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Dangerosité des LBD : la police savait

Hématomes, yeux crevés, visages mutilés. Tel est le bilan sordide de l’utilisation des lanceurs de balles de défense (LBD) par les forces de l’ordre françaises. Notamment employées dans des proportions démesurées pour réprimer le mouvement des Gilets jaunes, ces armes, que la France est l’un des très rares États européens à utiliser, peuvent tirer des projectiles à plus de 350 km/h. Les révélations de Libération à leur sujet, ce lundi 5 juin, sont accablantes.

Sur la base de notes confidentielles internes, le journal révèle que le ministère de l’Intérieur a permis, en connaissance de cause, l’utilisation de munitions reconnues dangereuses par des expertises balistiques. Entre non-communication, négligence et lobbying des CRS, c’est une nouvelle gabegie, ayant couté les yeux de dizaines de manifestants, qui accable le plus haut niveau de la hiérarchie policière. Notre article.

Dès 2016, des expertises balistiques sans équivoque sur les LBD

À partir de l’année 2016, en France, les illustres Flash-ball, premiers modèles de lanceurs de balles de défense, sont progressivement remplacés par un nouveau format réputé plus précis : le LBD40. Jusqu’alors employée avec des munitions de fabrication américaine (dites CTS), l’arme voit son utilisation expérimentée avec un nouveau type de munition, de fabrication française cette fois : les MDU.

La même année, pour comparer les usages du LBD40 avec ces deux types de munition, le Centre de recherche et d’expertise de la logistique (CREL), service du ministère de l’Intérieur, réalise des essais balistiques. Résultats ? D’une part, les deux projectiles n’ont pas la même trajectoire ; d’autre part, les munitions CTS affichent un écart vertical de +16cm par rapport au point visé, les munitions MDU un écart de +8,2cm.

En d’autres termes, et malgré le fait que ces essais aient été réalisés par un formateur aguerri dans des conditions optimales, l’usage de ces deux munitions est susceptible d’atteindre le cou ou la tête d’une cible, y compris lorsqu’ils ne sont pas visés.

Fort de ces résultats alarmants, le CREL ne voit pour autant aucun problème à poursuivre l’utilisation du LBD40 : « Cette précision est suffisante sur l’ensemble des distances évaluées pour toucher un individu aux distances de 3 à 50 mètres ». Il note cependant que « L’abandon de la munition CTS au profit de la [MDU] supprime la difficulté opérationnelle ». Une recommandation de bon sens n’est-ce pas ? Oui, mais c’était sans compter sur le lobbying des CRS…

Pression des CRS et gestion scabreuse de la hiérarchie policière

Par une note du 22 novembre 2016 consultée par Libération, Jean-Marc Falcone, directeur général de la police nationale, acte l’abandon de la munition CTS au profit de la munition MDU, pour unifier et « sécuriser » l’usage des LBD40. Mais Philippe Klayman, à l’époque directeur central des CRS, ne l’entend pas de cette oreille.

À peine 3 jours plus tard, le 25 novembre 2016, Klayman conteste l’abandon des munitions CTS. Il regrette notamment de ne pas pouvoir tirer d’aussi loin avec la munition MDU qu’avec la munition CTS.

Aussi, bien que la direction générale de la police nationale lui réponde en confirmant sa décision d’abandonner les munitions CTS, une nouvelle note de Klayman, datée de 2018, atteste que les CRS ont continué à les utiliser. De la même manière, en 2019 et alors que les manifestations des Gilets jaunes ont déjà commencé, des mails échangés par les services logistiques de la mairie de Paris révèlent que les forces de l’ordre parisiennes utilisent encore la munition, pourtant réputée abandonnée.

Du reste, Libération révèle encore qu’en 2018, croyant la munition abandonnée par les forces de l’ordre, le directeur de la formation de la Police lui-même s’inquiète des différences d’utilisation des deux munitions, ainsi que du fait que les policiers ne soient plus formés à l’utilisation des balles CTS.

L’ONU inquiète des violences policières de la France de Macron

Comme nous vous en parlions dans nos colonnes au mois de mai dernier, c’est maintenant l’ONU elle-même qui s’inquiète du « maintien de l’ordre à la française ». Et ce ne sont certainement pas ces révélations qui seront de nature à calmer ses craintes.

Pour aller plus loin : Racisme et violences policières : le rapport choc de l’ONU sur la France de Macron

Alors que l’ONU dénonçait la « répression disproportionnée » du mouvement des Gilets jaunes, voilà donc Libération qui nous apprend qu’en connaissance de cause, la hiérarchie policière et le ministère de l’intérieur n’ont rien fait pour limiter la dangerosité de l’usage des LBD. Qu’ils n’ont donc rien fait pour éviter les plus de 350 blessures au visage et 30 éborgnés du mouvement des Gilets jaunes.

La doctrine du maintien de l’ordre, les relations entre la police et les citoyens doivent changer. Tout doit changer. De la cave au grenier.

Par Eliot

Crédits photo : « Université des Maires des Yvelines », Nicolas Duprey, Flickr, CC BY-ND 2.0, pas de changement effectué.