Carlos Martens Bilongo, 31 ans, habitant de toujours de Villiers-le-Bel dans le Val-d’Oise, vient d’être fraîchement investi par la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale (NUPES), l’alliance historique de La France Insoumise (LFI), d’Europe Écologie les Verts (EELV), du Parti Communiste Français (PCF) et du Parti Socialiste (PS). Dans l’une des circonscriptions les plus gagnables de France (Carlos Martens Bilongo a gagné, il est devenu député du peuple). Il se pince encore pour y croire. Portrait.
Insoumis depuis le plus jeune âge
Un chemin « rocambolesque ». La vie est faite de rendez-vous, et on devrait tous en avoir plusieurs dans la vie, des rendez-vous. Le ton de notre rendez-vous, réalisé dans un café de l’Est parisien ce mardi matin, est donné. Tu rates ton entretien d’embauche pour un RER en retard, tu restes à quai. Tu essuies un, deux, trois, quatre, cinq, six refus, pas la bonne adresse sur le CV, l’illicite surf sur ta détresse.
Le dernier d’une fratrie de 6 frères et sœurs, élève rebelle au « tempérament insoumis depuis le plus jeune âge », délégué de toutes les classes du collège au lycée, à qui certains profs avaient promis l’échec. Aujourd’hui, Carlos Martens Bilongo prend des cafés avec eux. Il est devenu un de leurs collègues. BAC pro en poche, suivi d’une licence marketing, il est aujourd’hui enseignant en économie et en droit au Lycée Alexandre Dumas. On n’est jamais condamné à l’échec.
Carlos Martens Bilongo, président de l’association Vel et Bel
Mais certains n’ont pas le droit à autant de rendez-vous que d’autres. Certains de ses camarades de Villiers-le-Bel n’ont jamais vu ni la mer, ni le ski. Alors, Carlos Martens Bilongo s’est engagé. Vel et Bel, l’association dont il est aujourd’hui le président, a été créée en 2009 par Saibou Doucouré (Réveillons nous pour demain). Elle organise des sorties culturelles, des voyages humanitaires au Sénégal, et jusqu’à Miami pour les jeunes et moins jeunes de Villiers-le-Bel. Elle développe la pratique du vélo, des jardins partagés en pied d’immeuble, et globalement tout ce qui est réalisable comme l’indique sa page Facebook : « en plus de la solidarité on prévoit pleins d’activités, voyages, etc… plus l’time pour dormir ça va bouger ! ».
Pendant la crise sanitaire, l’association, qui compte 70 bénévoles, a distribué des paniers repas à tour de bras aux habitants de Villiers et des villes voisines. Pour la bagatelle de 8 000 familles aidées ! Mais distribuer 100 paniers à 100 familles une fois par mois, si le panier ne dure qu’une semaine, ça veut dire trois semaines de galère. Et quand les subventions publiques ne viennent pas, la frustration monte et Carlos Martens Bilongo décide de s’engager à l’échelon où ça se décide.
Engagé contre la précarité
Son combat : la précarité. La garantie d’autonomie de 1063 euros pour chaque jeune, le blocage des prix, l’aide aux associations, tampon face à l’abandon de l’État dans les quartiers comme dans les campagnes populaires. Sans oublier la retraite à 60 ans : « les gens ici finissent cassés par la vie, cassés par le travail ». Carlos sait de quoi il parle. Sa mère était aide-soignante : elle est décédée à 56 ans.
Quand Jean-Luc Mélenchon insiste sur la titularisation des 800 000 contractuels de la fonction publique dans ses meetings, Carlos Martens Bilongo reçoit le message cinq sur cinq. Un contrat de 18 heures l’année passée, un contrat de 11 heures cette année qui lui a laissé plus de temps pour militer durant la campagne. Et l’incertitude, toujours, pour l’avenir. « On ne sait jamais en juin, où on sera en septembre ».
Engagé pour l’écologie populaire également, Carlos Martens Bilongo est membre du comité d’administration du collectif du Triangle de Gonesse. Sans oublier sa casquette de co-président d’une amicale des locataires dans son quartier d’enfance. Carlos, un de ces militants qui semble forgé dans un bois inépuisable, avec une énergie jamais tarie pour la lutte.
« Le tempérament de Jean-Luc Mélenchon, sa révolte, son refus d’abandonner malgré les cabales contre lui, le rend très apprécié chez nous »
La trahison des quartiers populaires par le PS en 2012, abandon théorisé dès 2011 dans une note de Terra nova, l’élection, puis le mandat de François Hollande… Carlos Martens Bilongo n’a rien oublié. « Il y a eu le discours du Bourget puis la loi El Khomri, et les premiers impactés ça a été les quartiers populaires. Quand on se sent trahis, pendant 10 ans derrière on ne vote plus », raconte-t-il.
Mais heureusement, Jean-Luc Mélenchon est passé par là. « Des files d’attente au bureau de vote de mon quartier, je n’avais jamais vu ça ». Il y a eu beaucoup, beaucoup, de primo votants au premier tour de l’élection présidentielle. Le candidat insoumis est en effet arrivé (très) largement en tête chez les jeunes et dans les quartiers populaires. Particulièrement chez les jeunes des quartiers populaires, chez qui le tribun a réussi la prouesse de limiter la progression de l’abstention, comme en témoignent les taux de participation en Seine-Saint-Denis ou dans les quartiers nord de Marseille.
« Le tempérament de Jean-Luc Mélenchon, sa révolte, son refus d’abandonner malgré les cabales contre lui, le rend très apprécié chez nous ». Et Carlos Martens Bilongo salue le coup politique du troisième tour et de « Jean-Luc Mélenchon à Matignon » lancé par les insoumis, qui a réussi à mobiliser tous les dégoûtés du second tour pour le troisième tour. Dans sa circonscription comme sur l’ensemble du territoire, les militants affluent en nombre, dégoûtés du résultat de la présidentielle, refusant un nouveau mandat Macron.
Opposé à un baron local, passé du PS à LREM
Pour ce troisième tour, Carlos Martens Bilongo sera opposé à François Pupponi, le député sortant. Une figure locale peu glorieuse. Lors de la dernière semaine de sa campagne législative en 2017, celui qui était alors candidat PS avait organisé un match de foot faisant venir… Emmanuel Macron dans la circonscription.
« Mais en banlieue, on n’est pas des faire-valoir ». Une fois élu, François Pupponi s’est empressé de rejoindre les rangs de la macronie, et se présente cette fois-ci avec le soutien de la majorité présidentielle. L’idéal-type de la 5ème République à bout de souffle ? Le 17 juin 2021, soirée électorale pour les résultats du 2ème tour des élections régionales, conseil département du Val d’Oise. Carlos est présent. « 20% de participation, mais ils ont célébré au champagne et aux petits fours. J’ai compris que la 5ème République ne marchait plus ».
Le non-recours aux droits, et au droit de vote en particulier, rend fou Carlos Martens Bilongo. « Les 90% d’abstention dans un même bâtiment, ça me donne envie de pleurer ». Comme le système politique actuel, où des barons locaux n’y croyaient pas leurs yeux quand ils ont vu l’investiture de ce petit jeune sorti de nulle part. Carlos Martens Bilongo n’y croyait pas non plus lui-même. Il peut se pincer, le rêve est bien réalité, même si les pressions subies depuis l’investiture lui font ressentir que quand on est un jeune candidat issu de la diversité certains voudraient te faire croire que tu n’es pas à ta place.
« Si on gagne le 3ème tour, ce sera l’été 98, le début de la 6ème République »
« Mon investiture elle est pour tous les déçus des quartiers populaires qui ne l’ont pas obtenue, je suis là pour eux, je suis le fils de personne, j’ai eu aucun passe droit, Jean-Luc Mélenchon je ne l’ai jamais rencontré, je suis l’exemple type : je ne connais personne à la France insoumise et j’ai eu l’investiture ». Un joli pied de nez à tous ceux qui ne croyaient pas en lui, qui ne croyaient pas qu’en politique, un jeune de 31 ans issu des quartiers populaires, qui n’a fait ni l’ENA ni Science Po, puisse être en passe devenir député.
Comme Caroline Fiat, première aide-soignante de l’Histoire à devenir députée, Jean-Hugues Ratenon et Adrien Quatennens, respectivement au RSA et travaillant dans un centre d’appel avant de devenir députés, ces élections législatives peuvent être l’occasion pour les insoumis d’envoyer à l’Assemblée nationale de vrais représentants du peuple : Rachel Kéké, femme de ménage, l’une des porte-parole de la grève des femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles entamée en 2019 ou comme Carlos Martens Bilongo, donc. Refaire de l’Assemblée nationale la maison du peuple.
Carlos Martens Bilongo avait un message à faire passer, pour conclure l’entretien : « Avec Jean-Luc Mélenchon, les gens ne vont plus voter la boule au ventre. Il suffit d’un voisin qui réveille les autres, et c’est fini. On va remettre la politique au service du peuple. Si on remporte le 3ème tour, on va vivre des scènes de liesse comme l’été 1998, les gens iront sur les Champs-Élysées, même avec les dégoûtés on fera la fête tous ensemble, ça marquera le début de la 6ème République ».
Par Pierre Joigneaux.