Les sages montrent la lune, les idiots regardent le doigt. L’Action Française a attaqué le Conseil Régional d’Occitanie ce jeudi 25 mars 2021. Quelques semaines après avoir déployé une banderole « décapitons la République » en plein cœur de Paris, le groupuscule d’extrême droite, acteur des heures les plus sombres de notre histoire, laisse derrière lui une nouvelle banderole lourde de sens : « islamo-gauchistes traîtres à la France ».
Le résultat d’un climat nauséabond depuis de longs mois dans le pays. Le sang de Samuel Paty avait à peine coagulé, que déjà LREM et RN tressaient main dans la main la cible commune : les « islamo-gauchistes ». L’odieuse récupération politicienne de l’assassinat de l’enseignant ne s’arrêtait pas au duo Macron Le Pen, ravie d’avancer bras dessus bras dessous vers 2022. Une partie de la « gauche » a également sauté sur la dépouille pour servir son agenda politique. Olivier Faure et Anne Hidalgo de dénoncer « les ambiguïtés » d’une partie de la gauche.
C’est donc dans ce contexte qu’il faut inscrire l’hallucinante réaction de Carole Delga, la présidente socialiste de la région Occitanie à l’attaque de l’Action Française : « Racisme, antisémitisme et discriminations ne reculeront qu’en rassemblant d’abord les Français sur les droits et valeurs de la République. L’UNEF gagnerait à suivre ce chemin». Un conseil régional est attaqué par l’extrême droite, mais la présidente de région dénonce l’UNEF ? Cette réaction est révélatrice de la folie de la séquence politique que nous vivons.
Un symbole de la démocratie est attaqué par des fascistes, les fachos ressortent de terre un peu partout dans le pays, comme à Lyon où une cinquantaine de militants ultra violents s’en sont pris en pleine journée à une librairie à coup de barre de fers, mais la majorité du champ politique préfère s’en prendre à « l’islamogauchisme ». Peu importe que le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ou la Conférence des présidents d’universités (CPU) aient rappelé que « l’islamogauchisme » n’existe pas. Peu importe que 23 000 universitaires demandent la démission de Frédérique Vidal. Peu importe que le mouvement social dans l’éducation nationale prenne chaque jour plus d’ampleur et demande la démission de Jean-Michel Blanquer, l’un des premiers et plus fervents pourfendeur de « l’islamogauchisme ». Peu importe que le pays soit dans une situation d’urgence sanitaire et sociale absolue, les différents ministres continuent à passer leur temps à monter en épingle des polémiques et des procès en « islamogauchisme ».
C’est sûrement tout ce qui reste au gouvernement pour tenter de faire oublier sa gestion catastrophique de la crise sanitaire. Après le fiasco du confinement déconfiné, de la stratégie vaccinale, alors que la pauvreté fracasse le pays et que les étudiants font des queues interminables pour bouffer, la stratégie de diversion est grossière. Mais elle n’est pas nouvelle. Lors du sommet du mouvement des gilets jaunes ou du mouvement contre la réforme des retraites, polémique sur le voile. Dès que le gouvernement se sent en danger, diversion identitaire. La seule stratégie qu’il reste à Emmanuel Macron pour 2022 : faire monter Marine Le Pen à travers ces polémiques stériles, pour ensuite se poser en seul rempart, en fameux « vote utile ». Problème : la ficelle est trop grosse. La Une du Journal Libération du dimanche 28 février 2021 : « 2022 : j’ai déjà fait barrage, cette fois c’est fini », a provoqué un vent de panique au sein de la majorité.
Emmanuel Macron trampoline de Marine Le Pen ? Difficile de ne pas voir où sont en train de nous mener les polémiques en « islamogauchisme » montées en épingle par les différents ministres. La banderole de l’Action Française doit être un signal d’alarme. Le gouvernement est en train de légitimer idéologiquement l’extrême droite. De dessiner des cibles dans le dos des « islamogauchistes ». Les digues républicaines sont en train de s’effondrer. Un conseil régional est attaqué par des fachos, mais une partie croissante du champ politique préfère désigner l’UNEF ou Audrey Pulvar comme ennemi. Les réactions politiques à ces différentes polémiques sont révélatrices du glissement du champ politique toujours plus à droite. La convergence des réactions de l’extrême-droite jusqu’au PS « Printemps républicain », en passant par LR et LREM pour taper en chœur sur Audrey Pulvar ou l’UNEF, en dit long. Ce dimanche 28 mars, le hashtag « racisme anti-blanc» était en tête des tendances. On doit s’attendre à ce que chaque jour d’ici 2022 des polémiques identitaires soient ainsi montées en épingle pour continuer à faire diversion.
Mais la faim fracasse le pays, les effets de la réforme de l’assurance chômage risquent de faire basculer 1,15 millions de nos concitoyens dans la misère, la loi climat de trahison de la Convention citoyenne arrive ce lundi en hémicycle et des marches sont organisées dans tout le pays ce dimanche, le mouvement social grandit dans les écoles, le mouvement d’occupation des théâtres s’est propagé comme une tâche d’huile dans tout le pays avec plus de 93 lieux occupés, les sondages montrent une défiance grandissante des Français face à la gestion chaotique de la crise sanitaire… Le printemps vient de chasser l’hiver, le retour du printemps social ?
Par Pierre Joigneaux.