14 novembre 2022. Pour Gérald Darmannin et Emmanuel Macron, c’est le grand jour. Ce lundi débutait à l’Assemblée nationale l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur : la LOPMI. Déjà passée par la case Sénat au mois d’octobre, cette loi fixe les grandes orientations du ministère de l’Intérieur pour les cinq années qui viennent. Conclusion ? La macronie persiste dans ses dérives autoritaires.
Au programme du texte notamment, l’instauration d’amendes forfaitaires délictuelles (AFD) de 500 à 1000€ pour l’occupation d’un établissement scolaire, et de 800 à 1600€ pour l’entrave volontaire à la circulation. À l’heure où la réforme des retraites pointe le bout de ses griffes, Macron a peur. Pour rien au monde il ne revivrait un épisode de mobilisation sociale équivalent à celui des Gilets Jaunes ou au mouvement historique contre la réforme des retraites de 2019. Il sait pourtant que 79% des Français sont contre sa réforme des retraites. Alors, il réprime. Notre article.
La LOPMI 2022 : entre flou artistique et lubie sécuritaire
15 milliards d’euros. C’est le montant de l’augmentation du budget du ministère de l’Intérieur prévue par la LOPMI. Il y a comme un problème avec cette somme. De l’aveu du ministre de l’Intérieur lui-même, on ne sait en réalité pas exactement où sera alloué cet argent supplémentaire. Comme si Gérald Darmanin avait réclamé à Bercy des moyens plus grands, avant même de savoir ce qu’il comptait en faire.
Malgré ce flou, la LOPMI renseigne explicitement sur les projets sécuritaires du gouvernement. Le texte prévoit par exemple d’équiper les policiers d’exosquelettes, et d’aggraver les peines pour refus d’obtempérer. Ce, alors même qu’il n’y a pas de lien entre augmentation de la peine et commission des délits. Pour restaurer la confiance de la population dans ses forces de l’ordre, on a vu mieux.
On sait aussi que l’article 14 de la LOPMI prévoit la création de nouvelles amendes forfaitaires délictuelles (AFD). Concrètement, les AFD sont des amendes prononcées par un policier, inscrites au casier judiciaire, pour sanctionner un délit habituellement jugé devant un tribunal. Instaurées en 2016, les AFD sont en d’autres termes des sanctions pénales par lesquelles un policier se substitue au juge, en infligeant une amende à un individu soupçonné d’avoir commis un délit. Un tel régime pose problème.
Les amendes forfaitaires délictuelles (AFD) rompent avec le principe d’égalité devant la justice
Une telle simplification de la procédure pénale contrevient à au moins à trois principes du droit français. D’une part, les AFD substituent à la présomption d’innocence une présomption de culpabilité complètement hors des clous de l’État de droit. D’autre part, une telle procédure contrevient au principe du contradictoire, c’est-à-dire au droit à être défendu par un avocat. Enfin, les AFD font entièrement fi du principe d’individualisation de la peine. A contrario, au terme d’un procès, des circonstances aggravantes ou atténuantes peuvent être retenues. Tous ces garde-fous à une répression discrétionnaire des citoyens, le régime des AFD les abolit. Et « en même temps » il renforce le pouvoir arbitraire des agents verbalisateurs.
Comme l’a rappelé la présidente du groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale Mathilde Panot, personne ne s’y trompe. La Ligue des Droits de l’Homme, le Syndicat des avocats français et le Syndicat de la magistrature s’insurgent d’un tel procédé : « L’extension de l’AFD doit être combattue car elle produira une explosion statistique des condamnations donnant satisfaction aux « sécuritaires », sans individualisation de la réponse pénale, la privant ainsi de son efficacité sociale ; tout au contraire, la multiplication des peines financières automatiques ne peut que contribuer à nourrir le ressentiment face à une telle injustice et nuire à la paix sociale. ».
Des amendes au faciès
Les AFD, en plus d’être injustes, sont largement inefficaces et discriminatoires. À l’image des problèmes posés par les contrôles d’identité, ces amendes touchent toujours les mêmes : les jeunes racisés, et les Gens du voyage. La Défenseure des droits elle-même fait part de son inquiétude dans un avis du mois d’octobre. Elle pointe le fait que les AFD « comporte(nt) également un risque de pratiques discriminatoires ».
S’attaquer directement au portefeuille des plus démunis créé des phénomènes de surendettement, alimentant en retour la délinquance, et rendant impossible la réinsertion. En outre, les AFD annihilent la portée dissuasive de la longueur, de la pénibilité, et de la solennité du processus judiciaire.
En parlant de processus judiciaire, l’argument central des défenseurs des AFD – dont le gouvernement fait partie -, est qu’elles permettraient de désengorger les tribunaux. Vraiment ? Alors quid des amendes prévues par la LOPMI pour punir les occupations de lieu d’études et l’entrave volontaire à la circulation ? Aucun tribunal en France n’est engorgé par des citoyens ayant participé à ce genre d’action.
Et pour cause : de telles mobilisations participent en réalité de contestations légitimes, éminemment démocratiques. Les agents de Police eux-mêmes ne s’y trompent pas. La véritable motivation d’Emmanuel Macron serait en réalité beaucoup moins assumée, beaucoup plus dangereuse surtout.
Macron s’attaque au droit de manifester
Hier soir était débattu à l’Assemblée Nationale l’article 14 de la LOPMI, article dans lequel est contenue la création de plusieurs nouvelles AFD. Parmi-elles, deux font peser une atteinte grave à la démocratie et au droit de manifester. Tout cela le jour anniversaire des Gilets Jaunes.
D’abord, Emmanuel Macron veut punir d’amendes de 500 à 1000€ majorés l’intrusion dans un établissement scolaire. Il s’attaque ainsi à tout lycéen majeur qui voudrait, par l’occupation de son lycée, protester contre sa politique de maltraitance sociale. Le gouvernement aurait eu à l’esprit de punir aussi les étudiants occupant leur université. Mais Gérald Darmanin a lui-même été contraint de le rappeler hier à l’Assemblée : la Cour de Cassation a reconnu par deux arrêts de 2012 que les universités ne sont pas des établissements scolaires.
D’autre part, après un amendement du rapporteur de la LOPMI – le député Renaissance (ex-LREM) Florent Boudié -, la loi prévoit de punir d’amendes de 800 à 1600€ majorés toute entrave volontaire à la circulation. Ce, sont directement les militants écologistes et les Gilets Jaunes qui sont visés. Emmanuel Macron sait qu’il s’attaque à des modes de mobilisation qui ont fait leur preuve. Il sait aussi une très large majorité des Français ne veut de sa réforme des retraites. Le peuple pourrait se dresser contre lui.
Un arsenal législatif répressif qui prépare la réforme des retraites
Cette criminalisation de la contestation n’arrive pas n’importe quand. La réforme des retraites est prévue pour janvier. Élisabeth Borne a avoué par son silence qu’elle n’excluait pas de faire passer la réforme du gouvernement par un amendement au budget de la sécurité sociale. Emmanuel Macron se prépare. Il se prépare à réprimer la contestation d’une réforme dont il sait que personne ne la souhaite, et sur la base de laquelle il n’a pas été élu.
Les amendes pour occupation des lieux d’études et entrave à la circulation prévues par la LOPMI sont les plus élevées prévues par le texte. Elles ne sont pas proportionnelles à ce qui se fait par ailleurs. Par exemple, l’amende prévue pour dégradation de bien est de 30 000€ maximum dans le cadre d’une procédure judiciaire classique, et passe à 200€ d’AFD. L’entrave à la circulation est de son côté punie de 4500€ d’amende dans le cadre d’une procédure judiciaire classique, et passe à 800€ d’AFD.
De tels écarts montrent bien que le gouvernement veut frapper le plus durement celles et ceux qui entreraient en mobilisation contre son cruel projet de réforme des retraites. Il prépare dès maintenant son arsenal de répression. Il le prépare d’ailleurs main dans la main avec le Rassemblement National, qui propose d’augmenter les amendes pour récidive dans l’entrave à la circulation.
Une pétition lancée par Antoine Léaument
Cette semaine, le député LFI Antoine Léaument a lancé une pétition pour s’opposer aux amendes de Macron. Elle a déjà récolté près de 20 000 signatures, et appelle les députés à voter les amendements de suppression des AFD prévues par la LOPMI.
4 ans après les Gilets Jaunes, Emmanuel Macron veut punir d’amendes ceux qui s’opposent à lui. Un tel autoritarisme ne peut pas passer.
Par Eliot