Des militants d’Action Française ont déployé jeudi 29 octobre 2020 une banderole : « Décapitons la République ». Sur la Place de la Concorde, en plein Paris. Le même jour, un militant de Génération identitaire menaçait un commerçant d’origine maghrébine avec une arme de poing avant de se faire abattre par la police à Avignon. Un autre groupuscule d’extrême droite, Vengeance Patriote, entraîne ses 400 membres répartis dans l’ensemble du pays au combat et au maniement d’armes. Action Française, Génération identitaire, Vengeance Patriote… L’extrême droite est en roue libre. Ces groupuscules entretiennent des liens étroits avec le Rassemblement national (RN). Notre article.
Une banderole « décapitons la République » déployée en plein Paris
Jeudi 29 octobre 2020. Dernier jour avant le nouveau confinement national. Le pays est une nouvelle fois endeuillé. Deux semaines après l’atroce assassinat de Samuel Paty, c’est une église qui a été attaquée à Nice par un terrorisme, faisant trois nouvelles victimes. La France est de nouveau saisie d’effroi. Mais plutôt que le deuil et l’unité nationale face à cet évènement tragique, l’extrême droite a préféré multiplier les provocations. Dans la soirée, des militants d’Action Française, mouvement historique du fascisme et du royalisme en France, ont déployé place de la Concorde une banderole : « Décapitons la République ». En plein cœur de Paris. Et en s’en vantant sur les réseaux sociaux (cf le tweet ci-dessous).
Un peu plus tôt dans la journée, un militant d’un autre groupuscule d’extrême droite, Génération identitaire, avait voulu s’en prendre à un commerçant d’origine maghrébine avec une arme à feu avant d’être abattu par la police à Avignon. Le journal d’extrême droite Valeurs actuelles s’était empressé de tweeter que l’Homme aurait crié « Allah Akbar ». Mensonge de Valeurs actuelles, l’homme portait un tee-shirt « Defend Europe », en référence à l’action de Génération identitaire en avril 2018 au col de l’Échelle pour empêcher des migrants d’entrer en France. L’homme a d’ailleurs revendiqué son appartenance au groupuscule d’extrême droite quand il a menacé le commerçant en fin de matinée, à Montfavet, quartier d’Avignon. Une information confirmée par le procureur de la République d’Avignon. Un peu plus tard dans la soirée, une centaine de militants d’extrême droite ont défilé à Nice aux cris de « on est chez nous ».
Des liens étroits avec le Rassemblement national
Ces deux évènements sont loin d’être des actes isolés. Génération identitaire et Action Française entretiennent des liens étroits avec le Rassemblement national. Philippe Vardon, ex-skinhead refoulé du RN jusqu’en 2014, aujourd’hui conseiller régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur et membre du bureau national du parti, en est un des nombreux exemples. Le documentaire La cravate réalisé par Mathias Théry et Étienne Chaillou, montre avec brio, à travers le parcours de Bastien Régnier, ancien skinhead qui intègre l’équipe de campagne du Front national aux présidentielles de 2017, ce passage des groupuscules violents d’extrême droite au Rassemblement national. Un documentaire de décembre 2018 avait déjà révélé ces liens étroits entre les responsables politiques du Rassemblement National et Génération identitaire, en étudiant la branche Génération identitaire de Lille, dirigé par Aurélien Verhassel, recruteur pour Marine Le Pen.
Une enquête de StreetPress, publiée il y a deux jours donne une idée précise du phénomène. Vengeance Patriote, un groupuscule d’extrême droite inconnu des médias et du grand public, rassemblant 400 membres répartis sur l’ensemble du territoire, prépare ses membres au combat. Organisation de « Fight Club », salut fasciste, cours de boxe, stand de tir, sorties « culturelles », actions sur les réseaux sociaux… Le groupuscule est organisé et recrute dans toute la France. Condition pour rejoindre le réseau de Vengeance Patriote ? Citer les ouvrages du penseur antisémite Charles Maurras, montrer une islamophobie décomplexée et de la hargne contre la gauche. Leur objectif ? Monter des « gardes » régionales pour lutter contre un prétendu « grand remplacement », pour être « prêt à prendre le pouvoir après l’effondrement programmé de la République ». Sur les réseaux sociaux comme dans les services d’ordre de manifestations, là encore, le groupuscule d’extrême droite se met au service du Rassemblement national.
L’inaction du gouvernement face à l’extrême droite
Action Française, Génération identitaire, Vengeance Patriote… Pourquoi ces groupuscules d’extrême droite, grave menace pour notre République, ne sont pas dissous ? Le 13 juin, alors que le comité Adama appelait à un rassemblement républicain à Paris contre les violences policières et le racisme, des membres de Génération identitaire déployaient une banderole haineuse sur le toit d’un immeuble attenant à la place. La police a arrêté douze d’entre eux, avant de les relâcher sans garde à vue ni poursuite judiciaire. Pourquoi une telle clémence ? Le groupe parlementaire de la France insoumise à l’Assemblée nationale avait pourtant choisi d’exercer son droit de tirage pour la session 2018–2019 pour créer une commission d’enquête sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite en France qui avait révélé les dangers qu’ils représentent pour la République.
Mais il semblerait que le gouvernement soit plus occupé à parler d’ « islamo gauchisme », qui serait « complice », selon différents ministres, du terrorisme. Jean-Michel Blanquer s’attelle ainsi à une chasse aux « islamo-gauchistes » dans l’Université française, félicité par Marion Maréchal le Pen. Peu importe que ce terme n’ait aucun sens comme le démontre avec brio le chercheur au CNRS Samuel Hayat. De son côté, Gérald Darmanin entend lutter contre le terrorisme en supprimant les rayons halal des supermarchés et reçoit pendant près de deux heures Marine Le Pen pour parler « séparatisme ». Et la présidente du Rassemblement national de se féliciter de tant de « convergences de vue » avec le ministre de l’Intérieur. Pendant ce temps-là, on découvre l’inscription « collabo » tagué samedi dernier sur le siège du parti communiste. Un mouvement dont des milliers membres sont mort en résistant contre le nazisme, accusé de « collaborer » par… l’extrême droite : le monde à l’envers. Mais Brune Poirson, responsable « internationale » d’En Marche, préfère dans cette période s’en prendre à Jean-Luc Mélenchon en l’accusant de « trahison de la République », en parlant « d’abjection », et allant même jusqu’à demander des « sanctions » contre le leader des insoumis.
Le constat est donc alarmant. Alors que l’extrême droite monte à travers le pays, le gouvernement détourne le regard. Emmanuel Macron, à travers sa loi sur le « séparatisme », entend imposer l’islam comme sujet numéro un de la campagne présidentielle. La tactique du Président de la République n’est pas nouvelle : faire monter l’extrême droite sur ses thématiques de prédilections, pour ensuite se poser en rempart au second tour. Taper sur Jean-Luc Mélenchon et dresser le tapis rouge à Marine Le Pen. Mais à force de faire monter la bête immonde, elle pourrait devenir incontrôlable. Les terroristes islamistes et l’extrême droite poursuivent le même objectif : diviser le peuple français. Après les attentats de Charlie Hebdo en 2015, Jean-Luc Mélenchon alertait déjà : « L’objectif poursuivi par Daech est de faire exploser le pays en polarisant la société entre ceux qui sont musulmans et ceux qui ne le sont pas. C’est le cœur du danger ». Après l’assassinat atroce de Samuel Paty, le leader des insoumis alertait de nouveau sur la volonté des terroristes de diviser le pays. Après le nouveau drame de Nice, il est utile de réécouter ce qu’il disait : « Chacun d’entre nous est le rempart contre la haine ». Puissent ces mots être entendus aujourd’hui.
Par Pierre Joigneaux.