Besançon

Un défilé néonazi en pleine rue à Besançon !

L’été 2022, malgré ses sécheresses, n’empêche pas les militants d’extrême droite de braver les canicules. Lors de la campagne législative, une affiche du candidat NUPES Stéphane Ravacley, connu pour sa grève de la faim contre l’expulsion de son apprenti guinéen, a été taguée d’une croix gammée.

Devant le tribunal de Besançon, le journaliste Toufik de Planoise est agressé par Théo Giacone et un autre militant d’extrême droite. La police, qu’une vidéo montre présente dès le début de l’agression, n’intervient qu’au dernier moment. L’affaire est reprise par Libération. Giacone y est formellement identifié en tant que responsable de la Cocarde Franche-Comté.

Le point d’orgue de cette saison d’extrême-droite a lieu dans la nuit du 27 au 28 août, avec un véritable défilé néonazi dans les rues de Besançon, pour fêter les 22 ans de Théo Giacone. Saluts nazis, tapage nocturne du style « Besançon est national-socialiste », « Sieg Heil », insultes proférées contre des clients en terrasses… Le tout étant suivi de réactions pour le moins tièdes des autorités locales et du responsable du bar le Shake Pint, connu pour accueillir régulièrement des militants d’extrême droite. Le gérant du bar déclare en effet ne « pas faire de politique » ; cela serait de la « discrimination » d’empêcher ces militants de rentrer dans son établissement, alors qu’il reconnaît savoir « très bien qui ils sont ». 

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Photographie postée sur le fil Telegramme d’extrême droite « Ouest Casual » le soir du 17 août 2022

Ainsi, si elle fait des scores faibles localement (voir les résultats des élections municipales et présidentielle), l’extrême droite semble compenser son manque de poids électoral à Besançon par la constitution de groupes « d’action », plus portés sur le collage furtif de nuit et l’intimidation de militants de gauche que sur la prise du pouvoir par les urnes. Cela se voit par le fait que bon nombre de militants à la Cocarde étudiante locale ou de Génération Z sont passés (ou sont encore) au RN.

La figure de respectabilité fournie par l’image d’un parti à l’ampleur se voulant nationale fournit une bonne vitrine, qu’elle soit lepéniste ou zemmourienne, à l’extrême-droite. La photo où l’on aperçoit par exemple Théo Giacone faire un salut nazi en soirée date de 2019, mais ce dernier n’a quitté le RN que début 2022. Durant ces trois dernières années, il a eu le temps d’être candidat local du RN en 2021. Une autre raison que l’on pourrait avancer de la montée de ces groupuscules est la relative passivité des autorités locales face à ces actions.

La maire Anne Vignot (EELV), qui admet que « ce n’est pas la première fois qu’il y a des néonazis qui viennent provoquer », assure que ces actions seront combattues « sur le droit », mais sans plus de détail… De même aucune réaction de la part des deux députés Croizier (MoDem) et Alauzey (Renaissance) dont les circonscriptions se trouvent sur le territoire de la commune (respectivement les circonscriptions 2501 et 2502).

De la même manière au niveau national, si le député insoumis Antoine Léaument a par exemple réagi au défilé du 27 août dernier, les réactions dans la minorité présidentielle et dans le gouvernement, notamment le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, se font attendre. Pour s’acoquiner avec le RN au Parlement, la macronie semble totalement assumer son virage droitier. Mais lorsqu’il s’agit de contrer concrètement des groupuscules violents, le gouvernement semble être dans la mollesse.

Par Alexis Poyard