En mars, alors que commençait le confinement, le gouvernement avait promis une prime pour les salariés, notamment dans la grande distribution. L’idée était de les dédommager du contact potentiel avec le virus puisque leur travail était nécessaire pour faire fonctionner le pays. Bruno Le Maire annonçait le 20 mars : « J’invite toutes les fédérations et les grandes entreprises à verser cette prime de 1.000 euros défiscalisée. Nous devons faire mieux pour toutes ces personnes dont nous avons impérativement besoin. » Cette prime pénibilité est alors pensée comme une incitation à la poursuite du travail. Le gouvernement reconnaît que certains secteurs sont essentiels… Mais lesquels ? Et cette prime sera-t-elle versée à tous les salariés en contact avec le virus ?
Un effet d’annonce hors sol
Deux mois se sont écoulés depuis cette annonce, et la volonté des grandes entreprises à verser cette prime n’a été que très peu observée. Pire : les 1.000 euros ne seront pas touchés par tous ceux qui seront en première ligne. Le cas de la grande distribution est un exemple particulièrement frappant de l’injustice de cette annonce. Les personnels des magasins sont dans les premières lignes depuis le début de la pandémie. De plus, ils ne sont pas formés à affronter la maladie et à côtoyer des personnes malades.
Les salariés de la grande distribution attendaient donc une prime de 1.000 euros, annoncée sans conditions. Ils l’ont d’autant plus attendue que la première caissière morte du coronavirus est décédée une semaine après l’annonce de Bruno Le Maire. Aïcha Issadounène. Elle avait 52 ans.
Depuis, les salariés sont dans l’incertitude. Auchan avait annoncé le 22 mars que le groupe verserait cette prime à « l’ensemble des collaborateurs des magasins, entrepôts, drives, services de livraison à domicile et site de e-commerce », soit à 65.000 salariés. La prime représenterait l’équivalent de 0,13 % du chiffre d’affaire du groupe. Or, les salariés ont appris plus tard que la prime était proportionnelle au temps travaillé. Mais rien ne justifie cette différence, car les salariés travaillant avec un temps partiel sont à la caisse aux heures de pointe, et sont donc extrêmement menacés par le virus ! Le tableau ci-dessous récapitule les éléments connus pour chaque grande surface.
La déception et la colère des salariés
La prime tant attendue et tant vantée par le gouvernement va donc être touchée par peu de monde. On peut donc bien parler d’enfumage et d’effet d’annonce. La prime est extrêmement conditionnée, et certains groupes sont prêts à tout pour que les salariés n’y soient pas éligibles. C’est ce qu’explique Giuseppe Aviges, lui-même étudiant salarié chez Monoprix : « Le PDG a dit que 90 % des salariés seraient concernés par la prime de 1.000 euros. Mais la condition principale exclut finalement beaucoup de monde : il faut avoir travaillé du 16 mars au 2 juin (jour du versement de la prime). Or, nous avons remarqué que certains CDD s’arrêtent quelques jours avant, et qu’ils ne seront pas renouvelés. Beaucoup ont un contrat étudiant, ou remplacent un autre salarié… Quelqu’un qui a travaillé 3 mois moins quelques jours mérite-t-il moins sa prime que quelqu’un qui a travaillé trois mois complets ? »
La colère est donc montée chez de nombreux salariés à qui on a fait espérer une prime, et qui n’en verront pas la couleur. À cette injustice s’ajoute une autre, celle des masques. Pendant toute la durée de l’épidémie beaucoup de salariés de la grande distribution n’étaient pas protégés contre le virus. Mais on apprend maintenant que les supermarchés vont vendre plusieurs centaines de millions de masques, jusqu’à 10 fois plus cher qu’avant. Quelques-uns de ces masques auraient pu aller aux agents de caisse. Selon nos informations, une pétition devrait d’ailleurs être lancée dans les prochains jours, pour que tous les salariés aient accès à cette prime de 1.000 euros. On imagine que les partisans de la rémunération de la «prise de risque» quand il s’agit de trading boursier ne devraient pas voir d’inconvénient à ce qu’on rémunère mieux ceux qui prennent des risques réels pour faire tourner le pays.
Par Roxane Charabot