En quelques années, la lutte contre les retenues d’eau – que l’on appelle « méga-bassines » ou « réserve de substitution », selon le côté de la barricade – a pris une ampleur significative. Ces méga-bassines se multiplient au même rythme que les alertes du GIEC sur le dérèglement climatique. Les nappes souterraines ne se rechargent plus selon leurs cycles naturels. Les retenues d’eau sont vendues comme une solution à la sécheresse, mais en réalité, elles sont une grande partie du problème, on va vous expliquer pourquoi.
Après les « Khmerts verts », les « ayatollahs de l’écologie », on découvre désormais les « éco-terroristes ». Une formulée créé par un ministre de l’Intérieur prêt à tout pour jeter le discrédit sur ceux dont le seul crime est d’être préoccupé par notre avenir. Face à cette répression, les lutteurs sur place font front commun. Agriculteurs, ONG, associations écologistes, parlementaires de la NUPES, tous répondent présents. Par des modes d’actions qui se complètent, cette lutte devient un bréviaire d’intelligence tactique face à la dérive autoritaire en marche. Agriculture intensive ou bifurcation écologique ? Les méga-bassines, le symbole d’une guerre entre deux mondes. Notre article.
La résistance face aux méga-bassines s’accroît au fur et à mesure que le désastre climatique s’amplifie et se constate dans le réel. Cette lutte sortie de terre nous apprend beaucoup. Elle est le symptôme d’une guerre entre deux mondes. D’un côté, un modèle agricole intensif privatisant tout avec l’appui du pouvoir macroniste. De l’autre, un modèle respectueux de l’être humain et de l’environnement. Cette autre matrice défendue par la NUPES, grâce à la bifurcation écologique, ne peut voir le jour qu’en étant débarrassée de la logique capitaliste. Face aux puissantes mobilisations pour que cette alternative prenne racine, le pouvoir macroniste ressort et actualise sa stratégie de criminalisation des manifestations. Ce, tant par le recours à la force qu’à un ensemble de subterfuges pour décourager et jouer la carte de la division.
À la croisée des mondes : l’agriculture intensive et la bifurcation écologique
Depuis des années, ces immenses bassins privatisés alimentent un modèle agricole productiviste, à bout de souffle et financé par des fonds publics (État et collectivités) à hauteur de 70%. Ceux qui font sortir de terre ces cratères bâchés de 5 à 16 hectares sont les artisans de leur débâcle et les responsables du défi de notre siècle : préserver l’eau comme bien commun. L’agro-business et ses promoteurs ont déréglé le climat, perturbé le cycle de l’eau, asséché les sols, pollué nos nappes et nos assiettes. Les mêmes applaudissent aux COPs car ils se savent à l’abri des contraintes. Ils n’ont que faire du réchauffement climatique et de notre souveraineté alimentaire.
Non contents d’avoir tout déréglé, ils en viennent désormais à tout pomper, accélérant toujours plus la crise climatique. En siphonnant plusieurs centaines de milliers de cubes d’eau du sous-sol, l’agro-business met ainsi sous perfusion un modèle dont la fin est déjà programmée. La seule question qui vaille est : doit-on continuer dans l’erreur ou arrêter pour faire bifurquer notre modèle vers une agriculture respectueuse du vivant et des hommes ? La réponse est connue. La FNSEA et ses acolytes macronistes sont des irresponsables. Ils ne feront rien, à part continuer à défendre leurs intérêts coûte que coûte.
Soyons clairs. Il ne s’agit pas là d’un affrontement entre écologistes et agriculteurs comme le présentent les éditorialistes de droite et autres organes du pouvoir. Il s’agit d’un vaste mouvement de privatisation de l’eau au service d’une poignée d’exploitations ultra-intensives. Sur le bassin Sèvre niortaise-Mignon, sur 2 000 exploitations agricoles, seuls 103 sont uniquement connectées sur les 16 bassines au projet. 5% des exploitations vont accaparer l’eau au détriment des autres. L’eau ainsi accaparée irrigue les cultures intensives, souvent pour une céréale dont la culture est inadaptée à ces régions et dont la production est réservée à l’exportation.
Un front commun face à la crise de l’eau
Le département des Deux-Sèvres sert de laboratoire pour l’installation des méga-bassines. Sur le terrain, les premières mobilisations ont été initiées par les agriculteurs : ils sont les premiers concernés. Ces derniers ont été rejoints par les ONG, les collectifs autonomes, les associations écologiques, les syndicats (ex : la Confédération paysanne), et de nombreux députés de la NUPES. Leurs modes d’actions ne sont pas les mêmes. Mais l’objectif de lutte est partagé, et l’acceptation mutuelle de modes d’actions différents apporte des résultats. Pourquoi cette convergence est-elle nécessaire ?
D’abord, elle est efficace. La connaissance fine du terrain par les agriculteurs et les militants évoluant sur place aide à déjouer la répression. Elle permet aussi de s’ancrer durablement sur le terrain. Ils installent des cantines, des dortoirs, vont à la rencontre des riverains pour leur apporter des informations fiables sur la lutte, loin des radars médiatiques. Ils organisent des jeux « 1,2,3 soleil ! » face à l’armée motorisée devant eux, pacifiquement, avec joie. En somme, ils utilisent le terrain à leur avantage. Le relais politique à l’Assemblée nationale par la NUPES donne une dimension nationale au sujet et gêne les promoteurs ministériels de la macronie. Jean-Luc Mélenchon, lui, alerte depuis plus de dix ans sur la crise de l’eau et ses conséquences concrètes.
Cette convergence répond au hold-up de l’agro-business sur l’eau, qui est à la fois un enjeu local et national.
Répression sur les plaines de Sainte-Soline
Il n’en fallait pas moins pour que le pouvoir macroniste dégaine son arsenal répressif. Lors des deux grandes journées de mobilisation du 29 et 30 octobre, 1700 gendarmes étaient mobilisés pour 8000 manifestants – 4000 d’après la préfecture. Soit un gendarme ¼ par manifestant. Tirs de LBD, grenades de désencerclement, une odeur de lacrymogène rappelant les Gilets Jaunes planait dans les plaines de Sainte-Soline. Est-ce un pouvoir républicain qui donne de tels ordres ?
Bilan : une soixantaine de blessés parmi les manifestants, dont l’un fut arrêté dans sa chambre d’hôpital puis placé en garde à vue. Les députés LFI furent eux aussi bousculés. Résultat ? Le chantier a été suspendu pendant dix jours. Il a ensuite repris. Plusieurs députés insoumis se sont déplacés pour apporter leur soutien, dont Mathilde Panot, Clémence Guetté et Loïc Prud’homme.
La technique du pouvoir est simple et redondante. Réprimer, dissuader, poursuivre, diffamer. Sur France Info, le nouveau préfet de police Laurent Nunez – le bras armé de Castaner sous les Gilets jaunes – déclarait le lendemain des manifestations des 29 et 30 octobre : « Un certain nombre d’entre eux sont fichés S au même titre que des terroristes islamistes. Il faut être prudents et nous allons continuer à être vigilants ».
On reconnaît ici tout le délire de la répression macroniste : détourner les outils de la lutte anti-terroriste contre les manifestants et les opposants. Le même procédé était à l’œuvre pour Tarnac (dont les inculpés ont tous été relaxés après 10 ans de procédure), pour Notre Dame des Landes, pour Bure. Pour ce dernier cas, une circulaire du ministère de la justice demandait aux magistrats du siège de poursuivre les manifestants pour « association de malfaiteurs ».
À peine Laurent Nunez eut-il fini sa phrase que Gérald Darmanin prenait le relais du service après-vente de la machine répressive. Il a qualifié les manifestants d’« éco-terroristes ». Un coup de bêche à une bâche est-il du terrorisme ? Découper une pompe est-il un geste qui doit occuper nos services de renseignements ? Ils ont mieux à faire en traquant, par exemple, les caches d’armes de l’extrême droite.
Au total, un nouveau cap dans le délire répressif macroniste a été atteint. En 2017, les manifestants étaient des malfaiteurs. En 2022, ils désormais des « éco-terroristes ». Pour ceux qui douteraient, l’éco-terrorisme n’a aucune base juridique. Il n’existe dans aucun des 74 codes juridiques qui fondent le droit en France. Il est une pure invention politique destinée au discrédit, un chiffon rouge que l’on agite pour faire peur et tenter de retourner l’opinion publique.
Cette lutte offre des perspectives. Elle agrège autour d’elle la crise de l’eau, le nécessaire démantèlement du complexe agro-industriel et de ses privatisations, pour dessiner un modèle alternatif, respectueux de l’agriculture, de l’environnement, des paysans et des hommes. Elle réinterroge aussi les modes d’actions et prouve que la convergence est possible quand la cible est commune. Le 28 novembre 20222, des militants du collectif anti-bassines se sont rassemblés devant le tribunal de Niort, où cinq personnes arrêtées à Sainte-Soline étaient jugées pour « participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences ».