Histoire des noirs

Février, le mois de l’histoire des Noirs ?

Depuis quelques années, le « Black History Month » (le mois de l’histoire des noirs) s’impose progressivement en France, poussé par un certain nombre de militantes et militants de la cause noire. Cependant, contrairement aux États-Unis où le Black History Month s’est institutionnalisé, en France il reste encore peu connu hors des milieux militants. Notre article.

Le Black History Month aux États-Unis, enjeux et perspectives

C’est en 1926 que le « Black History Month » prend ses racines aux États-Unis dans un contexte où les noirs américains après l’abolition de l’esclavage subissaient une situation d’aliénation politique et culturelle et de ségrégation raciale. Après la guerre civile aux États-Unis (1861 à 1865) et l’abolition de l’esclavage partout sur le territoire, 4 millions d’esclaves étaient libérés de leurs chaines et la politique de « Reconstruction » était censée permettre leur émancipation politique, sociale et économique. Mais l’assassinat d’Abraham Lincoln en 1865 puis la présidence d’Andrew Johnson vont entrainer un « backslash » avec la mise en place des lois Jim Crow qui officialisent et codifient la ségrégation raciale des Noirs.

C’est dans ce contexte raciste et face au poids de l’histoire non soldée de l’esclavage que l’historien africain-américain Carter G Woodson développe l’idée que c’est l’éducation reçue par les Noirs et leur méconnaissance de leur propre histoire qui les conditionneraient à se percevoir comme inférieur·e·s et à rester à la place subalterne qui leur est assignée dans la société américaine.

Pour déconstruire ces représentations, l’enjeu pour les Noirs est de mieux connaitre leur histoire et de mieux la faire connaitre. C’est ainsi que le Dr Woodson et le pasteur Jesse E. Moorland lancent la première semaine de l’histoire noire lors de la deuxième semaine de février, en référence notamment aux anniversaires d’Abraham Lincoln le 12 février et de Frederick Douglass le 14 février.

Après que le leader des Black United Students de la Kent State University propose un Black History Month pour février 1970, l’idée fait son chemin jusqu’à ce que le gouvernement américain à l’occasion du bicentenaire des Etats-Unis reconnaisse officiellement le mois des Noirs.

Aujourd’hui, les mobilisations des noirs américains se  sont restructurés autour notamment des mobilisations « Black Lives Matter » et le débat sur l’hypothèse d’une Amérique post raciale qui a émergé après l’élection d’Obama a vite été dépassé dans un contexte où les thèses d’extrême-droite progressent dans la société américaine. Le « Black History Month » malgré les travers de son institutionnalisation qui voit des grandes marques américaines s’y inscrire reste un moment où les enjeux stratégiques d’affirmation de la place des Noirs dans l’histoire et dans la société américaine sont posés.

Mais le débat sur l’importance du Black History Month sort de plus en plus des Etats-Unis pour être repris par certains pays où existent une diaspora noire comme la Grande-Bretagne, le Canada, l’Allemagne et plus tardivement la France. Notre pays étant celui où il y a encore les résistances les plus fortes contre un Mois de l’Histoire des Noirs.  

Un Black History Month à la française ?

Depuis 2012, plusieurs événements autour du concept du « Black History Month » sont lancés en France notamment à l’initiative de Maboula Soumahoro qui crée en 2013 l’association « Black History Month ».

Le débat est d’arriver à adapter ce concept aux conditions particulières et à l’histoire spécifique des diasporas noires françaises. Le défi a toujours été de sortir de ce rapport exotique à l’histoire des luttes d’émancipation des Noirs où il est plus facile de se référer à Martin Luther King ou à Rosa Parks voir à Malcom X qu’aux grandes figures de résistance des diasporas francophones. L’une des réponses apportée par cette association a été de proposer de changer de mois et de nom.

Même si l’association garde le nom « Black History Month », le nom de l’évènement lui-même devient « Africana » (en latin tout ce qui touche à l’Afrique de près ou de loin) et le mois devient le mois de mai en référence à une date charnière de la lutte d’émancipation des diasporas noirs françaises, le vote de la loi Taubira et la célébration le 10 mai de la commémoration nationale de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions.

Mais les initiatives autour d’un Mois de l’Histoire des Noirds restent diverses et recoupent aussi celles initiées par Mémoire et Partage, un collectif né à Bordeaux et qui  a élargi son réseau d’antennes à Paris, Dakar, Bayonne, La Rochelle, Le Havre et en Guadeloupe notamment. Après avoir exploré des thématiques telles que la réinvention de soi ou encore le legs de Joséphine Baker, Mémoires et Partages a consacré cette année son Black History Month 2024  aux créolisations lusophones et à Amilcar Cabral, leader révolutionnaire de Guinée-Bissau.

Le défi du développement d’un Mois de l’Histoire des Noirs, c’est d’être mieux en résonnance avec les enjeux spécifiques de la diaspora noire post-coloniale française, Comment rendre visible ce que le vieux modèle républicain français cherche parfois à rendre invisible ? Comment mettre en lumière les identités minoritaires racialisées et l’ histoire spécifique des populations noires liées à l’histoire de l’esclavage, de la colonisation et des luttes d’émancipation des esclaves et des colonisés contre ces systèmes barbares de domination ? Comment actualiser le modèle républicain français pour le rendre plus inclusif ?

La prégnance d’un certain modèle républicain « aveugle à la race » invisibilise trop souvent les histoires particulières qui doivent pourtant être intégrées dans le récit national si on veut produire un récit national commun qui intègre pleinement les histoires des populations post coloniales au lieu de les marginaliser voir de les exclure.

L’enjeu d’un Mois de l’histoire des Noirs c’est permettre aux diasporas noires françaises de mieux appréhender leur histoire spécifique pour être en capacité de nourrir leurs revendications concrètes en termes de reconnaissance mais aussi de revendications concrètes face aux discriminations raciales dont elles sont victimes.

Connaitre et faire connaitre leur histoire, les productions culturelles mais aussi les enjeux politiques autour des questions de réparations et de reconnaissance mémorielle par exemple, c’est la condition pour l’émancipation des diasporas noires mais aussi pour que la France se reconnaisse en son miroir, une société multiculturelle qui reste structurée par un racisme systémique. C’est la condition pour que les idéaux républicains abstraits d’égalité et d’antiracisme se concrétisent.

Vive le Mois de l’Histoire des Noirs !

Groupe thématique « Pour une république antiraciste »

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