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Protection des agresseurs sexuels, censures, licenciements : la tyrannie Bolloré chez Canal +

Depuis 2015 et l’arrivée de Vincent Bolloré à la tête de Canal +, le groupe dont font partie les chaînes C8 et CNews ne cesse de sombrer dans les abysses. Censures, pressions sur les salariés, ligne éditoriale extrême, Canal + est le symbole du caprice d’un milliardaire, qui voulait s’approprier une chaîne de télévision qui lui était hostile, pour en faire sa propriété. Dans la série d’événements tous plus honteux les uns que les autres, le dernier en date se déroule en deux actes : le limogeage du chroniqueur Sébastien Thoen pour avoir parodié l’émission de son confrère Pascal Praud, et la censure d’un documentaire pour protéger Pierre Ménès, agresseur sexuel et toujours chroniqueur phare de la chaîne.

Censure d’un documentaire sur le sexisme dans le sport, le summum de l’indignité

Le dimanche 21 mars 2021 sortait sur Canal + un documentaire important : il s’agit de « Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste » de Marie Portolano et Guillaume Priou qui met la lumière sur les femmes journalistes dans le domaine du sport et sur ce qu’elles vivent dans ce milieu particulièrement toxique et sexiste. Le documentaire a touché beaucoup de monde, et revient notamment sur l’affaire Clémentine Sarlat, première femme journaliste à s’être exprimée sur les problèmes de sexisme dans le milieu en avril 2020.

Oui, mais voilà : le documentaire en question a été censuré. La cause ? Des passages qui mettent mal à l’aise Pierre Ménès, habitué des gestes déplacés envers les femmes. Ces extraits ont été coupés du montage final à la demande de la direction des sports de Canal+, selon le journal Les Jours. Dans l’article, nous pouvons apprendre que Gérald-Brice Viret, directeur des antennes, le directeur des sports Thierry Cheleman (en place depuis la rentrée 2015 comme nombre des chefs installés par Vincent Bolloré), et son adjoint Didier Lahaye ont exigé des auteurs que toutes les séquences avec Ménès soient coupées.

Un premier extrait a été supprimé, dans lequel Pierre Ménès se retrouve face à face avec Marie Portolano, dans laquel elle revient sur l’agression qu’elle a subie de la part du chroniqueur. Pour rappel, le 28 août 2016, à la fin de l’émission du Canal Football Club, hors antenne mais face au public toujours présent sur le plateau, Pierre Ménès soulève la jupe de Marie Portolano et lui attrape les fesses. Toujours lors de ce passage censuré, Marie Portolano lui explique la gravité de son geste. Lui, dit avoir oublié. Cependant, lorsque la journaliste lui demande s’il recommencerait, Pierre Ménès répond « bah oui », en expliquant qu’il « faut prendre les personnes comme elles sont ».

Un autre passage a été censuré : toujours face à Marie Portolano, Pierre Ménès revient sur une scène où il embrasse par surprise la journaliste Isabelle Moreau après lui avoir donné des fleurs pour fêter la centième du Canal Football Club. Ces images, Marie Portolano les montre à Isabelle Moreau sur une tablette, qui, en les revoyant, fond en larmes. Elle explique que cette séquence a ruiné dix ans de sa carrière. Or, toujours selon Le journal Les Jours, quand Pierre Ménès visionne la réaction d’Isabelle Moreau, « il s’emporte, dit que si Isabelle Moreau réagit aussi violemment, c’est à l’aune de #Metoo, de la société d’aujourd’hui. Société contre laquelle il vitupère : si on ne peut plus faire ça aujourd’hui, où va-t-on ? Et tente de se défendre en faisant remarquer qu’elle est presque consentante puisqu’elle met sa main autour de lui ».

Un milliardaire à la tête d’un média : voilà le résultat

Le cas de Pierre Ménès, protégé par sa hiérarchie, n’est pas anodin. Il s’inscrit dans la logique du nouvel empire médiatique que s’est acheté Vincent Bolloré. Le milliardaire et homme d’affaires, proche de Nicolas Sarkozy, s’est acheté le groupe Canal +, et en profite pour limoger les cadres du célèbre groupe audiovisuel français et les remplacer par ses proches. C’est le cas de Bertrand Meheut, alors président du directoire de Canal+ depuis treize ans, remplacé par Jean-Christophe Thiery, un fidèle de Vincent Bolloré. Commencent alors de nombreuses censures, notamment pour l’émission Spécial Investigation, ou encore l’émission culte du groupe Les Guignols de l’info qui meurt à petit feu avant de s’éteindre en 2018. Il aidera également à faire banaliser la présence de personnalités d’extrême droite à la télévision, comme nous en parlions dans un précédent article.

Mais Canal + sauce Bolloré c’est également des coups de pression pour toute personne du groupe qui refuse de suivre la ligne. Récemment, c’est l’humoriste Sébastien Thoen, après avoir parodié l’émission L’heure des Pros de Pascal Praud, qui a été licencié. Mais l’histoire ne s’arrête pas là, car son collègue Stéphane Guy, a lui aussi été renvoyé le 23 décembre 2020 pour lui avoir témoigné son soutien à l’antenne. S’en est suivi le renvoi de trois journalistes pigistes du service des sports de Canal + qui avaient eux aussi donné leur soutien à l’humoriste. Un texte, signé en soutien à Sébastien Thoen le 4 décembre 2020 par 150 collaborateurs fait toujours grincer des dents la direction de Canal + : il a été demandé aux signataires de ce texte de revenir sur leur signature, et de s’excuser.

Difficile de ne pas constater la dérive autoritaire arrivée sur Canal + avec la prise de pouvoir de Bolloré en 2015. Les salariés ne peuvent pas aller contre la chaîne, sous peine de perdre leurs emplois. Ces décisions sont purement politiques, et font se poser la question de la liberté de la presse, notamment quand cette dernière est détenue par 9 milliardaires en France. Canal + en est peut-être l’idéal type. Oser faire de l’humour et s’en prendre aux piliers du groupe ? Mises à pieds et licenciements. Agresser sexuellement une journaliste ? Une tribune pour se défendre sans contradicteurs devant des millions de Français. Vous avez dit liberté de la presse ?

Par Karl Tomasi