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« White Race Power », « Dieu, Famille, Patrie » : des militaires néonazis à Belfort, l’armée dans l’embarras

Au fil des ans et des enquêtes, l’image de l’armée comme « grande muette », qui ne s’occupe pas des affaires politiques, qui ne sort pas du rang, est mise à mal dans l’opinion. En 2021, Mediapart révélait la présence d’une cinquantaine de néonazis dans plusieurs régiments, sans que leur hiérarchie semble au courant ou prenne le problème au sérieux. La même année, deux tribunes séditieuses de militaires (actifs ou en retraite) publiées dans Valeurs Actuelles prétendaient alerter sur le « délitement » de la France, sur le risque d’une soi-disant « guerre civile », le tout sous les applaudissements de Marine Le Pen. Dans aucun de ces cas, le gouvernement n’a pris la mesure du danger.

Dernier scandale en date : deux militaires du 35ᵉ régiment d’infanterie (RI) de Belfort (90) épinglés par le média indépendant Streetpress comme étant des néonazis. L’enquête est vite reprise dans la presse locale (Est Républicain, France 3 régions…) ainsi que par le député insoumis du Territoire de Belfort, Florian Chauche. L’armée annonce dans la foulée suspendre les deux militaires… avant de minimiser leurs actes, malgré les éléments avancés par Streetpress. Notre article.

Des signes qui ne trompent pas

La trace des deux militaires mis en cause, Lukas C. et Raphaël G., peut être facilement retrouvée. Sur le compte Instagram de leur régiment, on peut voir, sur une photo pas encore supprimée ce 12 septembre, Lukas C., facilement reconnaissable, car faisant une tête de plus que ces congénères. En grattant un peu le vernis de la vie en régiment, le jeune homme révèle sur son compte Instagram personnel une face bien plus sombre. On le voit notamment en train de faire un salut Kuhnen (signe néonazi), tandis que son ami, Raphaël, fait un salut nazi plus « classique ».

Dans ses stories Instagram, on retrouve aussi des appels à « refaire comme en 732 pour chasser la peste de France » (référence à la bataille de Poitiers, où les Francs de Charles Martel ont repoussé une armée en majorité musulmane, bataille souvent idéalisée par l’extrême-droite, ndlr). Il se vante aussi d’être dans « un des régiments les plus nazis au monde », ou encore d’apparaître sur le canal Telegram d’extrême droite européen Ouest Casual.

Pour aller plus loin : Croix, chiffres, crânes ou guêpes : ces symboles utilisés par l’extrême droite en France que vous devez connaître

Plus concrètement, Lukas C. appelait aussi à envoyer l’armée pour « nettoyer le pays ». Seulement quand on voit son compte Instagram, on se doute qu’il ne parle pas de l’armée française : en plus des saluts nazis, on peut le voir poser avec trois autres hommes, tout fier devant une croix gammée, le visage anonymisé par une Totenkopf (littéralement, une tête de mort, ndlr). Pour rappel, il s’agit d’un des emblèmes de la SS, que l’on retrouve aussi sur le profil Telegram de Lukas C.

Son copain Raphaël G. ne démérite pas non plus. Outre le salut nazi avec Lukas C., son compte Instagram (où sa présentation se limite à « Dieu, Famille, Patrie » en référence à la devise du régime de Vichy « Travail, Famille, Patrie »), il se présente comme un « soldat européen » tout en reprenant des slogans de suprémacistes blancs.

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L’armée suspend… mais tempère

Suite à ces révélations, l’Armée suspend immédiatement les deux mis en cause, qui sont convoqués par leurs gradés, et une enquête interne est lancée. Pourtant, dès le 7 septembre, le commandant en second du 35ᵉ RI de Belfort dit vouloir « comprendre avant de punir ». Le lieutenant-colonel Pochard, pour qui « ces idéologies sont inacceptables », s’est entretenu avec les deux néonazis. Il y a davantage vu de pauvres gosses (ils ont 18 et 19 ans), « en manque de repères structurants » pour l’un d’eux, plutôt que des fans du IIIème Reich (alors que l’un n’empêche pas l’autre).

Il remarque de plus que l’un aurait entraîné l’autre dans sa dérive néonazie. Le gradé affirme même ne pas être sûr « qu’ils avaient vraiment conscience de ce qu’a fait le IIIème Reich ». Cependant, leur reprise de slogans suprémacistes blancs, de saluts néonazis relativement confidentiels trahit une connaissance de ces milieux d’extrême droite et de leurs symboles. De plus, cette version avancée par le lieutenant-colonel (et relayée sans recul par la presse locale) oublie le rôle tenu notamment par Lukas C. En effet, ses actions ne se limitent pas à poser avec des symboles nazis sur Instagram.

De simples suiveurs ?

Toujours selon Streetpress, Lukas C. et Raphaël G. faisaient partie des néonazis en embuscade près de la faculté de lettres et sciences humaines de Besançon le 17 mars (nous en avions parlé ici).

Plus encore, Lukas C. est recruteur dans le Doubs pour « Nova Europa ». De quoi s’agit-il ? Peu après les révélations sur les groupes Telegram FrDeter par Tajmaât (que nous avions relayé ici), plusieurs groupes Telegram d’extrême droite se sont créés pour reprendre le flambeau FrDeter (comme “Affiche ton Antifa”). Mais un groupe a, pendant un temps, failli remonter une structure proche de FrDeter (avant d’être supprimée).

Nova Europa était une boucle Telegram d’extrême-droite de près de 8 000 membres, divisée en boucles locales (en théorie une par département). Or sur la boucle Telegram Nova Europa du Doubs (25), l’un des référents locaux, “Tikii” (dont la bio Instagram comprend « Qui veut la paix prépare la guerre », tout un programme…) indique que « toutes les personnes qui sont plus proches de Belfort que de Besançon » doivent contacter Lukas C., officiellement « nouveau recruteur du Doubs ». Tiens, tiens.

Ainsi « Gallico Vallum » est créé par Lukas C. comme déclinaison belfortaine de Nova Europa, un groupe qui reprend dans sa présentation sur Instagram des références néonazies, aux nazis historiques (notamment à la Division SS Charlemagne), en reprenant des images des Vandal Besak, un groupe néonazi de Besançon. Car oui, Raphaël G. et Lukas C. ne se contentent pas de faire partie des cercles d’extrême-droite de Belfort : ils sont membres des Vandal Besak, mais ils ont aussi des contacts hors de Franche-Comté.

L’été dernier a eu lieu dans la région, près de Besançon, une « journée de cohésion » de groupes néonazis : Vandal Besak, Infréquentables Dijon, Korrigans squad (de Rennes), mais aussi la division Martel (de Paris). Selon Streetpress, Lukas C. était présent à cet évènement, qui s’est suivi d’une déambulation le soir dans les rues de Besançon.

Raphaël G., quant à lui s’exporte. Sur ses stories Instagram, outre une vidéo d’une de ses agressions, on peut le voir s’entraîner avec Adrien Dalençon de Rouen. Lui aussi est recruteur Nova Europa dans le 76, mais faisait aussi partie de l’expédition punitive raciste lors du match France-Maroc.

Une situation qui risque de se répéter

Lukas C. et Raphaël G. ne sont pas les premiers cas de néonazis dans le 35ᵉ RI de Belfort. L’enquête de Mediapart de 2021 révélait qu’un des soldats désignés comme néonazis était caporal dans ce même régiment, avant d’être mis à pied.

Depuis, les deux militaires ont été suspendus et risquent l’exclusion de l’armée. Une enquête interne à l’armée est en cours ; Le député LFI de Seine-Saint-Denis Thomas Portes a alerté le ministre des Armées, Sébastien Lecornu sur la présence répétée de néonazis au sein de cette troupe. On attend maintenant une réponse politique de la part du gouvernement. Reste à espérer que ce dernier va mettre plus d’énergie dans la traque aux néonazies que dans la répression des mouvements sociaux et écologistes.

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