Mort à 86 ans, Silvio Berlusconi est sans aucun doute une figure majeure de la politique italienne. Trois fois président du conseil, il a reconfiguré la droite dans une alliance inédite entre la Lega du Nord et Alliance nationale. Également à la tête d’un empire médiatique, longtemps propriétaire du Milan AC…. Un hommage quasi unanime de la classe politique italienne, à savoir des funérailles nationales, auront lieu le 15 juin au dôme de Milan… On en oublierait presque les nombreux scandales, les 4000 audiences, les 86 procès, et les accusations de proxénétisme de mineures. Notre article.
Si l’on voulait expliquer qui est Berlusconi dans la politique italienne, on pourrait dire qu’il s’agit d’un mélange entre Bernard Tapie, Nicolas Sarkozy et Vincent Bolloré. Après avoir été diplômé en 1961, il se lance d’abord dans la chanson et anime des croisières en Méditerranée.
Il vit alors à Milan, ville en plein boom. On est alors en pleine explosion immobilière. Il réalise sa première opération immobilière, un terrain à 180 millions de lires alors qu’il n’en dispose que de 10 millions. Comment a-t-il financé ? C’est encore aujourd’hui un mystère, mais certains parlent de l’organisation mafieuse Cosa Nostra, ou d’un banquier du Vatican lié à la Cosa Nostra…
Mais pour Berlusconi l’argent n’a pas d’odeur. Il continue son ascension, montant un projet de ville nouvelle, où sera logé tout un quartier Milan : piscine, école, terrain de spor. Il a réussi à convaincre, vendant les maisons sur plan, grâce à son bagou (une qualité qu’on ne peut certes pas lui enlever), c’est-à-dire sa disposition à parler beaucoup, souvent en essayant de faire illusion ou de tromper.
Il fonde alors Edilnord avec des associés, puis le holding Fininvest, s’entourant toujours d’avocats et d’homme d’affaires. Sa réussite lui permet d’obtenir la récompense de chevalier du travail, ce qui lui vaudra son surnom en Italie : Le Cavaliere.
Le milanais ne compte pas s’arrêter là. Il commence alors à créer son empire médiatique : en 1979, il rachète le quotidien il giornale, puis il profite de l’abandon du monopole d’État sur la télé en 76, en rachetant plusieurs chaînes de télé locale qu’il regroupe dans une chaîne nationale : la 5 et La rete 4, dont l’audience égale presque la RAI. Il tentera même d’exporter le projet à l’étranger, créant la 5 en France et en Allemagne, qui ne connaîtra pas le même succès.
Cette réussite coïncide parfaitement avec le tournant des années 80, l’Italie sort de dix ans d’années de plomb où la violence a profondément marqué la société italienne (affrontement entre fascistes et antifascistes et de nombreux attentats). De plus, le choc pétrolier est passé par là, l’inflation ronge l’épargne des ménages italiens, le chômage gangrène les anciens bastions industriels qui vivent désormais dans la peur de la précarité.
La gauche et ses grandes idéologies sont en déclin, tout comme les mobilisations ouvrières et étudiantes. Et la 5 marque bien cette dépolitisation de la société italienne sur fond de série américaine, de talks show et de roue de la fortune… Émission à laquelle participera même un des futurs présidents du conseil italien : Matteo Renzi (qui, à l’annonce de sa mort, s’est empressé de rendre hommage au patron de télé).
Cette roue de la fortune est un jeu gagnant pour Berlusconi. L’homme d’affaires est alors à l’apogée de son succès et rachète de nombreuses banques d’assurance, société d’édition, journaux, et le Milan AC. Le symbole est fort, le club dont les supporters marqués à gauche et issus des milieux populaires, dont la rivalité avec l’Inter tenait à une division sociale et politique : l’Inter le club des riches de droite, et le Milan le club de gauche. Mais la distinction n’a alors plus lieu d’être et les millions de Berlusconi offriront plusieurs ligues des champions à l’AC Milan.
Berlusconi doit en partie son ascension à son adhésion à la loge P2, organisation anticommuniste composée d’homme d’affaires, de personnalités politiques, de militaires et de néofascistes visant à instaurer un pouvoir fort en Italie pour endiguer le communisme.
Pour ce qui est de la politique, Berlusconi n’est pas encore aux commandes, mais ne manque pas de se lier d’amitié avec le président du conseil Bettino Craxi qui deviendra le parrain de ses filles. Le président du conseil incarne lui aussi le tournant des années 80 : socialiste qui a réussi à se faire un nom en se présentant comme le social-démocrate modéré, libéral, et anticommuniste, une gauche plus vraiment de gauche, mais qui séduit les classes dominantes, mettant fin en pleine inflation à l’échelle mobile des salaires (indexation des salaires sur l’inflation) contre la volonté des syndicats et des classes populaires.
L’entrée en politique de Berlusconi
Son ami Bettino Craxi va devenir le symbole de l’opération main propre qui révèle la corruption de la quasi-totalité de la classe politique italienne. Parti d’une « simple affaire de corruption » (somme toute assez banale dans l’Italie de l’époque), pour l’obtention de marché public, un magistrat du nom de Di Pietro va révéler l’affaire au grand public, le caractère systématique de « tangente », ces sommes versées par les entrepreneurs aux politiciens en l’échange de l’obtention de marché public.
L’enquête révèle que la pratique était systématisée et servait à financer les partis politiques.
L’affaire atteint gravement la crédibilité des partis et de l’ensemble de la classe politique italienne, ce qui marque la fin de la première république. Le principal parti, la DC, se retrouve noyée dans des affaires de corruption, le PSI est en voie de disparition. De nouveau partis comme la Lega Nord (dont le leader est aujourd’hui Salvini) gagnent en popularité. Ce parti d’extrême-droite réclame l’autonomie du nord de l’Italie.
Et Berlusconi autant par mégalomanie, que par peur des poursuites judiciaires (car en Italie l’immunité parlementaire permet d’échapper aux poursuites) se lance en politique, créant le parti Forza Italia ( “Aller l’Italie”), injectant 22 milliards de livres dans ce parti, défenseur de la liberté et de la famille. En 94, Berlusconi se lance en politique en s’appuyant sur son organisation politique.
Le 26 janvier, il annonce sa candidature. Le Cavaliere dit ne pas vouloir vivre dans un pays non libéral, promettant de mettre fin à l’Italie des partis. « Je me refuse à vivre dans une dictature gouvernée par des forces immatures et par des hommes liés à un passé politiquement et économiquement en faillite. »
Il affirme alors se présenter aux élections mars 1994. Sa campagne est immédiatement une réussite, notamment grâce à son empire médiatique lui offrant une campagne importante, et un profond vide politique.
Il parvient ainsi, surfant sur une rhétorique anti-État, anti-impôts qui plaira autant aux sympathisants de droites refusant l’État social qu’à de simples électeurs du PSI (Parti socialiste italien), alors dégoûtés des scandales de corruption. Sa rhétorique n’a bien sûr rien de socialiste. Il oppose un peuple travailleur contre un État voleur, jouant de son côté self made man promettant l’avènement d’une révolution libérale.
En mars, il obtient la majorité absolue au parlement, 366 sièges contre 630. Le 22 novembre, il remporte la majorité absolue au Parlement et frôlent la majorité au sénat
Il forme un Gouvernement avec Lega nord et l’alliance nationale, (aujourd’hui Fratelli d’Italia) ancêtre des néofascistes du MSI. Berlusconi réussit à refonder la droite, et à influencer l’échiquier politique, encore aujourd’hui c’est cette même coalition composée de Fratelli d’Italia la Lega et Forza Italia.
À peine élu, le cavaliere propose au populaire magistrat Di Pietro, principal protagoniste de l’opération main propre, d’entrer dans son Gouvernement, mais le juge refuse et quelques mois plus tard, le désormais président du conseil reçoit une convocation de ce même Di Pietro pour une affaire de corruption pour l’attribution de marché public. Il niera les faits et criera bien sûr au complot de magistrats contre lui, accusant les magistrats ensuite d’avoir révélé à la presse l’affaire.
Et en décembre 1994 quelques mois après son élection, Berlusconi est contraint de remettre sa démission. Condamné à 2 ans de prison en 98, sera absout en appel en cassation l’année suivante.
Retour au sommet de l’État
Il reste présent dans le champ politique et son parti aussi qui continue d’avoir de l’importance et se présentera aux élections en 2001, renouvelant son alliance avec la Lega Nord, au programme : baisse des taxes, lutte contre le communiste et les magistrats rouges, il remporte l’élection et reste président du conseil jusqu’en 2006 (un record en Italie).
Pendant ces années au pouvoir, ses affaires ne se sont jamais aussi bien portées, grosse rentrée publicitaire, et des profits faramineux pour ses nombreuses entreprises, succès qui cachait les conflits ‘intérêt de l’Homme d’État/ Homme d’affaires… avec une armée d’avocats sous ses ordres, pour répondre aux accusations et des médias voués à sa communication, fustigeant les juges rouges.
S’ensuit une campagne de 2006 hyper agressive de gros déséquilibre de temps de parole grâce à ses chaînes, et une campagne hyper agressive allant jusqu’à traiter de couillon les électeurs de gauche. Mais Berlusconi au cours d’une campagne très serrée, perdra sur le fil, et accusera de fraude électorale, encore une fois, on perçoit bien la patte populiste.
Deux ans plus tard, en 2008, il retrouve le poste de président du conseil dans une Italie très endettée, met en place en 2010 puis 2011, deux plans d’austérité, l’Italie mauvaise élève de l’Europe et Berlusconin se retrouve contraint à la démission sous pression de Bruxelles et des marchés financiers.
De nombreux scandales financiers referont surface, poursuivi de toute part : fraude fiscale, corruption… Mais le plus grave ses envies ses relations avec une mineure Noemi Letizia encore mineure, et ne fera que s’ enfoncer, révélant une réseau des prostitutions des femmes payés nourries logés pour avoir des relations sexuelles avec lui.
Ses défenses plus que douteuse parlant de soirée bunga bunga, ou de soirées toujours chic ou bien sa rhétorique complotiste pestant contre les magistrats communistes jalousant son pouvoir.
Il sera ensuite condamné à huit ans d’inéligibilité, mais parviendra toujours à garder une certaine influence sur la vie politique italienne, en 2013 après le Gouvernement Monti, une campagne populiste en 2013 contre l’impopulaire taxe foncière, et une campagne contre les migrants, sans oublier les déclarations pro Poutine en novembre 2022 se vantant d’être l’ami du dictateur qui lui avait offert pour son anniversaire 20 bouteilles de vodka…
Cependant, ce déclin ne doit pas faire oublier ce qu’il a laissé dans la politique italienne une certaine rhétorique dont a hérité Forza Italia, et la coalition actuelle de la néofasciste Giorgia Meloni qui a su remplacer la DC à droite de l’échiquier politique. Une droite italienne qui ne se contente pas d’être libérale, mais flirtant toujours avec un certain nationalisme et une politique réactionnaire anti-féministe, comme en témoigne la volonté de funérailles nationales pour un homme accusé de prostitution de mineurs.
Par Anthony Monatte
Crédits photos : « #ServizioPubblico », 9/01/2013, Paz.ca (profil de l’auteur), Flickr, CC by 2.0, pas de modification effectuée.