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Mégabassines – Contre l’aberration écologique, la mobilisation se poursuit avec l’appui du NFP

Les mégabassines, ces vastes retenues d’eau artificielles destinées à l’irrigation agricole, sont devenues un sujet de débat intense en France. Des luttes à la portée nationale ont vu le jour, comme la mobilisation de Sainte-Soline du mars 2023, rendue sanglante par Gérald Darmanin. Présentées comme une solution pour sécuriser l’approvisionnement en eau durant les périodes de sécheresse, elles sont en réalité une aberration écologique et sociale.

En cet été 2024, la mobilisation contre ces grands trous d’eau, accaparant l’eau pour une petite minorité, se poursuit. Du 16 au 21 juillet, des rassemblements et actions était organisé au départ du village de Melle, dans les Deux-Sèvres. Le tout à l’appel de plus de 120 organisations, dont Les Soulèvements de la Terre, Attac et la Confédération paysanne. 6 000 personnes ont répondu à l’appel.

L’objectif de cette mobilisation : obtenir un moratoire sur les mégabassines, l’une des mesures-phares du Nouveau Front Populaire. En effet, le plan de gouvernement du NFP le prévoit dans les 15 premiers jours. Cela s’articule dans un programme plus global écrit pour répondre aux différentes urgences du pays. L’immense espoir soulevé par le Nouveau Front Populaire, notamment pour répondre aux enjeux climatiques que les macronistes ont délaissé, doit rapidement se concrétiser.

Tout l’été, l’Insoumission.fr vous propose de redécouvrir ses articles de fond. L’occasion de (re)faire le plein d’arguments pour continuer la bataille culturelle. Notre article.

Arguments techniques et débats d’experts, ou le petit manuel de désinformation à l’usage des défenseurs des mégabassines

Les retenues de substitution, communément appelées bassines, sont des réservoirs d’eau conçus pour stocker l’eau prélevée en hiver afin de l’utiliser en été pour l’irrigation agricole. Ces infrastructures sont censées aider à gérer les ressources en eau en période de sécheresse, en réduisant les prélèvements estivaux sur les nappes phréatiques (Grimonprez, 2022). En France, de nombreux projets de mégabassines sont en cours, notamment dans les régions agricoles des Deux-Sèvres et de la Vienne. Ces projets visent à sécuriser l’approvisionnement en eau pour l’irrigation des cultures sensibles à la sécheresse, mais rencontrent une forte opposition de la part des écologistes et des agriculteurs pratiquant des modes de culture plus durables.

À l’échelle internationale, des projets similaires existent, mais leur mise en œuvre et leurs résultats varient considérablement. D’un point de vue technique, de nombreuses publications scientifiques et techniques s’attachent à souligner les impacts multiples, et souvent négatifs, de ces projets sur l’environnement. Par exemple, selon Magand et Carluer (2021), ces infrastructures perturbent les écosystèmes aquatiques, réduisent les débits des cours d’eau et altèrent la qualité de l’eau en aval.

De plus, l’évaporation de l’eau stockée dans les bassines entraîne des pertes importantes, réduisant ainsi leur efficacité globale. Les opposants à ces projets ne sont donc pas des fous ou des « écoterroristes en dehors du camp de la raison ». Ils posent une question légitime : est on sûr que ces infrastructures sont de nature à adapter nos territoires aux effets du changement climatique ?

Rappelons que contrairement à l’idée reçue que les bassines se remplissent avec de l’eau de pluie, elles sont en réalité alimentées par des pompages dans les nappes phréatiques, ce qui peut aggraver leur vidage, voire leur disparition (Abbott et al., 2019). De plus, plusieurs articles de recherche montrent que les mégabassines peuvent offrir une solution temporaire à la pénurie d’eau. Leur efficacité à long terme est toutefois sérieusement remise en cause. Magand et Carluer (2021) rapportent que ces infrastructures peuvent conduire à une surexploitation des ressources en eau, aggravant les problèmes de disponibilité. Dans certains cas, la tension sur la ressource en eau s’est accrue de 42 % après mise en place des ouvrages (Grimonprez, 2022).

Une étude récente publiée dans Nature (Jasechko et al., 2024) met en évidence un cercle vicieux lié à l’irrigation excessive en réponse aux sécheresses accrues. Les chercheurs montrent que la diminution rapide des réserves d’eau souterraines est principalement due à l’accroissement des pratiques d’irrigation pour compenser les périodes de sécheresse. Plus il y a de sécheresse, plus l’irrigation est nécessaire, ce qui exerce une pression croissante sur les nappes phréatiques. En conséquence, ces nappes ne se rechargent pas suffisamment, ce qui réduit la résilience face aux sécheresses futures et entraîne une augmentation continue des besoins en irrigation.

Pour aller plus loin : Forte mobilisation contre les méga-bassines dans le Puy-de-Dôme, LFI en première ligne

Cette situation crée un cycle de dépendance à l’irrigation qui aggrave encore la disponibilité des ressources en eau. L’argument selon lequel les bassines sont une solution durable est donc plus que contestable, et ce d’autant que les pertes par évaporation et les impacts sur les écosystèmes en aval remettent en question leur durabilité à long terme (Magand et Carluer, 2021). Enfin, les principaux tenants de ces projets expliquent que les bassines sont des « simples ouvrages destinés à éviter la perte de l’eau en « excès » en hiver qui serait « perdue sinon ».

En plus de s’appuyer sur une vision anthropocentrée, qui manque singulièrement d’humilité face à la nature, cela démontre une incompréhension totale du fonctionnement des cycles de l’eau et du sol, des écosystèmes complexes. Les flux hivernaux sont essentiels pour les écosystèmes côtiers et la recharge des nappes phréatiques. Intercepter cette eau peut avoir des conséquences néfastes sur ces systèmes naturels (Julien, 2010). Il est important de comprendre que les précipitations continentales, sous forme de pluie, neige, grêle, ne proviennent pas majoritairement des océans : 2/3 proviennent de l’évapotranspiration des sols et des plantes (cultures, forêts), contre 1/3 des océans (Abbott et al., 2019).

Pour aller plus loin : Agriculture intensive VS bifurcation écologique : les méga-bassines, symbole d’une guerre entre deux mondes

Se réapproprier la véritable question : celle du règlement citoyen des conflits d’usage de l’eau

Toutes ces questions techniques, ces publications scientifiques, ces querelles d’experts, qui se règlent à coup de modélisations, d’études et autres documents très complexes masquent en réalité la question principale posée par les mégabassines. Celle du règlement du conflit d’usage ! Oui, la question centrale posée par ces infrastructures est bel et bien citoyenne et non technique ou technocratique.

Comment organisons-nous, en tant que société, la gestion de ce commun qui devient rare : l’eau ? Nul besoin de diplômes pour aborder cette question, parfaitement légitime et qui doit s’imposer dans le débat public et politique. Sur le plan social, les mégabassines exacerbent les conflits d’usage de l’eau, permettant à une minorité d’exploitations agricoles de s’approprier une part disproportionnée des ressources en eau, au détriment des autres usagers, y compris les petits agriculteurs et les communautés locales (Grimonprez, 2022).

Elles aggravent donc les inégalités en matière d’accès à l’eau. Rappelons par ailleurs qu’en France métropolitaine, la surface agricole utile irriguée est de 7% (en 2020). Et cette surface irriguée est majoritairement utilisée pour une agriculture exportatrice au service de la finance et de la production d’agrocarburants (les fruits et légumes ne représentent que 15% des surfaces irriguées). Entre boire (de l’eau) ou conduire une politique d’exportation débridée, il nous faut choisir !

Pour une gestion plus équitable et durable, il est crucial de développer des solutions prenant en compte les besoins de tous les usagers de l’eau, incluant la promotion de pratiques agricoles durables et la mise en place de politiques de gestion de l’eau favorisant la conservation et la répartition équitable des ressources. Dès lors, deux alternatives s’offrent à nous : continuer avec la logique mortifère d’accaparement de cette ressource commune au profit de quelques-uns, au service d’une agriculture intensive qui détruit les sols, ignore les limites planétaires et nourrit plus la finance que les êtres humains.

Cela mènera à une crise de l’eau où les émeutes pour l’accès à l’eau seront fréquentes. Ou bien changer de modèle vers une agriculture paysanne, moins consommatrice d’eau, nourricière et respectueuse des écosystèmes. C’est-à-dire gérer l’eau comme un commun, de manière citoyenne.

De nombreux scénarios scientifiques, comme le modèle 3 de l’INRAE dit des « paysages emboîtés », montrent que c’est possible. Nous l’avons vu, les mégabassines posent de sérieux problèmes écologiques et sociaux. Elles ne représentent qu’une solution à court terme, négligeant les dynamiques complexes des écosystèmes et les besoins de tous les usagers de l’eau. Un moratoire sur les projets de mégabassines est soutenu par certaines organisations politiques, soulignant la nécessité de repenser ces infrastructures. Plutôt que de s’engager dans ces projets tous plus ubuesques les uns que les autres, il est urgent de repenser notre modèle agricole et bifurquer vers une agriculture paysanne, moins consommatrice d’eau et non dépendante de l’irrigation. Ensemble, c’est encore possible !

Mégabassines : les propositions de LFI

La France Insoumise propose un moratoire immédiat sur les projets de mégabassines pour éviter de s’enfermer dans ces infrastructures destructrices. Plus largement, elle est favorable à une gestion citoyenne et démocratique de l’eau en tant que bien commun.

La bifurcation agricole plébisicitée par les insoumis impliquerait d’encourager la transition vers une agriculture paysanne, écologique, et moins consommatrice d’eau, en réduisant la dépendance à l’irrigation intensive. Cela signiferait également la promotion des pratiques agricoles respectueuses des écosystèmes aquatiques et renforcer la législation pour protéger les cours d’eau et les nappes phréatiques.

Enfin, les insoumis sont pour la fin des subventions de l’agriculture, impliquant ainsi une réorientation des subventions publiques vers des pratiques agricoles durables et résilientes face aux changements climatiques. Cela irait de pair avec le fait de favoriser la diversification des cultures pour réduire la pression sur les ressource.

Par Guillaume Barjot

Pour approfondir le sujet

  • Abbott, B. W., Bishop, K., Zarnetske, J. P., Minaudo, C., Chapin, F. S., Krause, S., … &
    Pinay, G. (2019). Human domination of the global water cycle absent from depictions
    and perceptions. Nature Geoscience, 12(7), 533-540.
  • Grimonprez, B. (2022). Méga-bassines : aux sources d’un conflit. AOC média –
    Analyse Opinion Critique.
  • Grimonprez, B. (2023). Réserves de substitution : la justice sanctionne la folie des
    grandeurs. Revue de droit rural.
  • Jasechko, S., Seybold, H., Perrone, D., Fan, Y., Shamsudduha, M., Taylor, R. G., Fallatah,
    O., & Kirchner, J. W. (2024). Rapid groundwater decline and some cases of recovery
    in aquifers globally. Nature, 625, 715-721.
  • Julien, J. (2010). « L’eau qui atteint la mer est une eau perdue » : anthropocentrisme
    et dégradation des écosystèmes aquatiques. VertigO.
  • Legris, S., & Lhonneur, T. (2024). De quoi les agriculteurs en colère sont-ils le nom ?
    HAL.
  • Magand, C., & Carluer, N. (2021). Impacts des plans d’eau sur le milieu récepteur.
    OFB et INRAE.