Gaza Palestine choc des civilisations

Israël / Palestine – Le « choc des civilisations » : cette thèse made in USA qui sert à justifier le nettoyage ethnique à Gaza

Lundi 25 décembre, Benjamin Netanyahou a appelé à « intensifier les combats » en Palestine, promettant une « longue guerre qui n’est pas près de finir ». Depuis le 7 octobre, plus de 21 000 palestiniens ont été tués par l’armée israelienne, dont plus de 8000 enfants et 6000 femmes, sous les coups de « l’armée la plus morale du monde » d’après les mots de Meyer Habib.

Les pourvoyeurs des charniers à Gaza s’inscrivent tous dans la même logique, celle du « choc des civilisations ». Une logique qui entend réduire un conflit vieux de 75 ans entre Israël et Palestine à un affrontement entre « civilisation » et « barbarie », entre « bien » et « mal ». Une thèse qui se traduit par un génocide, l’usage de bombes à phosphore, des hôpitaux et des écoles bombardés. Une thèse qui foule au pied le droit international, son langage et ses mécanismes servant la paix, pour lui préférer les mots de « terrorisme » enveloppés dans des déclarations guerrières pour justifier les tueries de masse.

Théorisée par Samuel Huntington en 1996, cette thèse made in USA a très vite servi les intérêts des criminels de guerre nord-américains pour justifier leurs invasions en Irak et en Afghanistan. Les différences culturelles se muent en hiérarchie. On passe “des civilisations” à “la civilisation” contre “la barbarie”. La théorie de Huntington devient ainsi le soubassement idéologique, la caution intellectuelle à la “guerre contre le terrorisme” menée par l’OTAN au Moyen-Orient. Avec des résultats terribles en termes de morts et de déstabilisation géopolitique pour toute une région du monde.

Aujourd’hui, cette logique sert à justifier les crimes de guerre de Benjamin Netanyahou en même temps qu’elle anesthésie toute la question de la reconnaissance d’un État Palestinien. Les Palestiniens deviennent des “animaux humains” et sont « tous terroristes », mais aussi « tous responsables des crimes commis par le Hamas » d’après le Président israelien Isaac Herzog. Notre article.

L’instrumentalisation du “choc des civilisations” par le Président va-t-guerre G. W. Bush

Déshumaniser ou diaboliser  “l’autre”est une technique ancestrale pour pousser des humains à en massacrer d’autres, au mépris des risques pour leur propre vie. 

Dans son article Guerre coloniale ou choc des civilisations ? Mohamed Bensaada explique comment les perses utilisaient la dualité du zoroastrisme pour galvaniser les troupes et diaboliser leurs adversaires : Ils étaient les enfants d’Ahura Mazda (principe du bien) et ceux qu’ils combattaient n’étaient que les suppôts d’Ahriman (principe du mal).

Plus récemment, lors de la conquête des Amériques. La bassesse morale des habitants est invoquée comme justification à ce qui sera aujourd’hui dénommée comme le plus grand génocide de l’Histoire. (La population est passée de 80 à 10 millions en moins d’un siècle.)

Lors de la guerre entre la France et l’Allemagne en 1914, c’est toute une machine de propagande devenue industrielle qui se met en route. Toujours le même objectif, déshumaniser. Transformer celui qui se trouve de l’autre côté du front en monstre absolu. 

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Source : Images de l’Allemand Date de publication : Mars 2016 Auteur : Laurent VÉRAY

Toujours le même résultat. L’autodestruction de deux jeunesses qui avaient pourtant apportées au monde, quelques années auparavant, parmi les plus belles lumières intellectuelles et artistiques. 

Au 21e siècle, le fondement idéologique, la caution intellectuelle de ce procédé de diabolisation est tiré d’un livre publié en 1996, Le Choc des civilisations de Samuel Huntington. 

Au départ, pourtant, ce livre n’est pas grand chose de plus qu’une théorie bancale des Relations internationales après la Guerre Froide. L’auteur avance l’idée que les différences culturelles et religieuses, plutôt que les idéologies politiques ou les intérêts économiques, seront les principales sources de conflits à l’avenir. Il identifie neuf civilisations majeures, chacune avec ses propres valeurs, croyances et traditions distinctes. Huntington prédit des affrontements majeurs entre ces civilisations, en particulier entre l’Occident et l’Islam, mais aussi entre d’autres groupes culturels. 

On trouve même certains garde-fou à l’instrumentalisation que vont en faire les “faucons”, ces néoconservateurs fanatiques de la projection de l’armée américaine partout sur la planète. L’auteur du Choc des civilisations met en garde contre l’occidentalisation forcée des sociétés non occidentales, affirmant que cela entraînerait des réactions violentes. Selon lui, les conflits futurs découleront des divergences profondes en matière de religion, de culture et d’histoire. Huntington souligne l’importance de préserver les identités culturelles nationales pour atténuer ces tensions.

Sauf que, malgré ce qui peut sembler de bonnes intentions, le ver est dans le fruit. Pourquoi ? Parce que cette théorie nie toute possibilité de créolisation, d’intérêt général humain. Cette focale mise sur des civilisations, presque gravées dans le marbre, nie les causes communes de l’humanité, son égalité intrinsèque en termes de besoin et donc de droits. En établissant neuf civilisations délimitées, Samuel Huntington se livre à une opération d’essentialisation à grande échelle. Le lieu de naissance de chaque humain détermine un “camp”.

Ainsi, lorsque Al-Qaïda attaque les États-Unis le 11 septembre 2001, G. W. Bush, Président des États-Unis, va utiliser cette théorie pour justifier l’invasion de tout un pays, l’Afghanistan, qui n’a pourtant pas revendiqué formellement cette attaque, même si les talibans au pouvoir ont refusé de livrer les dirigeants d’Al-Qaïda. A partir de la vision de deux civilisations irréconciliables, les attentats du World Trade Center constitue une déclaration de guerre non d’un groupe de fanatique aux ordres de Ben Laden aux États-Unis mais entre l’Occident et “L’axe du mal” selon le mot de Bush en janvier 2002. Cette rhétorique va ensuite mener au désastre de l’invasion de l’Irak. 

L’impasse de la guerre au terrorisme

G. W. utilise donc une théorie de Relations internationales, déjà bancale, pour justifier sa guerre contre le terrorisme. Le choc des civilisations se transforme dans cet esprit à peu près aussi brillant que celui d’un joueur de football américain après dix traumatismes crâniens, en choc en LA civilisation, (occidentale, et en fait, américaine) et la barbarie. Il ne s’agit plus de défendre ses intérêts. Mais de combattre le mal. Comme dans les mauvais films hollywoodiens dont son père, lui-même Président va-t-en guerre des États-Unis l’a probablement gavé pendant son enfance.

Le problème, c’est que le monde réel n’est pas celui de Marvel. 

Le mot de terrorisme interdit le recul, l’analyse ou la contextualisation. C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé l’Agence France Presse dans un communiqué du 28 octobre, justifiant le fait qu’elle n’utilise pas ce mot. On le rappelle, comprendre n’est pas justifier. Mais ne pas comprendre une situation c’est l’assurance ne jamais pouvoir y trouver une solution. Ce manichéisme aveuglant de la guerre contre le terrorisme explique grandement les résultats, a minima peu convainquant, de l’action des États-Unis entre la Méditerranée et l’Himalaya depuis 2001. 

Les ravages du choc des civilisations sur le conflit entre Israël et la Palestine

Le 11 Septembre trouve sa traduction directe dans le conflit entre Israël et la Palestine. Ariel Sharon, 1er ministre israélien de l’époque, déclare : « Arafat c’est notre Ben Laden ! » On voit ici nettement l’impact de la théorie du choc des civilisations. Des milliers de kilomètres séparent les deux individus. Surtout, Yasser Arafat est à l’époque rien de moins que le chef de l’Organisation de Libération de la Palestine, le signataire des accords d’Oslo, et prix Nobel de la Paix 1994. Non, vraiment, excepté la religion, rien ne permet de rapprocher Arafat de Ben Laden. 

C’est pourquoi, il est absolument nécessaire de refuser cette terminologie de terrorisme aujourd’hui. L’attaque du Hamas est une horreur sans nom. Mais l’assimiler, à tort, à Daesh ou Al-Qaïda, ne fera pas revenir les morts ni avancer la cause de la paix juste et durable. Car non, le Hamas n’est pas Daesh. Ni dans son projet politique, ni dans ses modalités d’action. Pas de projet de califat à cheval sur plusieurs États. Pas de propagande pour recruter des jeunes européens perdus. Le Hamas n’est pas Al-Qaïda. Il n’existe aucun exemple de projection de force contre d’autre pays. 

Le Hamas est coupable de crime de guerre le 7 octobre et les jours suivants. Mais qui peut sérieusement croire que l’explication de ces meurtres se trouve dans une nature barbare, à moins que ce ne soit carrément intrinsèque à leur religion ? Stop. Animaliser, déshumaniser ne permet jamais de résoudre un conflit. Cependant, il a une utilité : justifier le massacre. Et c’est exactement ce qui se passe dans l’offensive vengeresse menée par Israël aujourd’hui, avec le “soutien inconditionnel” des faucons français. 

Cette logique permet de justifier un cycle de représailles totales de Benjamin Netanyahou, Premier ministre d’un gouvernement d’extrême droite en Israël contre les « terroristes ». Les Palestiniens deviennent des “animaux humains” dans la bouche de son ministre de la Défense. Le Président Isaaec Herzog va même jusqu’à déclarer que toute la population civile est responsable des crimes de guerre commis par le Hamas.

En adoptant cette grille de lecture du choc des civilisations dévoyé entre guerre entre la civilisation et la barbarie, les responsables français sont inévitablement forcés à devoir excuser l’injustifiable. Empêtré dans cette analyse tronquée, déformée, malhonnête, qui ne tient aucun compte des déterminants historiques  d’un conflit qui dure depuis 70 ans, de sa dimension économique, coloniale, celles et ceux qui en France qualifie le Hamas d’organisation terroriste sont entraînés immanquablement dans une logique de guerre entre le bien et le mal. Or, contre le mal, tout est permis. 

Ainsi, 7000 civils Palestiniens dont 2913 enfants (chiffre du 27 octobre 2023), ne sont plus que des dommages collatéraux, peut-être regrettables, mais totalement nécessaires pour garantir “le droit d’Israël à se défendre”. 

Par Ulysse