Médine

Qui a peur de Médine ?

Médine. Les 5 jours de fête pour les 50 ans de la Maison de Quartier Bagatelle de Toulouse se sont tenus jusqu’à dimanche soir dernier. 5 jours gratuits d’ateliers, de spectacles, de débats, d’initiations aux sports et aux arts, de projections, de concerts, d’expositions, de repas et de fêtes au cœur du quartier populaire Bagatelle, en lien avec les autres quartiers populaires et toute la ville. A l’image de la Maison, diverse, joyeuse, mettant en avant une laïcité dynamique et mixité des genres, autonome des pouvoirs locaux et utile au quotidien pour les habitants, avec comme horizon d’action la construction d’un monde solidaire, mutuellement respectueux et égalitaire. Une fête vraiment belle. Sans Médine.

Le verdict est tombé au milieu de la semaine dernière. La mairie de Toulouse et la préfecture de Haute-Garonne ont annulé le concert du rappeur Médine programmé samedi. Ce devait être le clou de ces 5 jours, le moment où le quartier est fier d’accueillir celui qu’en principe on ne voit que par écrans interposés et fier de cette occasion d’accueillir chez eux cet artiste et les autres Toulousains.

Motif de l’annulation du maire et du préfet : le déroulement du match de rugby Géorgie-Portugal prévu ce même jour. Pas assez de forces de l’ordre pour assurer la sécurité du match et du concert. C’est une plaisanterie ? Notre article.

Interdiction d’un concert de Médine à Toulouse : quels responsables, quels profiteurs, quelles victimes ?

Jean-Luc Moudenc, le maire de Toulouse, à la tête d’une coalition Renaissance/LR, a eu beau exprimer « tous ses regrets », personne n’est dupe. Ce maire n’en est pas à son coup d’essai. Il avait, sous la pression de Reconquête, interdit une lecture de Drag-queens à la bibliothèque en janvier à l’initiative de la MJC.

Il semble évident que cet édile d’une part, se méfie des quartiers populaires, ces quartiers stigmatisés et meurtris, mobilisés dimanche dernier contre le racisme systémique et les violence policières. D’autre part, celui-ci veut donner des gages à l’extrême droite. Au lendemain des soulèvements des quartiers, au sein d’un rassemblement d’élus où se répétait qu’on vivait « deux France qui s’affrontent », Jean-Luc Moudenc réclamait le « rétablissement de la loi anti-casseurs » qui permet de condamner une personne pour sa seule présence dans un lieu.

Une pierre de plus dans la volonté des macronistes de construire une hégémonie culturelle, au sens gramscien, autour des idées de l’extrême droite pour prétendre continuer à gouverner. Avec malheureusement le concours d’hommes et de forces à gauche. 

Cette interdiction du concert gratuit de Medine a fait plusieurs victimes. La Maison de quartier Bagatelle, connue pour son activité infatigable et pour son indépendance, les habitants des quartiers Bagatelle et du Mirail voisin. Et le rappeur Medine poursuivi  par ailleurs, outre la haine des macronistes, de la droite et de l’extrême-droite, par le parti de Zemmour qui réclame partout l’interdiction de ses concerts.

La presse qui relaie ce fait, évoque « le chanteur controversé » qui “sent le souffre” (La Dépêche), le rappeur accusé de prises de position homophobes et antisémites (France Bleu)… Cette même presse que 5 jours de fête et de mobilisations autour de la Maison de Quartier n’intéresse pas plus que cela.

Médine n’a pas besoin d’avocat pour plaider sa cause. Mais d’amis pour le soutenir.  Signalons que dans un entretien dans le journal Ballast et à plusieurs autres reprises il affirme : « On veut la justice sociale, on veut combattre l’extrême droite, on veut en finir avec les mécanismes d’oppression qui frappent à la fois les populations LGBT, à la fois les racisés, à la fois les féministes ».

Pour aller plus loin : Médine et LFI : le mensonge de BFMTV en direct

Sûrement, le rappeur paye-t-il à la fois son origine sociale et son rayonnement dans les quartiers populaires, sa foi qui l’expose à l’islamophobie, son soutien aux luttes sociales qui l’a conduit, lors du mouvement contre la retraite à 64 ans à participer à un « concert de soutien aux grévistes » ou, habitant au Havre, à soutenir les grévistes de la raffinerie TotalEnergies, à Gonfreville-l’Orcher, son engagement pour la transformation de la société et la justice pour les quartiers qui a été le fil rouge de sa discussion publique avec Mathilde Panot cet été aux Amphis de Valence de la France insoumise.

Mais ce qui nous importe aussi c’est l’artiste. Celui qui manie, avec finesse, la langue de Molière, de Glissant et de Kateb Yacine depuis plus de 20 ans, alternant humour et gravité, s’investissant dans la narration du monde avec sa série “les enfants du destin”, de Sou-Han, la petite vietnamienne à David le jeune israélien, en passant par Nour le Rohingya.

Médine, chanteur à la voix de stentor et aux convictions profondes

Au travers de ses histoires chantées, il affirme ses convictions et sa foi, transfigure le récit pour des sujets plus globaux, en citant Victor Hugo comme MalcomX, tentant de défaire les préjugés qui courent contre le monde musulman, nous rappellant les heures sombres de l’histoire franco algérienne… Ce qui nous touche chez Médine, c’est aussi sa voix de stentor, à l’image du crieur grec de l’Iliade d’Homère, « voix de bronze, aussi forte que celle de cinquante hommes réunis ». Une voix qui dit quelquefois ce que les mots s’efforcent de taire, tantôt de colère, tantôt de tendresse.

Médine est un auteur qui sait se remettre en question sur le fond comme dans les formes, en artiste et en citoyen. On le dit contestable. C’est vrai, c’est cela la liberté d’expression et de création, et la liberté d’appréciation, tout peut et doit être discuté hors ce qui tombe sous le coup de la loi. On le dit provocateur aussi. C’est également vrai. Et qu’on ne le supporte pas devrait nous interroger. Se souvient-on que lorsque nous chantonnons Le gorille de Georges Brassens nous racontons l’histoire d’un grand singe qui sort de sa cage pour, renonçant à violer une vieille dame, sodomiser un juge. Medine aime Brassens et ce n’est pas un hasard.

Mis à part le préjudice aux habitants de Toulouse et à Médine, il y a une chose de rassurante dans cette sombre histoire. Elle rappelle et conforte que les œuvres peuvent faire encore peur aux puissants. Et à tous les préjugés, oeillères et pseudo bon sens dominants.  Et cette force des œuvres s’exerce autant dans les mots et le fond que la forme qui modifient notre regard. Cette censure artistique n’est pas isolée.

Elles se conjuguent avec une volonté de faire taire les artistes et d’aseptiser les œuvres, de contraindre les artistes par l’argent et la diffusion. Mais toute l’histoire est parcourue de textes, de tableaux, de chants… condamnés aujourd’hui reconnus – même si parfois mal-connus – comme Le jugement dernier de Michel-Ange, Madame Bovary de Flaubert, Les fleurs du mal de Baudelaire, Le déjeuner sur l’herbe de Manet, Nous irons cracher sur vos tombes de Vian, La dernière tentation du Christ de Scorcese …

Médine France

Rien de mieux pour connaître le chanteur et apprécier son art de jouer avec la langue, que de l’écouter et à défaut, ici, le lire. Sa chanson Médine France :

Médine France, pas Made in Taïwan
Okay

J’suis pas Made in France quand j’vois les étudiants d’vant le CROUS
Faire la queue pour obtenir la moitié d’un casse-croûte
Encore un texte, qu’on vilipende, ça f’sait longtemps
Normal que j’prenne les premiers coups si j’suis toujours en avance sur mon temps
J’suis pas Made in Algérie, des généraux, un seul héros
C’est le peuple et y aura jamais à changer les rôles
J’me sens Algérien comme ceux qui ne l’étaient pas à la base

Jacques Vergès, Frantz Fanon et la grand-mère d’Édith Piaf
J’suis pas Made in Dubaï, là-bas, y a trop d’chichi
Y a qu’des connards d’exilés fiscaux riches du dropshipping
J’suis plus vieux qu’leur archipel sorti hier d’sous terre
Avec leur super tower que des Indiens soudèrent
Ils ont des mall immenses, des parcs de jeux pour tout âge
Les bâtissants salissant l’blase d’Ibn Battûta
Comme une boutique de CBD qu’on appelle Bob Marley
Les rues les plus violentes s’appellent Ghandi, à c’qu’il paraît
J’suis pas Made in Qatar, nique le foot et l’soft power

La World Cup 2022 est pleine de sang d’bosseurs
De Népalais, de Sri lankais et Philippins
Mille vies venues d’Inde par conteneurs comme barquettes de filet d’dinde
J’suis pas Made in Russia qui censure tous les podcasts
J’veux pas d’un président torché à la mauvaise vodka
Qui empoisonne ses opposants avec des neurotoxiques
Crois refaire l’image de son peuple à la chirurgie plastique
J’suis pas Made in U.S.A, Made in America
Ils sont jamais retournés sur la Lune mais deux fois en Irak
Y a eu du ch’min de fait depuis que les noirs luttèrent
Mais les rues les plus violentes sont celles qui portent le nom Martin Luther

À Thanksgiving, ils se souviennent des Indiens
En génocidant toutes les dindes et passent au Black Friday le lendemain
Pas d’calumet, allume les noirs avec des armes de taille humaine
Pas besoin d’détailler, c’est la mental’ états-unienne
J’suis pas Made in Africa et toute sa corruption
Vouloir être l’égal de l’Europe, c’est clairement manquer d’ambition
Où la misère est beaucoup mieux partagée qu’les richesses
Où y a p’t-être beaucoup moins de diplômés que de fiches S
J’suis pas Made in Saoudia, ni d’la Mecque, ni de Riyad, qui font payer les vieillards plus d’3K le pèlerinage
Pas Made in el Madina, si mon père m’a donné c’blase, c’est pour honorer son shab, pas pour surfer sur l’histoire

Médine France (Médine France, Médine France)
Médine France (Médine France, Médine France)
Médine France
Médine France
Pur produit des pays pauvres, j’suis un palmier du Pays d’Caux
De la France périphérique comme Adama, oublié comme AirBnB à Damas
Politiquement, j’suis médiniste de gauche, entre Ademo, N.O.S et Pierre Desproges
Chaque fois que je rappe, y a v’là les doss’, chaque fois qu’j’prends position, j’perds des proches

J’ai comme une envie d’pranker Valeurs Actuelles
Chez qui y a plus de connards que d’prix Nobel
Vous serez prêts à vendre du papier à des arbres

Même les poissons ont la honte d’être emballés dans vos pages
Ils sont en train de faire de nous leur pire ennemi
Quand ils s’adressent à l’un d’nous comme Pepita dans Pyramide
Prends des coups d’matraque dans le pif comme des tests antigéniques
Si tu l’ouvres, t’es qu’un islamiste, au mieux, un indigéniste
Pendant qu’ils vendent des rafales au régime des Émirats
Ou bien l’essence de Total pour les bateaux d’la junte birmane
Pendant qu’pépé peut plus payer son plumard médicalisé
Si j’étais personnel soignant, j’me serais d’jà radicalisé

Ils reculent l’âge de la r’traite mais avancent l’âge de la mort
Disent que c’est nous qu’appelons au meurtre, envie d’gerber jusqu’à l’aurore
Est-ce que l’État nous protège ou l’État s’protège de nous ?
J’sais plus si la France a assez de pouls, si on s’embrasse ou on s’étouffe
J’sais plus si j’dois militer ou, au contraire, me limiter
Est-ce que mes repas d’mif’ sont des réunions en non-mixité ?
Pour me sentir intégré, j’ai rien trouvé d’autre qu’un défaut
Quand le Français perd sa beauté, alors il défigure les autres

Souhaitons à Médine de continuer sur sa voie et disons lui que nous serons toujours là pour affirmer sa liberté d’artiste, pour dialoguer avec lui et être à ses côtés.

Par Laurent Klajnbaum

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