Giorgia Meloni

Qui est Giorgia Meloni, la néofasciste qui s’apprête à gouverner l’Italie

Giorgia Meloni. Retenez bien ce nom. Cent ans après la marche sur Rome et l’arrivée au pouvoir de Benito Mussolini, les héritiers du fascisme ont remporté les élections législatives en Italie ce dimanche. La coalition de droite et d’extrême-droite dirigée par le parti postfasciste Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni, rassemblant la Lega de Matteo Salvini et Forza Italia de Silvio Berlusconi, obtient, avec plus de 44 % des suffrages, une majorité claire et nette, à la Chambre des députés et au Sénat.

Pour la première fois, une des plus grandes économies de l’Union européenne sera donc dirigée par l’extrême droite. Qui est Giorgia Meloni ? Comment a-t-elle réussi à transformer un micro-parti d’extrême droite en la principale force du paysage politique italien ? Et que fera-t-elle si elle devient Première Ministre ? Notre article.

Fratelli d’Italia, parti pour faire vivre les Mussoloni

Commençons par dissiper toute ambigüité sur le séisme qui vient de se produire en Italie ce dimanche septembre 2022. Si la coalition électorale que les médias et commentateurs politiques italiens s’entêtent à appeler de « centre-droit » ratisse large, allant de la démocratie chrétienne à l’extrême droite, c’est bien un parti néofasciste qui est appelé pour la première fois à la dominer, et très nettement.

Né en 2012, Fratelli d’Italia s’inscrit de fait dans la continuité historique du Mouvement social italien (MSI) fondé en 1948 pour faire perdurer les idées du Duce. Bien qu’il se distingue de formations ouvertement néofascistes, comme Forza Nuova ou CasaPound, se présente comme « conservateur » et se défende d’avoir des sympathies pour Mussolini ou Hitler, le parti cultive les références à l’héritage fasciste italien, à commencer par la flamme tricolore représentée dans le logo du parti.

Ces dernières années, il a compté parmi ses représentants l’arrière-petit-fils du Duce Caio Giulio Cesare Mussolini, candidat aux européennes en 2019, mais aussi sa petite-fille Rachele Mussolini, qui a obtenu le plus grand nombre de voix aux municipales de Rome en 2021. L’honneur, l’identité italienne, la religion, la défense de la famille traditionnelle et de la nation face au déclin civilisationnel et au risque migratoire sont des valeurs omniprésentes dans les discours du parti.

Giorgia Meloni, l’ascension politique d’une néofasciste

Giorgia Meloni a d’ailleurs fait ses premiers pas en politique à quinze ans au sein du Front de la jeunesse, l’organisation des jeunes du MSI, avant de rejoindre l’Alliance nationale de Gianfranco Fini, née en 1995 sur les cendres du MSI, où elle devient responsable du mouvement de jeunesse (Azione Giovani). À l’époque, Meloni affirme sans complexes que Mussolini avait été « un bon politicien », et même le « meilleur politicien de ces cinquante dernières années ».

En 1998, à 21 ans, elle est élue conseillère de la province de Rome ; en 2006, à 29 ans, elle devient la plus jeune députée au Parlement puis la plus jeune vice-présidente de la Chambre des députés ; deux ans plus tard, elle est la plus jeune ministre de l’histoire du pays. Pendant trois ans (2008-2011), Giorgia Meloni est chargée du ministère de la jeunesse sous un gouvernement de Berlusconi qui rassemblait déjà les mêmes formations que celles de la coalition d’aujourd’hui, mais où l’extrême droite était très minoritaire.

Après la crise financière de 2008 doublée des scandales sexuels et des procès qui affectent alors Berlusconi, le parti formé par l’Alliance nationale et Forza Italia, Il Popolo della Libertà, décide de soutenir le gouvernement technocratique de l’économiste Mario Monti, chargé sous les auspices de Bruxelles de réformer le pays à marche forcée. Une partie des anciens de l’Alliance nationale quitte ensuite le parti, et c’est alors que Giorgia Meloni fonde, avec Ignazio la Russa et Guido Cossetto, Fratelli d’Italia.

Dédiabolisation et conquête du pouvoir

Sous l’impulsion de Giorgia Meloni, présidente du parti depuis 2014, Fratelli d’Italia a su depuis quelques années dédiaboliser son image et se donner des airs de modernité. D’abord, elle tente de faire oublier les liens historiques entre son parti et le fascisme italien. Elle affirme que le fascisme n’existe plus, purge du parti les militants et cadres qui glorifient trop ouvertement Mussolini ou Hitler. Le parti insiste par ailleurs sur son attachement à la démocratie et au respect des institutions, et joue de références à des auteurs de gauche ou démocrates comme Berthold Brecht, Hannah Arendt, Pier Paolo Pasolini, ou encore la partisane Tina Anselmi.

Et en même temps, Giorgia Meloni et son parti continuent de faire des clins d’œil aux nostalgiques du fascisme, et les liens perdurent de manière souterraine. Il n’est pas anodin, par exemple, que Meloni refuse de célébrer le 25 avril, l’anniversaire de la libération de l’Italie, symbole de la Résistance et de la victoire contre le régime de Mussolini et l’occupation nazie. Le parti est par ailleurs soupçonné d’avoir reçu des financements non-déclarés de donateurs se revendiquant ouvertement des idéologies néonazie et néofasciste ; une enquête a été ouverte à ce sujet par le parquet de Milan.

Giorgia Meloni, fausse féministe

Paradoxalement, Meloni a également su mettre en avant le fait d’être une femme, notamment en rappelant fréquemment sa carrière fulgurante en politique, plutôt remarquable pour une si jeune femme. En 2016, lorsqu’elle se présente aux élections municipales de Rome, elle fait campagne enceinte et répond habilement aux commentaires sexistes de ses rivaux sur sa capacité à assumer son mandat tout en élevant un enfant : « Dans une ville qui a comme symbole une louve qui allaite des jumeaux, cela ne sera pas un problème ».

Sa vision, qui peut paraître féministe, met en fait en avant une idée traditionnelle et essentialisante du rôle maternel des femmes : Giorgia Meloni affirme que « la maternité permet aux femmes d’acquérir des compétences précieuses qu’elles peuvent investir dans l’espace public et le travail. » Elle gagne ensuite une visibilité croissante dans les médias et sur les réseaux sociaux, notamment à la faveur d’un discours prononcé en octobre 2019 à Rome, où elle déclare « Je m’appelle Giorgia, je suis une femme, une mère, je suis italienne, je suis chrétienne. Vous ne me l’enlèverez pas ! ». Cette déclaration devient en quelques jours virale sur les réseaux sociaux.

Fratelli d’Italia, de 2% en 2013 à la première force politique d’Italie en 2022

Giorgia Meloni a su se construire une image de leader populiste très radicale, mais moins outrancière que son principal rival, l’autre leader d’ultra-droite Salvini. Dans son autobiographie publiée en 2021, Io sono Giorgia (Je m’appelle Giorgia), elle livre le portrait d’une femme normale, avec ses forces et ses fragilités, conservatrice mais attachée à la pop culture ; elle exagère ses origines populaires, raconte la douloureuse absence de son père (communiste), sa maternité et l’amour qui la lie à sa fille, sa foi et son ascension en politique. Le livre se place à sa sortie en tête des classements de ventes.

Mais le succès de Giorgia Meloni s’explique aussi par son choix de positionner Fratelli d’Italia comme la seule force d’opposition constante au cours de la dernière législature. En 2018, lorsque la Lega de Salvini arrive pour la première fois en tête de la droite et décide de former un gouvernment avec le mouvement populiste « ni de gauche ni de droite » des Cinq Étoiles (M5S), Meloni est à l’opposition.

Lorsque, en 2019, le M5S lâché par Salvini forme un gouvernement avec les sociaux-démocrates néolibéraux du Parti Démocrate (PD), elle reste à l’opposition. Enfin, lorsque en 2021, l’ex-banquier et ex-président de la Banque centrale européenne Mario Draghi est appelé à former un gouvernement d’ « unité nationale » allant de la Lega à la gauche du PD, Meloni est la seule à rester, une fois de plus, à l’opposition.

Ces stratégies ont donc permis à Fratelli d’Italia de passer de moins de 2% aux élections législatives de 2013, 4,4% à celles de 2018, à la première place du podium aujourd’hui. Et de siphonner, en plus de leur électorat, le personnel politique des autres formations traditionnelles de droite, comme Daniela Santanché et Rafaelle Fitto, anciens berlusconiens. La Lega de Salvini, quant à elle, est ainsi passée de plus de 34% de voix aux européennes de 2019 à environ 12% d’intentions de vote aujourd’hui, alors que le parti de Berlusconi, qui a longtemps dominé la droite italienne, oscille autour de 8%.

Rassurer les élites pour gouverner : l’alliance de l’extrême-droite avec le capital, même stratégie que Marine Le Pen en France

Si elle a su s’imposer comme la nouvelle leader de la droite italienne, c’est que Giorgia Meloni a su se donner une image de populiste de droite radicale mais sérieuse et crédible, à même de séduire à la fois l’électorat de la Lega et celui de Forza Italia. C’est aussi parce qu’elle a su rassurer une partie des élites politiques, économiques et financières, y compris à l’international.

Pour ce faire, ces derniers temps, elle a délaissé les discours anti-système et doser les discours racistes, anti-migrants, homophobes, les critiques à la « théorie du genre » pour se concentrer davantage sur des promesses libérales-conservatrices. Les milieux d’affaire italiens ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, et ont commencé à pencher pour la candidature de Meloni.

En effet, bien qu’il s’apprête à tirer profit du mécontentement suscité par les recettes néolibérales appliquées par tous les gouvernements qui se sont succédés ces dernières années, le parti de Giorgia Meloni est loin de prôner des politiques en faveur des classes populaires. Comme le parti de Marine Le Pen en France, contre la hausse du SMIC, le blocage des prix et pour le remboursement de la dette.

Tourné davantage vers la classe moyenne et la petite bourgeoisie, il défend un programme libéral – baisser les impôts et le coût du travail et augmenter les aides aux entreprises – mais avec une touche de protectionnisme et d’interventionnisme. Il défend l’abolition du système d’aides sociales du « revenu de citoyenneté » mis en place par le M5S (Mouvement 5 étoiles), et s’oppose à l’instauration d’un salaire minimum, dans un pays qui compte pourtant 5,5 millions de « working poor », sans parler du travail au noir.


Aux politiques pro-marché s’ajoutent l’annonce d’une réforme constitutionnelle pour instaurer un régime présidentiel à la française, l’opposition au mariage homosexuel, à l’homoparentalité et à l’avortement (ou la défense du « droit à ne pas avorter »), sans oublier bien sûr des politiques anti-migrants et une militarisation accrue des frontières. En matière internationale, tandis que depuis la guerre en Ukraine, l’admiration pour la Russie chrétienne de Vladimir Poutine a été remplacée par un atlantisme fervent qui renforce son soutien à l’Union européenne et à l’OTAN, l’alliance avec Victor Orban tient bon.

Giorgia Meloni pourrait bien devenir la prochaine Première ministre italienne. Difficile de savoir combien de temps ce gouvernement pourrait durer, étant donnée l’instabilité qui caractérise le système politique italien, et vu le manque d’expérience gouvernementale de Fratelli d’Italia. Elle cherchera sans doute, pour durer, à renforcer ses liens avec le centre et les élites technocratiques et financières. Pendant ce temps-là, il est urgent qu’une gauche populaire et de rupture s’organise pour constituer la seule opposition possible au cours de la prochaine législature : une opposition écologiste, sociale, anti-raciste et féministe.

Par Aurélie Dianara.