UNRWA Gaza

Gaza : l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, menacée de disparaître

« Châtiment collectif ». Ce sont les mots de Philippe Lazzarini en réaction à la décision de suspension des aides à l’UNRWA de la part des États-Unis, suivis par une dizaine de pays occidentaux. 95% des ressources financières de l’UNRWA proviennent de ces pays donateurs. L’agence qui joue « un rôle complètement indispensable à Gaza pour la vie de ces Palestiniens » (Lazzarini) est gravement mise en péril, et les Etats ayant suspendu leurs versements apparaissent de faits complices d’une décision qui ne fera qu’empirer la situation de « l’enfer sur terre » qu’est Gaza.

Cette punition collective contre l’UNRWA intervient deux jours après que la Cour internationale de justice (CIJ) ait reconnu un risque de génocide à Gaza. Des décisions de suspension des aides qui font suite à des accusations, non-prouvées, de Benjamin Netanyahu contre l’UNWRA, laquelle pourrait compter, parmi ses 30 000 personnels, 12 membres suspectés d’implication dans les attaques du 7 octobre. Sans même attendre le résultat de l’enquête interne de l’ONU, l’UNWRA a suspendu les personnels concernés. En dépit de cette réaction préventive et immédiate, les États ayant annoncé l’arrêt de leur aide à l’UNWRA ne sont pas revenus sur leur décision.

L’agence qui a perdu plus de 150 personnels sous le déluge de feu de l’armée de Netanyahu est ainsi directement et gravement menacée. Distribution alimentaire, accès à l’eau, aux soins, éducation, l’UNWRA est le dernier rempart qui assure la survie des 2,3 millions de civils Palestiniens à Gaza. En Europe, plusieurs pays sauvent leur honneur en affirmant leur soutien à l’UNRWA et la nécessité de continuer à la financer, dont l’Irlande, la Norvège, l’Espagne, le Luxembourg et l’Ecosse. La France avait déjà versé l’aide prévue pour l’UNRWA à la fin d’année dernière et n’a pas prévu un autre versement bientôt, indépendamment de ces informations.

Le Quai d’Orsay a annoncé attendre les conclusions de l’enquête diligentée. En France, le député insoumis Aurélien Saintoul a déclaré en conférence de presse ce mardi que la France devait « poursuivre ses financements à l’UNWRA, en lien avec l’ordonnance de la Cour internationale ayant ordonné 6 mesures conservatoires à l’encontre de Benjamin Netanyahu, dont l’une d’elle prévoit l’accès à l’aide humanitaire à Gaza ». Notre article.

Quelles accusations sont dirigées contre l’UNRWA ? Quelles réactions de ses dirigeants ?

« Les autorités israéliennes ont fourni à l’UNRWA des informations sur l’implication présumée de plusieurs employés de l’UNRWA dans les horribles attaques perpétrées contre Israël le 7 octobre », a écrit Philippe Lazzarini, commissaire général de l’UNRWA dans un communiqué vendredi 26 janvier 2024. L’organisation compterait parmi ses 30 000 employés 12 personnes qui auraient joué un rôle dans les crimes de guerre du Hamas menés le 7 octobre.

Face à ces accusations, sans fondement jusqu’à présent, la réaction de l’organisation a été immédiate. « Afin de protéger la capacité de l’Agence à fournir une aide humanitaire, j’ai pris la décision de résilier immédiatement les contrats de ces membres du personnel et d’ouvrir une enquête afin d’établir la vérité sans délai. », a déclaré Philippe Lazzarini dans le même communiqué cité précédemment. Depuis, au moins 13 pays ont décidé de suspendre tout financement futur à l’organisation, oubliant sciemment l’importance de l’UNRWA dans la survie des habitants de Gaza.

« Il est choquant de voir une suspension des fonds accordés à l’Agence en réaction à des allégations contre un petit groupe d’employés, en particulier compte tenu de l’action immédiate prise par l’UNRWA en résiliant leurs contrats et en demandant une enquête indépendante et transparente », a réagi Philippe Lazzarini dès le lendemain. « J’exhorte les pays qui ont suspendu leur financement à reconsidérer leur décision avant que l’UNRWA ne soit contraint de suspendre sa réponse humanitaire. La vie des habitants de Gaza dépend de ce soutien, tout comme la stabilité régionale », a-t-il déclaré avec gravité.

D’aucuns noteront que, le même jour que la publication du premier communiqué, la Cour Internationale de Justice rendait son verdict et reconnaissait le risque génocidaire en cours à Gaza. Elle exhortait ainsi Benjamin Netanyahou à y cesser les massacres. En effet, la CIJ a reconnu 4 critères constituant le risque génocidaire sur place : le meurtre, l’atteinte grave à l’intégrité physique et mentale, la soumission au groupe à des conditions d’existence susceptibles d’entraîner sa destruction totale ou partielle et l’entrave des naissances.

Cela ne peut être une simple coïncidence. Il y a fort à parier que Benjamin Netanyahou et ses alliés étaient en possession de ces informations bien avant. Ainsi, il est fort probable qu’ils les aient révélées au moment propice. Le tout, afin d’atténuer l’onde de choc mondiale liée au verdict historique de la CIJ les mettant face à leur exactions à Gaza et mettre en cause l’UNRWA qu’ils abhorrent.

Pour aller plus loin : La Cour internationale de Justice reconnaît le risque génocidaire à Gaza

L’Irlande, la Norvège, l’Espagne, l’Ecosse et le Luxembourg soutiennent l’UNRWA, tandis que la France « décidera le moment venu »

Au total, 13 pays ont suspendu tout financement futur à l’agence de l’ONU : les États-Unis dès le 26 janvier, suivis rapidement par Canada, l’Australie, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Suisse, la Finlande, l’Estonie, le Japon, l’Autriche et la Roumanie. De son côté, l’Union européenne (44% des financements de l’UNWRA en 2023) dit attendre les résultats de l’enquête diligentée par l’ONU. La rapidité de ces suspensions de financements à l’Agence de l’ONU détonne et contraste fortement avec la faible et lente réaction des pays occidentaux suite au verdict de la CIJ contre Benjamin Netanyahou.

Même si la France « a notamment contribué aux actions de l’UNRWA en 2023 à hauteur de près de 60 millions d’euros », elle « n’a pas prévu de nouveau versement au premier trimestre 2024 ». Dans un communiqué publié par le Quai d’Orsay, la France annonce qu’elle « décidera le moment venu de la conduite à tenir en lien avec les Nations unies et les principaux donateurs », indépendamment des informations en présence.

Malgré une phrase sur la « situation humanitaire catastrophique » sur place, le ministère des Affaires étrangères français ne rappelle aucunement le caractère indispensable des actions de l’UNRWA à Gaza. Choisir de ne pas soutenir l’organisation, au moment où son rôle est crucial pour la survie des Palestiniens, est une faute morale et politique. Le gouvernement français aurait très bien pu, comme l’Espagne, choisir de soutenir l’agence de l’ONU pour les réfugiés en Palestine, tout en soulignant un nécessaire suivi attentif de l’enquête interne diligentée.

En Europe, plusieurs pays sauvent leur honneur : l’Irlande, la Norvège, l’Espagne, le Luxembourg et l’Ecosse. « Le soutien international à la Palestine est plus que jamais nécessaire. Nous devons faire la distinction entre ce que des individus ont pu faire et ce que représente l’UNRWA. Les dizaines de milliers d’employés de l’organisation […] jouent un rôle crucial dans la distribution de l’aide, en sauvant des vies et en garantissant les besoins et les droits fondamentaux », a déclaré le gouvernement norvégien sur Twitter.

De son côté, le Ministre des Affaires étrangères d’Irlande a affirmé sa « pleine confiance dans la décision de Philippe Lazzarini de suspendre immédiatement le personnel soupçonné ». L’Espagne ne changera ses relations avec l’UNRWA, bien qu’elle compte « suive de près l’enquête interne » de l’ONU.

De l’importance de l’UNRWA à Gaza, devenu « l‘enfer sur terre »

2,3 millions de personnes dépendent de l’UNRWA à Gaza, expliquait Philippe Lazzarini à Mediapart. « Nombre d’entre elles souffrent de la faim, alors que la famine menace. L’agence gère des abris pour plus d’un million de personnes et fournit de la nourriture et des soins de santé primaires, même au plus fort des hostilités », a expliqué le commissaire général de l’agence de l’ONU. Elle scolarise environ 550 000 filles et garçons dans leurs 700 écoles, offrent des formations professionnelles ou assure l’évacuation des déchets et l’assainissement en eau.

Plus de 27 700 Palestiniens tués, de 63 000 blessés, de 360 000 logements détruits ou endommagés et plus 1,7 million de Palestiniens déplacés de force depuis bientôt 4 mois dans la région. Gaza est devenu « l’enfer sur terre ». Sans l’aide de l’Agence de l’ONU, la situation à Gaza serait bien plus pire que ce qu’elle n’est déjà.

Que va devenir cette organisation, suite à la suspension d’une large de ces financements ? La survie de l’organisation de l’ONU pour les réfugiés palestiniens se pose désormais. Elle sera bientôt dans l’incapacité d’exercer ses multiples fonctions. De son côté, le gouvernement de Benjamin Netanyahou espère « faire cesser » toutes les activités de l’agence et affirme vouloir s’assurer que l’UNRWA « ne ferait pas partie » de la solution dans le territoire palestinien après la guerre.

« Sanctionner l’UNRWA, qui maintient difficilement en vie toute la population de Gaza, pour la responsabilité alléguée de quelques salariés, revient à punir collectivement la population gazaouie qui vit dans des conditions humanitaires catastrophiques », a alerté Johann Soufi, avocat international et ex-directeur du bureau juridique de l’UNRWA à Gaza. Soutenir l’Agence de l’ONU dans ses actions et continuer à la financer peut se faire tout en condamnant la participation présumée de quelques-uns de ses salariés aux attaques du 7 octobre. Ce, en restant attentif aux conclusions de l’enquête interne en cours. Ces quelques salariés ne sont pas représentatifs de l’UNRWA et de son action indispensable pour la survie de Gaza.

La Cour Internationale de Justice a reconnu le risque génocidaire à Gaza. Fort de sa présidence du conseil de sécurité de l’ONU, la France doit respecter cette décision et contraindre le gouvernement de Benjamin Netanyahu au cessez-le-feu permanent. L’aide humanitaire sur place doit pouvoir continuer à être acheminée, alors que des colons bloquent son accession à la bande à Gaza. À long terme, la solution à deux États est la seule qui vaille d’être défendue. L’Histoire nous regarde.

Par Nadim Février

Partager

Vous avez aimé cet article ?

Recevez chaque semaine une sélection de nos meilleurs articles en vous abonnant.

Les + vus

Soutenez les médias insoumis !

Abonnez-vous à l’ensemble des médias insoumis et recevez à votre domicile l’hebdo et le magazine de l’insoumission.