Avortement

États-Unis : le droit à l’avortement menacé

Le droit à l’avortement garanti par la Constitution Américaine en passe d’être annulé par la Cour Suprême ? Le site Politico a révélé un projet d’arrêt de de la Cour Suprême visant à annuler ce droit constitutionnel, et de rendre ainsi la liberté à chaque État fédéral de statuer en ce domaine. La poursuite de l’offensive réactionnaire issue de la mandature Trump. La décision finale est attendue pour juin, mais l’issue semble faire peu de doute dans une Cour à majorité largement conservatrices. Derrière cette attaque aux droits des femmes, il se profile une offensive contre l’ensemble des droits civiques (notamment le mariage homosexuel). L’ex Président Américain a eu l’opportunité de nommer trois juges ultra conservateurs à la Cour. Notre article.

Le Droit à l’avortement : un droit constitutionnel, issu de l’arrêt Roe promulgué le 22 janvier 1973

La législation américaine concernant l’avortement se base sur l’arrêt Roe, promulgué le 22 janvier 1973. Il a été adopté afin de suspendre une loi du Texas criminalisant l’avortement, en édictant notamment qu’il portait atteinte au 14ème amendement de la Constitution protégeant le droit à la vie privée. Son principe est de consacrer le droit des femmes à disposer de leur corps en vertu du droit à la vie privée (concept de “right to privacy”). Décider de mettre fin à une grossesse relève de ce droit. En cassant cette loi, cet arrêt s’impose à l’ensemble des États-Unis par jurisprudence.

Or, la Cour Suprême, instance constituée de 9 juges nommés à vie par le Président, a basculé du côté conservateur au cours du dernier mandat. En effet, Trump a eu l’improbable privilège de pouvoir en nommer trois au cours de sa Présidence. Non seulement, cela lui a permis de changer le rapport de force, puisqu’il y a désormais 6 juges conservateurs, mais de plus les trois derniers juges nommés sont dans la mouvance la plus conservatrice du partie Républicain. Ils se situent tout bonnement à l’extrême droite.

Le site Politicio a révélé aujourd’hui un projet d’arrêt de la Cour qui vise à annuler l’arrêt Roe. Le document de 98 pages rendu publique a été authentifié par la Cour. Quoiqu’au stade de projet, sa version définitive étant attendue en juin, l’issue n’en fait aucun doute. Il y est mentionné que « ( l’arrêt) Roe était erroné de façon flagrante depuis l’origine ».

La décision laissée à chaque État 

Une fois l’arrêt Roe cassé, chaque État aura l’opportunité de légiférer comme il l’entend, ce droit n’étant plus garanti par la Constitution. Dès que ce scoop aux allures de trainée de poudre est sorti, la Cour Suprême a vu déferlé devant son siège les militants pro et anti avortements. Le sujet est un point de fracture entre les Démocrates et les Républicains. Ces derniers obtiendraient là une victoire de leur aile identitaire, résultat d’un lobbying croissant de l’aile la plus conservatrice du parti depuis les années 90.

Cette décision n’est pas réellement une surprise. Actuellement, au niveau fédéral, l’avortement était jusqu’ici possible entre 22 et 24 semaines de grossesse selon les États, limite définie par la viabilité du fœtus. Mais la Cour Suprême avait déjà clairement manifesté son intention de casser l’arrêt Roe, puisqu’elle a autorisé le Texas a adopté une loi extrêmement restrictive en la matière il y a an. Désormais, l’avortement n’y est possible que dans les 6 premières semaines de grossesse. Cette limite ne souffre aucune exception même en cas d’inceste ou de viol. De même, elle n’a toujours pas rendu d’arrêt concernant une loi du Mississippi adoptée en Décembre et restreignant la possibilité d’avortement aux quinze premières semaines. Nous sommes désormais fixés.

La bataille identitaire : enjeu des élections de mi-mandat

En novembre auront lieu aux États-Unis les élections de mi-mandat, qui voient le renouvellement complet de la chambre des représentants, du tiers du Sénat et de l’ensemble des congrès locaux. En remettant la législation sur l’avortement entre les mains des congrès locaux, la Cour Suprême en fait un argument pour les Républicains de galvaniser leurs troupes. Les électeurs anti avortement vont se mobiliser fortement . Historiquement, ces élections sont défavorables au Président en poste. Malgré un appel de Joe  Biden à résister aux forces réactionnaires, la menace sur les droits des femmes (à disposer de leur corps) est réelle. On évalue à une moitié de l’ensemble des États ceux qui pourraient prendre des mesures restrictives.

Des craintes sérieuses pèsent également sur la légalité du mariage homosexuel. Sa légalisation s’appuie elle-aussi sur le 14ème amendement protégeant le droit à la vie privée. Jusqu’en 2015, il était interdit dans 28 États. Suite à un recours devant la cour suprême, celle-ci a adopté un arrêt qui a consacré ce droit et qui par le même mécanisme que l’arrêt Roe, l’impose dans tous les États. Sachant la disposition du camp conservateur et des trois juges nommés par Trump, il est à parier que ce sera le prochain droit dans le collimateur.

Seule une mobilisation forte en faveur de ce droit peut permettre une inversion de cette tendance. Nous ne pouvons que constater que ce mouvement réactionnaire est planétaire. Au sein même de l’Union Européenne, et alors que les médias nous inondent des atrocités subies par les civils en Ukraine, la Pologne refuse l’accès à l’avortement aux réfugiées Ukrainiennes victimes de viol. Comme le disait Simone de Beauvoir, qui a porté la loi autorisant l’avortement en France, promulguée en 1975 « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant.». Afin se prémunir de telles attaques, l’Union Populaire souhaite que le droit à l’interruption volontaire de grossesse soit garanti comme un droit primordial, et à ce titre ajouté dans la Constitution.

Lance L’Âme