8 mai 1945

L’autre 8 mai 1945

Le 8 mai, la France couvre ses monuments de fleurs, de belles gerbes tricolores, de drapeaux. Le pays exalte son unité, la résistance à l’occupation et la fin de la guerre la plus meurtrière que l’être humain se soit infligé à lui-même. On se remémore avec ferveur et émotion les destins des citoyens morts pour la France et on aime à embellir pour l’occasion notre roman national de hautes figures de la résistance et à discrètement omettre, le temps manquerait sûrement pour en faire la liste, les basses figures de la collaboration…

Nos dirigeants nous accablent pour l’occasion de discours creux qui ne laissent jamais place qu’à un sentiment béat de contentement, étant admis que vous n’examiniez pas de trop près le débouché politique restreint que ces laïus proposent. Notre article.

L’histoire se lisse dans leurs paroles, quitte à en écarter les aspects qui n’intéressent pas l’équipe de marketing de l’Élysée

À les entendre en effet et selon le poncif Gaullien toute la France a été résistante, et toute la
résistance était gaulliste. À les entendre, c’est comme si les communistes qui prenaient le maquis hier auraient aujourd’hui apprécié d’entendre leur nom cité par le président le plus répressif et antisocial du régime le plus autocratique de toutes les démocraties occidentales. Manouchian a eu au moins la chance d’être déjà mort quand Macron a fait son éloge funèbre, pas nous.

Comme si de Gaulle avait envoyé le général Leclerc sur Paris pour des raisons stratégiques ou militaires et non dans le but d’éviter que la résistance armée ne mette en place une deuxième commune de Paris, aidée par les soviétiques qui s’approchent alors dangereuse ment de la capitale. Comme si enfin, le roman national était le mythe d’une France qui allait de soi, sans contradiction, sans dynamique ni enjeu de pouvoir. L’histoire se lisse dans leurs paroles, quitte à en écarter les aspects qui n’intéressent pas l’équipe de marketing de l’Elysée.

Ce mythe dépolitisé et essentialisant nous apparait particulièrement suspect à cette date au vu de son revers Algérien et c’est dans l’ambition modeste de le contrer que nous vous proposons un autre 8 mai, une nouvelle commémoration plus en accord avec nos principes moraux, notre lecture historique matérialiste, notre ambition internationaliste et populaire. En somme, nous proposons des pistes pour réinvestir cette date d’un peu de sa teneur et de sa complexité politique.

En Algérie, cet autre 8 mai 1945

Car ce 8 mai 1945 en Algérie a un goût amer d’ambitions frustrées, de sang versé, de violence, et préfigure par bien des aspects la guerre d’Algérie qui aura lieu 9 ans plus tard. Ce jour-là à Sétif, Guelma et Kherrata le peuple algérien qui lui aussi a sacrifié ses enfants pour libérer la France de son oppresseur, sort dans la rue pour célébrer la fin de la guerre en Europe. Celle-ci ouvrait grandes les portes de la libération des peuples du monde entier, une page historique se tournait.

L’intuition était bonne, l’ambition honorable. Le revers n’en sera que plus terrible. La première victime du massacre est Bouzid Saâl, un nationaliste algérien. Son crime ? Porter le drapeau algérien dans la rue. Peut-être pense-t-il comme d’autres que ce jour de fête est propice à la révolution des relations de pouvoir de la société algérienne? Par ce geste, il affirme le droit à l’autodétermination de son pays ! Pour ce geste, il est tué. La France qui administre les autorités coloniales à travers le général Raymond Duval veut montrer l’exemple, elle a donné ordre de brimer toute velléité d’indépendance.

Les policiers tirent d’abord sur le jeune homme de 26 ans, puis sur la foule avant de réprimer violemment les manifestations. Ce geste belliqueux entraine une riposte qui fera une centaine de victimes parmi les colons, la violence escalade, la réaction sera impitoyable. Les historiens estiment que le massacre qui suit, perpétré tant par les autorités françaises que par des milices de pieds-noirs organisées autour de l’OAS, aurait fait entre 10 000 morts et 15 000 morts, civils, femmes, hommes, enfants.

Et de cette tuerie ne semblent persister que des notes en bas de page. Les discours ne la mentionnent pas, l’Etat ne reconnait pas sa responsabilité. Comment comprendre ce geste? Comment expliquer cet attentat contre le peuple? Peut-on seulement le faire sans reconnaitre la responsabilité historique de l’Etat français ? Sans analyser la situation au prisme du colonialisme? Tirer sur le fil de ce moment historique obligerait la bourgeoisie à des concessions qu’elle n’est pas prête à assumer. Car c’est bien dans la colonisation, motivée par l’expansion du marché capitaliste occidental que le nazisme prend ses racines idéologiques!

C’est la colonisation qui a inventé les concepts racistes justificateurs de l’esclavage, c’est la colonisation qui la première a fait usage de camps de concentration, qui a justifié l’expansion des empires et le viol systématique des frontières au nom de la mission civilisatrice. Hitler disposait d’études de cas pratique de domination des peuples selon tous les terrains et toutes les modalités. Il s’est étendu sur l’Europe, porté par un peuple majoritairement acquis au corpus idéologique déshumanisant que les empires occidentaux avaient patiemment cousu pendant leur conquête du monde. Ce que le pays avait subi de la part d’Hitler, sa classe capitaliste l’avait faite subir aux peuples de ses colonies.

Ce que l’Europe a vu arriver est le résultat indirect de son expansion. En justifiant la domination de l’être humain par l’être humain on prend en effet le risque de se voir un jour soi-même dominé.

Coincés dans ce paradoxe, nos dirigeants ne peuvent que nous abreuver de discours consensuels

C’est dans ce paradoxe que nos dirigeants sont ultimements coincés, et c’est la raison pour laquelle ils ne peuvent que nous abreuver de discours consensuels. En ne reconnaissant pas le crime de la colonisation algérienne, ils s’évitent d’admettre à mi-mot que la libération n’a fait que réinstituer la bourgeoisie au pouvoir. Car elle seule a tout à la fois intérêt à la colonisation et à la défaite du nazisme.

Le peuple quant à lui se réjouit de la défaite du nazisme ET déplore la colonisation. Ne pas mentionner le crime permet de ne pas avoir à parler du coupable. Reconnaitre de cette date le double-sens historique c’est faire un pas vers l’idée que la révolution citoyenne n’est pas finie, que les peuples n’ont pas encore vaincu leur ennemi commun, que la victoire sur le nazisme n’est pas la victoire sur l’oppression.

La colonisation est toujours là, le génocide palestinien orchestré par Netanyahu en est un exemple tous les jours plus horrifiant. Réinvestir les commémorations du crime colonial à la date du 8 mai en même temps que le jour de fête en souvenir de la fin de la guerre est un acte politique fort que ceux qui soutiennent Israël sont à jamais incapables de faire. Leur filliation idéologique les pousse à se soutenir mutuellement, au prix de leur crédibilité aux yeux du monde

Honorer ces victimes, femmes, hommes et enfants, c’est honorer leur combat digne pour
une Algérie libre et indépendante après un siècle et demi de meurtres, de viols, de torture.
Plus généralement, le tabou qui entoure le 8 mai 1945 et l’histoire coloniale française est le
symptôme d’une France qui occulte les horreurs de la colonisation mais qui nie également
les discriminations et le racisme résultant de cette Histoire.

La nouvelle génération issue de la diaspora algérienne dont l’exil douloureux a été accentué
par les conditions d’accueil lors des premières vagues d’immigration algérienne, vit rattachée entre les ponts que la colonisation et l’exil ont dressé entre la France et l’Algérie.
La France a parqué ces Algériens et ces Algériennes dans des bidonvilles à leur arrivée en
France, puis les a placés dans des grandes tours en banlieue comme pour leur signifier que
leur place dans la société française était comparable à celle que l’on leur accordait dans la
ville, loin des préoccupations, loin de toute considération.

Sur le plan politique, l’extrême-droite française ne rejette pas l’héritage issu de l’OAS ni celle
de l’idéologie de Jean-Marie Le Pen auteur de crimes en Algérie, bien au contraire.
A l’image de José Gonzalez (député RN) ou de Michèle Tabarot (députée LR), fille de l’un
des fondateurs de l’OAS qui affirma face aux parlementaires LFI lors d’un débat sur l’accord
franco-algérien de 1968 que compte tenu de nos positions décoloniales nous étions les amis
du FLN et qu’aujourd’hui nous serions les amis du Hamas.

Pour aller plus loin : RN-FN, historique d’un parti fondé par des Waffen-SS que certains veulent réhabiliter

Il faut libérer la parole face à la tutelle coloniale

Nous sommes les amis de ceux qui se battent pour affirmer l’autodétermination des peuples, leur souveraineté et leur indépendance. Nous sommes le camp de la paix. Face aux discours nostalgiques de l’Algérie française portés par des parlementaires ou des militants, ripostons. À l’image du collectif « l’autre 8 mai » qui lutte pour une reconnaissance officielle du massacre d’algériens à Sétif, Guelma et Kherrata, la nouvelle génération s’empare de la question coloniale et de son héritage qui plane toujours en France. Il est grand temps que l’Etat français reconnaisse les crimes coloniaux perpétrés en Algérie. Cette reconnaissance doit être suivie par l’ouverture des archives notamment au bénéfice des programmes scolaires.

Rendre hommage aux victimes des massacres du 8 mai 1945, c’est célébrer la défaite de l’ordre colonial et la victoire du peuple algérien pour le droit à l’autodétermination. Mais c’est également affirmer notre solidarité envers les colonisés, les opprimés de tout temps et de tout pays. « Vietnam, Algérie, Palestine vaincra aussi », ce slogan scandé en manifestation pour le cessez-le-feu en Palestine est le symbole d’une convergence, d’un souvenir toujours vif de la colonisation française. A bas l’impérialisme qui sacrifia l’indépendance des Algériens sur l’autel du capitalisme et du racisme, à bas l’impérialisme qui sacrifie aujourd’hui la liberté des Palestiniens.

Par L. et M.

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