et la fête continue !
Capture d'écran de la bande d'annonce du film « Et la fête continue ! ».

« Et la fête continue ! » : une histoire marseillaise où se concentrent tous les fracas du monde

L’Insoumission.fr publie un nouvel article de sa rubrique « Nos murs ont des oreilles – Arts et mouvement des idées ». Son but est de porter attention à la place de l’imaginaire et de son influence en politique, avec l’idée que se relier aux artistes et aux intellectuels est un atout pour penser le présent et regarder le futur.

Pour ce nouvel article, l’Insoumission.fr vous parle du 23ᵉ film de Robert Guédiguian, « Et la fête continue ! », cette semaine sur nos écrans. C’est toujours une expérience familière de voir un de ses films. On y retrouve la même famille d’acteurs : Ariane Ascaride, Gérard Meylan, Jean-Pierre Darroussin, Jacques Boudet… Rejoints par leurs « enfants » : Robinson Stévenin, Grégoire Leprince-Ringuet, Alicia Da Luz Gomes et Lola Naymark. On salue les arrivées comme une naissance dans la famille.

On craint pour les absents. On prend de l’âge avec sa bande. On en observe les changements physiques et sociaux. Parfois se manifeste la trace d’un film précédent. C’est une expérience rare au cinéma. Proche de Cassavetes avec Ben Gazzara, Peter Falk, Seymour Cassel et Gena Rowlands. C’est une histoire marseillaise où se concentrent tous les fracas du monde. Notre article.

Le cinéma pour changer le monde – « Une parole peut guérir le mal qu’une parole a causé », Eschyle

Robert Guédiguian s’intéresse de film en film aux héros du quotidien. Il est prodigue en fictions. Affamé de romanesque. Mais pas d’erreur, sa filmographie n’est pas un feuilleton. Il sait se renouveler. Du mélodrame à la comédie en passant par le film historique. Réaliste ou fabuliste. Un pas du côté du rêve et du surnaturel. Régulièrement. Sans nostalgie et en prenant l’air du temps. Avec le souci d’aujourd’hui. Avec camaraderie. Le monde comme horizon. Pour le comprendre et le changer. Selon le cinéaste, l’art est utile. Il croit en son efficacité.

Le cinéma de Robert Guédiguian se reconnaît au premier coup d’œil. Didactique sans dogmatisme. Lyrique sans exaltation ni guimauve. Certains le disent naïf. D’accord. Mais à la manière du Douanier Rousseau. La perspective ne s’inscrit pas dans la toile mais dans le sens. Contrairement au réel, le réalisme n’est pas son souci. Comme Fassbinder dans Querelle, il embarque parfois vers des ambiances lumineuses et picturales oniriques. Un cinéma populaire d’auteur.

« Essayer. Rater. Essayer encore. Rater encore. Rater mieux », Samuel Beckett

Son dernier opus s’appelle « Et la fête continue ! » (voir la bande-annonce). On hésite quant au sens du mot « Fête » du titre. « On va faire ta fête ? ». « Un air de fête ? ». « La fête malgré tout ? ». « Être de la fête ? ». Le cinéaste souligne l’importance du point d’exclamation. Et n’accepte pas la défaite. On pourrait aussi réfléchir au mot « continue ». Dans le combat qu’est un film, le réalisateur Robert Guédiguian embarque ses complices habituels. Sa famille de l’autre côté de l’image. L’auteur Serge Valleti. Le compositeur Michel Petrossian. Son monteur Bernard Sasia…

Mais aussi ses nombreux compagnons des mots, de papier et de pellicule. Homère. Victor Hugo. Marcel Proust. Edgar Morin. Umberto Ecco, Samuel Beckett, Blaise Pascal… parmi d’autres. On les retrouve sur les cartes d’Henri à Alice, dans les mains et dans les bibliothèques des personnages. On les entend en écho des Grecs antiques et du thème de Camille du Mépris de Godard. Tout cela à côté des affiches de SOS Méditerranée ou de meetings. Et du mont Ararat. Robert Guediguian nous a ouvert son carnet de notes.

« Citoyens, vouliez-vous une révolution sans révolution ? », Robespierre – 5 novembre 1792

« Et La fête continue ! » est le film d’un jeune homme qui aurait soixante-dix ans d’expérience. Une histoire marseillaise où se concentrent tous les fracas du monde. Dans le craquement de l’effondrement des immeubles rue d’Aubagne le 5 novembre 2018. Avec l’écho de la guerre en Arménie au Haut-Karabagh. Dans l’affaissement silencieux des services publics. Particulièrement l’hôpital. Avec le drame des réfugiés. La corruption des élites… Entre autres. Et des partis de gauche (d’avant) qui pensent plus à leur intérieur qu’à l’intérêt général.

La catastrophe est là. Pas le désespoir. « Il faut allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté » aurait pu dire aussi l’Antonio du film. Robert Guediguian précise : « Je n’ai pas une vision apocalyptique du futur. Même si tout est fait pour nous écraser, je crois encore dans les initiatives solidaires et dans les ressources de l’humanité ». « Et la fête continue ! » est donc un film-choeur. Un film-choeur plutôt qu’une épopée héroïque. Notre période noire n’a pas besoin d’un héros mais d’engagements. Il n’y a donc pas une histoire dans le film de Guédiguian. Mais des vies d’hommes et de femmes.

Une construction narrative habile croisant et embrassant plusieurs récits parallèles. Au rythme de la chanson d’Aznavour, l’arménien. Comme un refrain d’espérance. Sans un salaud. Sans Judas non plus si ce n’est sur la Cène de Philippe de Champaigne qui trône au milieu de l’église. Marseille sans kalachnikov, sans gangster et sans drogue. Sans Bonne Mère. Avec des découragements mais pas de renoncement. Une fable optimiste et au bout du compte heureuse. Pour combler les brèches de notre époque. À la Nanni Moretti de Vers un avenir radieux. Ou à la Ken Loach de The Old Oak.

Pour aller plus loin : THE OLD OAK DE KEN LOACH – La solidarité des exploités

Trois cinéastes mettent aujourd’hui la solidarité et l’espérance à l’ordre du jour de leurs œuvres. Le foyer du combat n’est plus animé par les partis. C’est cette église occupée où se réunissent les citoyens. Pour secourir. Pour débattre. Pour chanter. Pour lutter. Au centre de ce foyer, Alice. Le double jeune de Rosa, la passionaria qui continue à espérer dans les formes anciennes du combat. Empêtrée dans les municipales. Alice, comédienne, a renoncé aux scènes, mais pas au théâtre. Il se joue dans la rue. Avec les citoyens.

Sous le patronage de la statue d’Homère. L’aveugle qui savait raconter des histoires. Mieux vaut être aveugle que sourd. Homère, le poète des phocéens fondateurs de Marseille. « Et fête continue ! » est aussi un film de passage de relais. Les anciens sont là. D’un côté, Henri, le libraire retraité. De l’autre, Antonio, le communiste. Et sa soeur Rosa, l’écolo que son père militant de base du PCF vient visiter en rêves. Rosa comme Luxemburg. Antonio comme Gramsci. Deux figures communistes de la contestation du bolchevisme. On connaît la querelle de Rosa Luxemburg avec Lénine.

Pour aller plus loin : Portrait – Rosa Luxemburg, la Révolution pour toujours

On connaît le conflit de Gramsci avec Staline. Les trois anciens sont l’image trinitaire de l’échec. Pas d’émancipation par la culture en vue. Pas de révolution non plus. Ils sont ceux qui renaissent sans cesse et insistent. Ils sont ceux qui transmettent. Ils sont disjoints. Comme forme et fond peuvent malheureusement l’être. Ils sont ceux qui, forme et fond, vont se réunir. Entre eux. Et dans Alice. Et si la réconciliation de l’art et de la politique était l’avenir ? Homère et Guédiguian hocheraient peut-être la tête.

« Le choeur a ses raisons que la raison ignore », Presque Pascal

L’engagement cher à Guediguian n’est pas seulement politique. On n’abordera pas ici l’engagement dans son métier – première et seconde ligne. Ni l’engagement – pas l’enrôlement – dans la guerre. Mais l’engagement en amour. Filial. Avec ses parcours
familiaux de sang, du sol ou d’adoption. L’engagement aussi des êtres, des corps et des âmes. Pour que les débuts puissent être des promesses. Et les fins des recommencements. Si Rosa doute de la possibilité de renaître d’un parti politique, l’amour est le phœnix des hommes et des femmes.

Le cinéaste mêle allègrement l’intime et le politique. Si nous y réfléchissons un peu comme
dans nos vies ? « Que nous reste-t-il à espérer dans un monde aussi sombre, dévoré par le fascisme, le contrôle des corps et la marchandise ? » dit Raoul Vaneigem cité par Henri. Réponse du même : « Rien ne résiste à la joie ». Tout commence dans le fracas d’un effondrement. Mais tout recommence et continue. L’amour, la vie, la solidarité, la lutte. Jean-Luc Godard dit « Le cinéma n’est pas à l’abri du temps. Il est l’abri du temps ». Et le film se termine face à la mer. Avec Rosa et Homère.

Par Laurent Klajnbaum

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