Les maladies professionnelles des femmes sont invisibilisées. Leurs cancers sont 3 fois moins reconnus comme ayant pour origine leur travail que ceux des hommes. En cause : le manque de connaissances à tous les échelons, scientifique, médical, syndicale.
Deux études chocs viennent contribuer à mettre en lumière la santé des femmes au travail dans deux branches invisibles et essentielles : les soignantes en cancérologie et les agricultrices. Notre article.
Santé des femmes au travail : des batailles à mener à tous les niveaux
Cela fait maintenant 20 ans que les dévastations sanitaires causées par l’amiante sont connues, reconnues, au moins en partie indemnisées. Tandis que l’impact des produits chimiques utilisés dans les salons de coiffure commence à être démontré depuis moins de 10 ans. Faut-il y voir un effet de l’inégale répartition par genre des travailleurs touchés ? 95% des victimes recensées de l’amiante sont des hommes, 80% des professionnels de coiffure sont des femmes. C’est la thèse de cet article. La santé des femmes au travail est invisibilisée. Ce combat égalitaire doit être mené à tous les niveaux.
La première étape de cette invisibilisation commence dès la recherche fondamentale. Moins d’études, moins de budget, donc moins de connaissances scientifiques qui permettent de démontrer les causes d’une maladie et donc de la relier à l’activité professionnelle. Pour réaliser cet article, nous nous sommes appuyés sur une étude de l’’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) qui a démontré que le travail de nuit des femmes augmente le risque de cancer du sein de 30 %. Ces recherches sont indispensables pour alimenter tout le reste de la bataille sociale et elles sont encore insuffisantes aujourd’hui.
Dans le parcours de soin, cette invisibilisation a lieu principalement lors de la recherche des causes des pathologies. Par manque de connaissance scientifique qui découle du premier point. Par manque d’adaptation des pratiques aux découvertes en la matière et par manque de formation continue également. Malgré l’étude de l’Inserm, les pratiques des oncologues n’ont encore que trop peu changé d’après Nolwenn Weiler, autrice de l’article de Bastamag.
Enfin, les syndicats peuvent également porter leur pierre à cet édifice d’égalité. D’une part, de nombreuses femmes travaillent encore aujourd’hui sans statut. Pas de statut, pas de reconnaissance possible pour une maladie professionnelle. D’autre part, les conditions de travail des femmes sont moins connues que celles des hommes. Faire connaître la proportion de femmes dans les personnes qui travaillent la nuit, ou qui sont exposés à des produits cancérogènes permettra d’élargir la prise de conscience et d’irriguer les deux champs de recherches et de connaissances mentionnés précédemment.
Deux études à diffuser pour lutter contre l’invisibilisation des soignantes et des agricultrices
Bonne nouvelle en la matière. Deux publications chocs sont récemment parues dans Bastamag. Nous nous faisons le relai de ces découvertes et nous invitons à les diffuser autour de vous.
La première concerne les soignantes en cancérologie et s’intitule : Produits radioactifs, traitements toxiques : quand celles qui soignent le cancer tombent elles-même malades
Le récit commence par Marie-Pierre. Cette soignante à la retraite est décédée d’un cancer en 2020. Jusqu’à sa mort, elle menait un important travail de collecte de témoignages et d’informations auprès de ses anciennes collègues parmi lesquelles une vingtaine sont également malade du cancer : « Je me suis dit que ce n’était pas possible, que l’on ne pouvait pas continuer à se taire »
ces femmes ont risqué leur vie pour sauver celle des autres
Cette enquête publiée par Basta leur donne justement la parole.
« quand je vois les précautions qu’ils prennent maintenant, et la façon dont les salariées sont harnachées pour préparer les chimios, je me dis que nous étions toutes nues. On se demande toujours si on n’a pas une petite tumeur qui pousse par là. Je comprends maintenant le préjudice d’anxiété dont on a tant parlé pour les victimes de l’amiante »
Marie-Noêlle
« En cancérologie, certains patients sont alités. Ce sont les aide-soignantes et les infirmières qui les lavent, les changent, évacuent leurs selles, urines et vomissements. »
Sidonie, aide-soignante pendant 40 ans, aujourd’hui atteinte par un cancer des ovaires
« Notre méconnaissance des risques était totale »
À Janine, infirmière de 1972 à 1979
Il n’existe aujourd’hui aucun recensement des cancers des soignants en cancérologie. La littérature scientifique existe mais elle reste méconnue. Cela tient autant à la nature de la maladie qui peut mettre des décennies à se déclarer qu’à la situation sociale des personnes touchées, des femmes, souvent racisés, infirmière, aide-soignante.
« Quand j’ai amené le sujet des cancers professionnels auprès de l’intersyndicale des centres de lutte contre le cancer, en décembre 2019, personne n’avait rien à dire » raconte Sylvie Heuveline, aide-soignante et déléguée syndicale Sud Santé-sociaux au centre Eugène-Marquis dans l’enquête de Basta. Résultat, très peu de reconnaissance de l’origine professionnelle de ces maladies.
Pendant des années, ces femmes ont risqué leur vie pour sauver celle des autres. Lisez, partagez cette enquête, faites résonner leur voix, mettez en lumière leur combat. Pour Marie-Pierre, il est trop tard, mais des centaines d’invisibles doivent recevoir la reconnaissance qu’elles méritent.
La seconde enquête concerne les agricultrices et s’intitule : Excès de cancer de l’ovaire, maladie de Parkinson : les agricultrices, victimes oubliées des pesticides ?
Avant toute chose, quelques chiffres sur la place des femmes dans l’agriculture. L’image symbolique de l’agriculteur est masculin, sur son tracteur ou tirant ses animaux. Si c’est en effet un métier en majorité exercé par des hommes, les femmes y occupent une partie importante : un chef d’exploitation agricole sur 4 est en fait une cheffe. Elles représentent aussi 35,7% des salariés du secteur.
Enfin, et c’est un point essentiel pour ce qui nous concerne : 123 000 femmes partagent le quotidien d’un travailleur agricole, exerce un métier à côté qui apporte un complément de revenu bienvenu dans une branche où se verser un salaire est une gageure. Cependant, en plus de leur métier, elle participe à la gestion de l’exploitation. Cette participation est souvent consubstantielle et essentielle au fonctionnement. Cependant, ce travail s’effectue sans contrat, sans statut. Et c’était encore bien plus le cas auparavant.
Qui lave la chemise, les bottes contaminées par les pesticides ?
Comme souvent, la place des femmes dans le processus de production est moins évident, moins visible. Sans être moins essentiel. Dans les films, on voit l’homme asperger ses champs de pesticides. Mais on ne voit pratiquement jamais sa femme qui manipulent, trient, les récoltes. Et pourtant. « Alors qu’on pense souvent, y compris les travailleurs et travailleuses, que l’exposition se fait principalement au moment de la pulvérisation, les activités dites de ’’réentrée’’ dans les cultures traitées figurent parmi celles où les niveaux d’exposition sont les plus forts », souligne Moritz Hunsmann du Groupement d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelle dans le Vaucluse.
Autre exemple frappant : qui lave la chemise, les bottes contaminées par les pesticides ? Dans ce cas, on voit la difficulté pour faire le lien logique entre la maladie et les pesticides, et encore plus pour faire reconnaître la maladie professionnelle dans le cas où la femme n’a pas de contrat de travail, juste le poids de siècles d’exploitation du travail gratuit.
Manque de connaissances, difficultés liées à la place dans la société des femmes, à l’invisibilisation qui s’exerce à toutes les étapes de leur vie, rendent ce combat difficile. Il est toutefois absolument nécessaire. « Il n’y a aucune raison de penser que le surrisque de développer un cancer du fait de l’exposition aux pesticides est moins important chez les femmes que chez les hommes », assure le docteur Lebailly.
Depuis 2020, il existe un organisme dédié à l’indemnisation des victimes des pesticides. Vous êtes vous même dans ce cas ? Des personnes de votre entourage pourraient bénéficier de cet accompagnement ? « La procédure est simple, il faut fournir le certificat médical établi par le médecin et remplir un formulaire. Elle ne nécessite pas de passer par une association ou un avocat » précise l’article de Basta.
Il est urgent de lever la cap d’invisibilité. Il est urgent de se battre pour une égale reconnaissance des risques professionnels entre les femmes et les hommes. Il est temps de mettre en lumière ces invisibles si essentielles à notre société.
Pour toutes les personnes qui souffrent autant de la maladie que du manque de réponses, de reconnaissance, et pour toutes les futures victimes, puisqu’Emmanuel Macron refuse toujours d’agir pour interdire les pesticides même les plus nocifs comme le glyphosate. La santé des femmes au travail ne doit plus être un angle mort du débat public.
Par Ulysse