L’Insoumission publie un nouvel article de sa rubrique « Nos luttes ont des histoires ». Son but est de porter attention aux processus historiques, analyser et connaitre les faits pour comprendre l’influence des évènements sur notre présent et notre futur.
Le 21 janvier 1793, à 10h22 du matin, l’ex-roi Louis XVI est guillotiné sur la place de la Révolution, aujourd’hui place de la Concorde, à Paris. Ses dernières paroles ont été pour clamer son innocence : « Je meurs innocent des crimes qu’on m’impute. » Il a pourtant bien été condamné à mort pour ces crimes après avoir été « suspendu » de ses fonctions le 10 août 1792. Mais le procès qui l’a confondu était bien peu ordinaire : l’ancien roi a été jugé non pas par un tribunal mais par les députés de la Convention, une assemblée tout juste élue après la journée révolutionnaire du 10 août 1792.
À l’époque, une question se posa d’emblée : selon quelle loi, quel droit, peut-on juger le roi ? Faut-il même le juger ? Ces questions peuvent sembler, a posteriori, sans objet : le roi a été jugé, condamné, exécuté. Or, les débats qu’elles ont soulevés ont profondément divisé la Convention, contribuant à marquer un peu plus l’écart entre les « Girondins » (ou « Brissotins ») et les « Montagnards », ainsi que l’on commence alors à les appeler. Une fois la procédure décidée, il s’est agi de déterminer la culpabilité de l’accusé.
Là encore, les débats ont été animés, sur les trente-trois chefs d’accusation qui pèsent sur Louis « Capet » XVI. Enfin, si verdict a rassemblé les députés, la peine et, surtout, son application, a fait l’objet de débats houleux : fallait-il condamner le roi à mort ? et une fois la sentence prononcée, fallait-il l’exécuter ou prononcer un sursis ? Notre article.
Un procès qui ne va pas de soi
Toute l’ambiguïté du procès du roi vient du fait que rien ne prévoit sa tenue, dans l’arsenal législatif du jeune Etat de droit qu’est la plus jeune encore République. Au contraire, la Constitution toujours en vigueur est celle de la monarchie constitutionnelle de 1791 : la nouvelle constitution doit être débattue par l’assemblée élue à cet effet en septembre 1792, la Convention. Or, selon la constitution de 1791, le « Roi des Français » est juridiquement inviolable.
Pour aller plus loin : 21 septembre 1792 : l’avènement de la République marque aussi la naissance d’une gauche de rupture
Le roi a bien été « suspendu » de ses fonctions le 10 août 1792, à la suite de la prise du Palais des Tuileries par les patriotes ; la monarchie a bien été abolie le 21 septembre 1792 par acclamation de la Convention qui se réunit pour la première fois ; la République a bien été décidée, sans proclamation solennelle, ce même jour (voir notre article sur le 21 septembre 1792), mais l’ambiguïté n’est pas levée sur le sort réservé au désormais ex-roi. Les avocats de Louis, bien entendu, profitent de cette sorte de vide juridique :
« Dans nos idées actuelles d’égalité, nous ne voulons voir dans un roi qu’un individu ordinaire, mais un roi n’est point un individu, c’est un être privilégié, un être moral et un corps sacré, un tout à qui une nation compose elle-même pour son propre bonheur une existence toute différente de la sienne. » L’avocat plaide le 26 décembre : « Louis sera donc le seul français pour lequel il n’existera aucune loi ni aucune forme ? Il n’aura ni les droits des citoyens, ni les prérogatives de roi. Il ne jouira ni de son ancienne condition, ni de la nouvelle. Quelle étrange et inconcevable destinée. »
Raymond de Sèze, avocat de Louis XVI.
Cette théorie des « deux corps du roi », le corps matériel, mortel, de l’individu et le corps politique, immortel, mystique, symbolisé par la formule « Le roi est mort, vive le roi ! », mise en évidence par Kantorowicz il y a plus de 60 ans, vient heurter l’œuvre de la Révolution qui, précisément, avait fait du roi le premier des citoyens, mais un citoyen tout de même.
Face à cette logique, les Montagnards, avec Robespierre et Saint-Just, récusent la pertinence d’un procès pour le roi, précisément parce que le Roi incarne une idée qui dépasse le roi (en tant qu’individu) lui-même, et qui dépasse la nation souveraine, ce qui est incompatible avec l’idée même de nation et de peuple souverain.
« Il n’y a point de procès à faire. Louis n’est point un accusé, vous n’êtes point des juges ; vous êtes, vous ne pouvez être que des hommes d’État et les représentants de la nation. Vous n’avez point une sentence à rendre pour ou contre un homme, mais une mesure de salut public à prendre, un acte de Providence nationale à exercer. […]
Louis fut roi, et la République est fondée. La question qui vous occupe est décidée par ces seuls mots : Louis est détrôné par ses crimes ; Louis dénonçait le peuple français comme rebelle ; il a appelé, pour le châtier, les armes des tyrans ses confrères.
La victoire et le peuple ont décidé que lui seul était rebelle. Louis ne peut donc être jugé, il est déjà condamné […]. En effet, si Louis peut être encore l’objet d’un procès, Louis peut être absout ; il peut être innocent ; que dis-je ! il est présumé l’être jusqu’à ce qu’il soit jugé. Mais si Louis peut être présumé innocent, que devient la révolution ? […]
Un roi dont le nom seul attire le fléau de la guerre sur la nation agitée, ni la prison, ni l’exil ne peuvent rendre son existence indifférente au bonheur public. Je prononce à regret cette fatale vérité… mais Louis doit mourir, parce qu’il faut que la patrie vive. »Robespierre, discours à la Convention, 3 décembre 1792.
Toutefois, Robespierre n’est pas entendu par la majorité de l’assemblée. Le « girondin » Mailhe, propose un rapport qui justifie le jugement du roi par la Convention, ce qui est adopté le 3 décembre. Le procès peut s’ouvrir, le 11 décembre 1792.

Le roi a-t-il trahi ?
Ces questions de forme, essentielles dans un Etat de droit, étant tranchées, même de manière bancale, le roi acceptant le procès tout en contestant sa légitimité, il s’agit de définir les chefs d’accusation sous lesquels le roi comparait. Trente-trois sont déterminés par une commission de 21 députés qui se réunit entre le 6 et le 10 décembre.
Les accusations portent essentiellement sur les décisions mais aussi les silences et les
omissions du roi de France devenu « Roi des Français ». Ainsi, il lui est reproché (articles 24 à 26) les vetos royaux pour contrer les décrets mettant en accusation les prêtres réfractaires : il s’agit des prêtres qui refusent la constitution civile du clergé qui en faisait, pour faire simple, des fonctionnaires devant prêter serment à la Constitution. Le veto est cette possibilité dont le roi disposait de rejeter pendant six ans l’application d’une loi.
Techniquement, le roi est dans son bon droit. Politiquement, cela lui est reproché comme le signe que le roi refuse l’ordre nouveau, et manifeste au contraire son attachement au droit divin dont il serait investi. La question fondamentale est ici de savoir si le roi se considère comme tenant son pouvoir de la nation (souveraineté populaire) ou de Dieu.
Beaucoup des chefs d’accusation portent également sur les silences royaux : sont-ils coupables quand le roi ne condamne pas la formation d’une armée des émigrés nobles à Coblence en Allemagne, prête à fondre sur Paris et à rétablir l’ancien régime (chef d’accusation n°15) ? C’est aussi le cas quand le roi est accusé de n’avoir produit « aucun ordre ni effort pour bâtir une marine nationale puissante » (n°22).
Peut-on bâtir une accusation sur ces non-décisions ? C’est là-dessus que comptent les avocats de Louis XVI, dont le plus précis est de Sèze, qui rejette toute accusation antérieure à la Constitution entrée en vigueur le 3 septembre 1791, alléguant l’irresponsabilité pénale du roi ; il rejette aussi toute accusation pour laquelle le roi n’est pas le seul impliqué et où la responsabilité doit être partagée avec ses ministres. Enfin, il considère que ce qui reste de l’accusation n’est pas clairement établi et que les preuves manquent.
Ainsi, il écarte les accusations liées à la tentative de fuite du roi, arrêté à Varennes, en Meuse, le 21 juin 1791. Or, il est établi qu’il allait rejoindre les armées émigrées pour ensuite marcher sur Paris en monarque absolu. Il est aussi reproché à l’ex-roi d’avoir volontairement négligé la défense de la patrie, en refusant l’envoi de troupes aux frontières ou pour défendre Paris.
Surtout, le coup de théâtre du procès a été la découverte, dans le palais des Tuileries où logeait la famille royale jusqu’à la journée du 10 août 1792, d’une « armoire de fer » dissimulée dans les boiseries des appartements royaux. Son contenu est accablant : correspondance secrète avec nombre de députés que le roi a tenté (et souvent réussi) de corrompre, dont Mirabeau, un des acteurs principaux de la première partie de la Révolution, mort de maladie en 1791.

Son corps, déposé au Panthéon, en sera retiré en 1794. Plus grave pour le roi, c’est toute une diplomatie parallèle qui est révélée, avec une correspondance nourrie, en particulier, avec l’Empire d’Autriche contre lequel la France est en guerre depuis avril 1792. Rappelons que la reine Marie-Antoinette est la sœur de l’empereur autrichien. De nombreux ordres de corruption sont également révélés, avec des agents rémunérés en secret, formant une police parallèle.
La mise au jour du contenu de cette « armoire de fer », le 20 novembre 1792, a eu un double effet. D’une part, cela anéantit en grande partie les arguments que préparait la défense de Louis : le roi aura beau tenter d’expliquer que les documents trouvés sont tronqués et que nombre d’entre eux ont été escamotés afin de n’en garder que les pièces à charge, ceux qui sont parvenus à la Convention sont accablants.
Toutefois, les allégations de l’ancien roi sur la disparition de certaines pièces de l’armoire ne sont pas nécessairement sans fondement : l’ouverture du meuble a été faite par le ministre de l’Intérieur, Roland, en personne et sans témoin. Beaucoup pensent alors qu’il a pu retirer les papiers pouvant le compromettre ou ses amis « girondins ».
Un procès très politique
Au cours du procès proprement dit, entre le 11 décembre 1792, où l’acte d’accusation est présenté, et le 20 janvier 1793 où le sursis est rejeté, les débats sont houleux, à l’image de l’opposition qui s’affirme nettement alors entre les « Girondins » et les « Montagnards » : ce ne sont pas deux « partis » politiques au sens où on l’entend aujourd’hui mais des groupes informels qui se constituent à l’assemblée autour de personnalités comme Brissot ou Robespierre, sur les sujets brûlants du moment : la guerre, le procès du roi notamment.
Les « Girondins » sont ainsi nommés car de nombreux députés de ce « groupe » viennent de la région de Bordeaux (comme Vergniaud, Guadet ou Gensonné) ; ils tiennent alors le gouvernement avec des ministres comme Rolland, Clavière ou le mathématicien Monge. Ils se réunissent volontiers au salon que tient Manon Rolland, l’épouse du ministre de l’Intérieur.
Les « Montagnards » sont ainsi dénommés, non car ils viendraient de quelque région montagneuse mais parce qu’ils siègent sur les plus hauts gradins de l’assemblée. Ils se rassemblent autour de Robespierre, Danton ou Saint-Just.

Chaque groupe remporte ses succès, essuie ses échecs. Ainsi, comme le résume Jean-Clément Martin, le fait que le procès ait lieu marque un « échec à la Montagne ». Comme on l’a vu, Robespierre ne voulait pas de procès mais la mort du roi. Toutefois, le déroulement du procès donne la victoire à la Montagne : « la mort du roi, échec à la Gironde » résume l’historien.
En effet, afin de repousser l’éventualité d’une exécution capitale de l’ex-roi, les Girondins tentent plusieurs manœuvres. D’abord, ils proposent l’appel au peuple, c’est-à-dire dire une sorte de référendum, dont ne sait pas trop comment il aurait été possible sans diviser inutilement la nation dans un contexte de périls imminents, comme le souligne Robespierre : « Exposer l’Etat à ces dangers, dans la crise d’un gouvernement qui doit naître, à l’approche des ennemis ligués contre nous, qu’est-ce autre chose que vouloir nous ramener à la royauté par l’anarchie et la discorde ? »
Finalement, les députés doivent se prononcer sur trois questions :
« Louis Capet est-il coupable de conspiration contre la liberté publique et d’attentats contre la sûreté nationale ? Y aura-t-il appel à la nation de la sentence rendue ? Quelle sera la peine infligée à Louis ? »
À la première question, les députés votent très massivement « oui » le 15 janvier (691 sur 749 présents, pas une voix contre) : la pression populaire a sans doute joué sur les plus indécis, trois sections populaires de Paris s’étant déclarées en état d’insurrection, malgré les appels à la modération de Robespierre. L’appel au peuple est quant à lui largement rejeté, le même jour, par 427 voix contre 287.
Le 16 janvier, le vote sur la peine infligée au roi divise davantage : elle est votée par 387 voix pour, contre 334 députés qui se prononcent en faveur d’un emprisonnement ou de la mort conditionnelle. Mais un dernier recours est tenté par les Girondins avec un appel à voter un sursis à l’exécution. Après de longs débats, il est rejeté par 380 voix contre 310 et 59 refus de vote, le 20 janvier 1793. Le roi se voit refuser un délai de trois jours avant exécution. Il monte à l’échafaud le lendemain.
L’exécution du roi : vent d’effroi sur les monarchies européennes, rupture irréversible entre partisans de la République et tentants de la monarchie
En exécutant le roi, la jeune République fait souffler un vent d’effroi sur les monarchies européennes. Surtout, cela rend impossible tout retour en arrière tant dans la politique intérieure que vis-à-vis des monarchies européennes. Le corps mystique du roi a été nié par les conditions même du procès où le « citoyen Capet » comparaissait. Son corps physique est détruit par le couperet de la guillotine qui s’abat ce matin du 21 janvier 1793.

Cela marque une rupture irréversible entre les partisans de la République et les tenants de la monarchie, qui considèrent au contraire que le Roi reste vivant, la dignité ayant simplement changé de corps physique, passant au fils de Louis XVI, Charles-Louis, que les monarchistes, à commencer par Marie-Antoinette elle-même, nomment Louis XVII : « le roi est mort, vive le roi ».
Le frère du défunt roi, comte de Provence, émigré en Allemagne, se proclame « lieutenant général du Royaume » en attendant que son neveu le « roi » soit en mesure de gouverner – ce ne sera jamais le cas puisqu’il meurt très jeune, en 1795, d’une tuberculose aggravée d’une péritonite. Mais à sa mort, c’est le comte de Provence qui se fait appeler Louis XVIII : il règnera effectivement sous ce nom à partir de la chute de Napoléon Ier, en 1814 /1815.
Quant à la vie politique sous la République, elle est désormais marquée par l’opposition de plus en plus violente entre les Girondins et les Montagnards. Les premiers, au pouvoir, sont accusés d’avoir voulu sauver le roi. Comme l’a résumé Albert Soboul, historien majeur de la Révolution au XXe siècle :
« L’exécution de Louis XVI rendait en effet impossible la politique d’atermoiements que la Gironde avait jusque-là pratiquée. […] Les Girondins, en s’acharnant à sauver le roi entendaient circonscrire le conflit avec l’Europe. Ils penchaient ainsi, consciemment ou non, vers le compromis avec l’aristocratie. »
Albert Soboul, La Révolution française, Gallimard, 1984, p.274
Du point de vue des républicains les plus avancés, les ponts sont rompus, ce qui fait dire
au député montagnard Lebas, la veille de l’exécution du roi :
« Nous voilà lancés, les chemins sont rompus derrière nous, il faut aller de l’avant, bon gré, mal gré, et c’est à présent surtout que l’on peut dire : vivre libre ou mourir. »
Par Sébastien Poyard