C’est une décision inédite que vient de rendre le Conseil d’État ce jeudi 19 novembre 2020. L’institution demande au gouvernement de prouver dans les 3 mois qu’il se donne bien les moyens de respecter ses objectifs concernant la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Une décision qui tombe quelques jours seulement après le vote du budget 2021 de la majorité à l’Assemblée qui fait la part belle au renoncement écologique.
Le Conseil d’État fait le constat de l’insuffisance des politiques climatiques
C’est la première fois que le Conseil d’État, plus haute juridiction administrative, devait se prononcer sur une affaire portant sur le respect par l’État des engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Dans son communiqué sur la décision rendue le 19 novembre 2020, l’institution demande au gouvernement de « justifier que la trajectoire de réduction à horizon 2030 pourra être respectée ». En effet, la France s’était engagée dans le cadre de l’accord de Paris à réduire ses émissions pour parvenir en 2030 à une baisse de 40 % par rapport à leur niveau de 1990. Pour atteindre cet objectif, une trajectoire de réduction a été établie. Elle s’étend sur 4 périodes : 2015-2018, 2019-2023, 2024-2028 et 2029-2033, chacune comportant un plafond d’émissions appelé « budget carbone ».
Or, dans sa décision, le Conseil d’État souligne que la France a « régulièrement dépassé les plafonds d’émissions qu’elle s’était fixés » et rappelle que « dans ses deux premiers rapports annuels publiés en juin 2019 et juillet 2020, le Haut conseil pour le climat (…) a souligné les insuffisances des politiques menées pour atteindre les objectifs fixés. » L’année 2018, premiere année du quinquennat Macron a conduit à un dépassement de 4,5 % de la part annuelle fixée par ce premier budget carbone. En cause ? L’action insuffisante du gouvernement Macron pour répondre à la crise climatique. Le Haut Conseil pour la Climat a confirmé dans son dernier rapport que la France ne réduit pas assez vite ses émissions : -0,9% l’an dernier, alors qu’il faudrait atteindre une diminution annuelle de 1,5 %, et de 3,2 % à partir de 2025.
Le Conseil d’État révèle une entourloupe macroniste
Dans sa décision, le Conseil d’État s’inquiète encore davantage et révèle au passage une entourloupe macroniste. En effet, par un décret du 21 avril 2020, le gouvernement a revu « à la baisse l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet au terme de la période 2019-2023 ». Cette baisse des ambitions du 2ème budget carbone produit « un décalage de la trajectoire de réduction des émissions qui conduit à reporter l’essentiel de l’effort après 2020 selon une trajectoire qui n’a jamais été atteinte jusqu’ici. » En clair : il a repoussé à plus tard la nécessité d’agir et la pente devient encore plus raide
Le Conseil d’État souligne au passage que « les données scientifiques les plus récentes, notamment les rapports publiés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), mettent au contraire en évidence une aggravation des risques climatiques ». De quoi justifier d’autant moins de revoir à la baisse nos ambitions. C’est cette manœuvre qui fait tiquer le Conseil d’État. L’État sera-t-il capable de respecter la nouvelle trajectoire résultant de ce décret, et donc d’atteindre l’objectif fixé pour 2030, sans prendre des mesures complémentaires ? Le gouvernement a trois mois pour répondre.
L’inaction de l’État face à l’urgence climatique mise à nu
Le Conseil d’État nouveau garant du respect des engagements climatiques du gouvernement ? Cette décision ouvre en tout cas la porte à un contrôle accru de l’action gouvernementale. C’est pourquoi de nombreuses ONG comme Greenpeace ou Oxfam se sont félicitées de cette décision jugée « historique ». La prise de position du Conseil d’État vient confirmer les nombreuses alertes lancées par ces organisations : le gouvernement doit agir dès aujourd’hui pour faire face à l’urgence climatique.
Pourtant, la majorité LREM persiste sur sa lancée à rebours des enjeux. Plutôt que de planifier la bifurcation écologique, le plan de relance va surtout relancer le monde d’avant. Des milliards vont être distribués aux entreprises polluantes sans la moindre contrepartie écologique. Le 30 octobre 2020, la Commission européenne a tancé le gouvernement français pour son inaction en matière de pollution de l’air et de l’eau et l’a sommé d’agir. Ce qui n’a pas empêché la majorité LREM de réautoriser les néonicotinoïdes. L’inaction du gouvernement en matière d’écologie est régulièrement dénoncée, notamment à l’Assemblée par les députés insoumis (voir ci-dessous) mais toujours pas de signaux forts envoyés par Emmanuel Macron. Au contraire.
Urgence climatique : le gouvernement touche le fond et creuse encore
Le Conseil d’État demande au gouvernement de prouver qu’il n’a pas besoin de mettre en œuvre des mesures supplémentaires pour respecter sa trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Sauf qu’entre le décret d’avril 2020 et cette décision de l’institution administrative, le gouvernement a aggravé lui-même la situation ! À l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2021, LREM a rejeté de nombreuses mesures indispensables pour planifier la bifurcation écologique. Il manque plusieurs milliards pour développer le fret ferroviaire, défendre les « petites lignes » et relancer le train de nuit. Mais la majorité a préféré continuer à financer publiquement les énergies fossiles jusqu’en 2035. Non content d’amoindrir tous les moyens financiers pour agir, la majorité macroniste affaiblit les moyens humains de l’État. Depuis 2017, 15% des emplois du ministère de l’Écologie et de ses opérateurs ont été supprimés.
Sur le plan fiscal, point de justice sociale et environnementale à l’horizon. La sécession des riches est également climatique et la politique de Macron accroît les inégalités. La fiscalité verte actuelle pèse trois fois plus sur les 20% de ménages les plus modestes en comparaison des 20 % les plus riches. Greenpeace a démontré que le patrimoine financier des 1 % des ménages les plus riches pollue 66 fois plus que celui des 10 % les plus pauvres. Mais LREM a refusé la création d’un ISF climatique proposé par les députés insoumis.
Le gouvernement a donc 3 mois pour prouver au Conseil d’État qu’il pourra respecter ses objectifs. Une tâche qui paraît déjà impossible vu la trajectoire empruntée par Emmanuel Macron et son gouvernement depuis le début du quinquennat.
Par Maxime Charpotier.