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« Assemblée Paysanne » – LFI réunit des agriculteurs à l’Assemblée nationale pour faire la loi

« Fils et petit-fils de paysan, je peux vous dire que jamais mon père n’avait été invité par son député à venir à l’Assemblée nationale et construire une loi ». Comme une quarantaine d’autres agriculteurs, Pierrick était reçu hier à « l’Assemblée paysanne » organisée par quatre députés insoumis. Un « vent frais » pour cet éleveur laitier de l’Ain qui a pu rappeler à quelques pas de l’hémicycle « l’importance de pouvoir vivre de notre métier, avec un revenu agricole par des prix qui garantissent notre rémunération ». Cette Assemblée marquait la fin de l’AgriTour, un tour de plus de 150 fermes enga²gé depuis plusieurs mois par le groupe parlementaire insoumis.

Au programme : une plénière où chaque agriculteur a pu donner la mesure pour une loi agricole qu’il soutiendrait s’il était législateur. S’en est suivi un décryptage en commun de la loi agricole proposée par le Gouvernement. Consensus : la loi du gouvernement est vide – rien sur le revenu agricole, rien sur la concurrence déloyale et les traités de libre échange qui les écrasent, rien sur la transition agroécologique. Beaucoup de paysan-nes ont salué en revanche le contre-projet porté par Manon Meunier, Mathilde Hignet, Aurélie Trouvé et Loïc Prudhomme. Notre article.

« On veut pouvoir vivre dignement de notre travail »

Ce mercredi 10 avril, c’est une petite révolution qui s’est déroulée dans la salle Lamartine nichée dans l’enceinte de l’Assemblée nationale. Aux alentours de 10h30, la « plénière de l’Assemblée paysanne » est lancée par les députés insoumis Manon Meunier, Mathilde Hignet, Aurélie Trouvé et Loïc Prudhomme. Une quarantaine d’agriculteurs sont réunis pour faire la loi ensemble. Ils ont été rencontrés au cours de l’Agritour des insoumis et invités par le groupe LFI à l’Assemblée nationale, soucieux de partir des revendications des agriculteurs pour répondre à la crise agricole et construire avec eux un nouveau modèle.

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Tour à tour, chacun d’entre eux est invité à se présenter, à présenter son exploitation et à donner une mesure phare en répondant à une question : « si vous étiez législateur/rice, quelle serait la mesure prioritaire que vous mettriez dans une loi d’orientation agricole ? ». Maraîchers, éleveurs laitiers, éleveurs bovins, céréaliers, travailleur agricole, tous les métiers sont autour de la table et s’activent.

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Toutes les problématiques sont abordées. Un sujet revient sans cesse et fait l’unanimité parmi l’assemblée : la nécessité d’une rémunération juste et digne : « Il est ahurissant qu’on en soit encore à quémander des prix agricoles rémunérateurs » explique Carole, plaidant pour « la relocalisation » afin de « jouer sur plusieurs tableaux : celui de l’arrêt du libre-échange, et celui de l’accès au foncier. ». L’un de ses collègues confirme : « On a besoin d’un revenu à la hauteur du temps passé, un revenu décent qui pourrait passer par des prix planchers ». Ce problème est crucial : en un an, les prix alimentaires ont augmenté de 10%, tandis que les prix agricoles ont diminué de près de 10%. Une situation qui n’a pas bougé d’un iota depuis que les agriculteurs se sont mis en mouvement. Et en conséquence, une colère qui, elle aussi, n’a pas bougé d’un pouce.

Pour aller plus loin : Les insoumis aux côtés des agriculteurs pour des revenus dignes et contre le libre-échange

La loi insoumise proposée le 30 novembre dernier est citée. Elle visait à instaurer des prix planchers et encadrer les marges de l’agro-industrie et de la grande distribution. Une mesure déjà proposée par Jean-Luc Mélenchon en 2018, et que les députés macronistes et de droite ont rejeté, à six voix près, en novembre dernier.

Le sujet de la disparition des petites exploitations vient aussi sur la table. Le constat est connu : les agriculteurs disparaissent. La France en perd 8 000 chaque année sur fonde de centaines de suicides. Près d’un tous les deux jours.

Vincent, producteur de légumes sur 5 hectares témoigne de la difficulté des petites exploitations : « Nous sommes dans un bassin d’élevage laitier, avec des fermes de 60 hectares en moyenne. Quand une activité cesse, elles sont reprises afin d’agrandir des exploitations déjà existantes », au détriment de nouvelles installations, explique-t-il.

Sa collègue enchaîne en ciblant les traités de libre échange et la concurrence déloyale qu’ils induisent : « il faut y mettre un terme, et taxer les produits étrangers qui ne respectent pas les normes » cingle-t-elle. Ces derniers mois, ce sujet qui passe habituellement sous les radars médiatiques a fait l’actualité. L’occasion pour les insoumis de rappeler que seul leur groupe s’est opposé à l’intégralité de ces accords à l’échelle du Parlement européen.

Consensus de l’Assemblée paysanne : la loi agricole du Gouvernement est vide

Après la plénière, l’Assemblée paysanne s’est penchée sur la loi agricole proposée par le Gouvernement. « La loi passe à côté de tout, et surtout du revenu paysan alors que c’est un métier dur, mal payé, voire pas payé du tout » résume Elodie. Un projet qui « favorise aussi la mal-adaptation, en racourcissant les délais pour installer les mégabassines qui accaparent la terre et l’eau en monopole de quelques-uns » précise-t-elle.

Ce projet de loi qui cristallise les colères, c’est « la loi d’orientation agricole » présenté par le Gouvernement mercredi 3 avril dernier en Conseil des ministres. « Un texte vide et déconnecté des attentes du monde agricole » selon les députés insoumis qui ont d’ores et déjà présenté un contre-projet, et veulent continuer à l’amender via cette Assemblée paysanne. La loi du Gouvernement est « vide » et « tous les syndicats agricoles sont contre » précisent Mathilde Hignet, ouvrière agricole devenue députée LFI en 2022, et Manon Meunier, députée LFI co-autrice d’un rapport parlementaire sur l’agriculture et la biodiversité.

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Dans l’Assemblée paysanne, tous les agriculteurs sont d’accord sur ce constat. La loi du Gouvernement ne prévoit rien sur le revenu agricole, rien sur la concurrence déloyale et les traités de libre échange qui les écrasent, rien sur la transition agroécologique.

Pour Pierrick, producteur de l’Ain, l’Assemblée paysanne peut jouer un rôle fondamental pour imposer une autre loi pour un autre modèle. « Cette Assemblée est déjà une rupture dans la manière de faire pour imaginer les politiques agricoles…Fils et petit fils de paysan, je peux vous dire que le député de ma circonscription n’a jamais invité mon père ou mon grand père pour lui demander son avis », raconte-t-il, avant de lancer un appel à se « battre collectivement pour tordre le bras aux intermédiaires qui se gavent, se battre pour se faire entendre et obtenir un revenu agricole qui nous permettent de vivre ».

Après plus de sept heures de débats, l’Assemblée paysanne s’est terminée. Un « moment fort et émouvant qui aidera à construire de futurs contre projets de loi et qu’il faudra poursuivre » indique Manon Meunier. Au total, les insoumis ont touché juste par cette initiative. La colère du monde agricole est intacte. Les prix planchers annoncés par Emmanuel Macron n’ont toujours pas vu le jour. Le sujet des prix planchers « a scandaleusement quasi disparu des 62 engagements déclinés par le gouvernement ces derniers jours » pour sortir de la crise ont précisé trois syndicats agricoles dans une lettre ouverte au Président de la République.

Contre-projet LFI : des propositions pour « relever les défis actuels du monde agricole »

« Mettre fin à la compétition généralisée entre les agriculteurs, en Europe ou avec le reste du monde, fixer un cap clair pour transformer le modèle agricole, tels sont les principes qui ont guidé l’élaboration de ce contre-projet » : voici comment la France Insoumise présente son contre-projet de loi d’orientation agricole. Au programme, cinq axes :

  1. Assurer la souveraineté alimentaire avec des agriculteurs nombreux et un revenu garanti
  2. Refonder l’accompagnement à l’installation et à la transmission
  3. Foncier : protéger et partager les terres agricoles
  4. Formation des futurs agriculteurs : réformer les programmes, renforcer les moyens
  5. Planifier la transition écologique et sociale de l’agriculture, accompagner l’adaptation au changement climatique.

Avec ce contre-projet de loi d’orientation agricole, le mouvement insoumis rappelle ses revendications historiques : garantir des « prix planchers » rémunérateurs pour les paysans, garantir aussi l’accès à une alimentation saine et valoriser la production durable française. L’instauration d’un protectionnisme solidaire figure aussi au rang des mesures phares du projet.

Pour l’accompagnement à l’installation, l’objectif est clair : installer « au moins 300 000 agriculteurs supplémentaires ». Pour cela, LFI propose : la mise en place de dispositifs d’accompagnements des candidats à l’installation et d’accompagnement à la transmission pour les agriculteurs qui prennent leur retraite, en parallèle de mesures structurelles pour améliorer la condition agricole. Une de ses mesures concrètes : tripler le budget (450 contre 150 millions d’euros actuellement) consacré aux installations des nouveaux agriculteurs.

Une meilleure protection et une meilleure répartition des terres agricoles est aussi un des enjeux majeurs portés par LFI. Et cette politique d’installation doit prioriser les « petites et moyennes fermes aux projets agroécologiques ». Pour la formation des futurs agriculteurs, l’orientation est claire : « Il faut un système d’enseignement agricole publique robuste, plaçant l’agroécologie et l’agriculture biologique au cœur de ses programmes ». Par exemple, en augmentant le nombre de lycéens formés dans les lycées agricoles publics.

Enfin, la France Insoumise rappelle que « notre système agricole et alimentaire est responsable de 19% des émissions de gaz à effet de serre en France ». Elle propose ainsi de bifurquer, en généralisant « une agriculture fondée sur la compréhension et l’adaptation aux cycles naturels, une agriculture économe en intrants et en machines, autonome et insérée dans le territoire. » Entre autres : protéger les sols agricoles fertiles en accélérant la hausse des surfaces d’agriculture biologique, répondre à la crise de l’eau par des mesures d’urgence pour mieux répartir ce bien commun, planifier la transition écologique du modèle de production agricole en sortant de l’agriculture industrielle, ou encore développer des programmes d’éducation et d’information sur les enjeux de l’alimentation.

Pour ces grands chantiers, LFI liste des dizaines d’outils de mise en œuvre – à retrouver en entier sur leur site internet. Parmi ces outils : tripler le financement des mesures agro-environnementales et climatiques de 260 à 780 millions d’euros, interdire immédiatement les pesticides les plus dangereux (néonicotinoïdes, glyphosate, fongicides SDHI), sortir du système actuel d’aides à l’hectare pour aller vers un système d’aide à l’actif qui favorise l’emploi agricole. D’autres encore : interdire les fermes-usines, rediriger les aides de la PAC vers les petites fermes ou augmenter les productions végétales.

Dans ce contre-projet, LFI rappelle aussi son engagement constant pour la cause agricole, présentant ses près de 15 propositions de loi et de résolution sur le sujet depuis 2019, ainsi que ses 9 missions d’information et sa participation aux différents groupes d’études sur les sujets agricoles en cette XVIe législature.

Le mouvement insoumis conclut son rapport en insistant sur la multitude, la complexité et l’urgence de tous ces défis agricoles. Il appelle à « des réformes de fond, et en particulier une loi d’orientation agricole capable d’inverser les tendances lourdes qui sont à l’œuvre ». Les débats sur le texte auront lieu à partir du 13 mai à l’Assemblée Nationale. L’occasion d’une confrontation de deux visions frontalement opposées entre les insoumis et les macronistes – et leurs amis néolibéraux.

Sylvain Noel, rédacteur en chef