Luxembourg paradis fiscal
Business Scum / Montecruz Foto, Libertinus, CC BY-SA 3.0 DEED, pas de modifications apportées.

Le Luxembourg, ce paradis fiscal qui s’enrichit sur le dos des travailleurs

Quand on parle du Luxembourg, on pense Paradis Fiscal. On se souvient de « OpenLux », ce scandale qui révélait que la moitié des entreprises luxembourgeoises sont des sociétés offshores, totalisant près de 6 500 milliards d’euros d’actifs. Au moment des révélations, en 2021, LREM avait choisi son camp en rejetant un amendement LFI visant à faire reconnaître le Luxembourg comme paradis fiscal en plein cœur de l’Union européenne.

Dans le Grand-Est, la colère gronde contre le Grand-Duché, à droite comme à gauche de la frontière, pour un tout autre motif. Aujourd’hui, 117 000 travailleurs français exercent une activité au Luxembourg. Pas étonnant, lorsqu’on sait que le SMIC y est le plus élevé d’Europe (3.085,11€ bruts/mois). Ces travailleurs payent leurs impôts au Luxembourg, mais en échange, d’un commun accord avec le gouvernement français, le Grand-Duché ne reverse rien à la France.

Résultat : ce sont plus de 185 millions d’euros qui pourraient revenir à l’État et aux collectivités pour financer les services publics français, mais qui finalement enrichissent le Luxembourg, sous le regard complice et approbatif d’Emmanuel Macron. Une drôle de manière de faire des économies. Notre article.

Le Luxembourg garde jalousement ces impôts et choisi de ne rien reverser à la France

Alors que les Maires préparent actuellement leur budget, le constat est unanime : il va manquer de l’argent. Certains vont devoir rogner sur leurs dépenses de personnels, d’autres sur leurs services publics. Dans l’Est de la France, près de la frontière avec le Luxembourg, la situation est plus insoutenable encore. En plus des dépenses qui augmentent, ce sont les recettes qui diminuent drastiquement, d’année en année.

En effet, dans les anciennes citées minières et sidérurgiques du nord lorrain, chaque année, de plus en plus de Français partent travailler au Luxembourg, qui propose des conditions de travail et de salaires bien plus attractives qu’en France. Ils sont 117 000 aujourd’hui et seront 300 000 en 2040. Ces travailleurs, pour éviter une double imposition par la France et le Luxembourg, payent, d’un commun accord avec le gouvernement français, leurs impôts directement au Luxembourg.

Le Luxembourg garde jalousement ces impôts et choisi de ne rien reverser à la France. Enfin presque. Pour faire bonne figure, la France et le Luxembourg ont mis en place ce qu’ils ont joliment appelé, un modèle de « codéveloppement ». C’est-à-dire que sur certains projets, choisis par les deux parties (autoroutes, transports parkings…), la France et le Grand-Duché partagent les financements.

Si on résume : la France ne perçoit pas l’impôt, se fait aspirer sa force de travail par le Luxembourg, et doit néanmoins financer de moitié des projets d’intérêt transfrontalier ? Le codéveloppement, tel qu’il est mis en place, est à minima plus favorable au Luxembourg qu’à la France, et à maxima, parfaitement injuste et inégalitaire.

Face à cette situation criante d’injustice, la France, son chef d’État et son gouvernement courbent le dos. Les ministres de l’Économie et des affaires étrangères successifs se satisfont même de cette situation, encensant le codéveloppement et la coopération avec le Luxembourg, sans jamais prendre en compte la santé financière des communes frontalières.  

Le départ face à la paupérisation

Pourtant, outre les témoignages humains et budgétaires de la misère, ce sont les paysages qui frappent le regard. Les communes à la frontière se transforment au fil des ans en cités dortoirs, où se mêlent la précarité des privés d’emplois, des anciens ouvriers des aciéries, et l’aisance financière de celles et ceux qui ont choisi de traverser la frontière pour subsister.

La population, déjà précarisée par la disparition des usines, se paupérise d’autant plus face au Grand-Duché et au manque à gagner que les communes subissent du fait de la complaisance des dirigeants français face à l’injustice. Les maires ne peuvent plus renouveler leurs parcs locatifs, ni entretenir comme ils le souhaiteraient leurs services publics. Les travailleurs partent, souvent à contre-cœur.

En effet, chaque année, des dizaines de médecins, infirmiers, professeurs, décident (non sans mal pour certains) de partir travailler au Luxembourg. Qui pourrait leur en vouloir ? Alors qu’Emmanuel Macron saccage l’école, l’hôpital et l’ensemble des services publics depuis maintenant 7 ans, ils et elles cherchent une juste reconnaissance de leur métier, et de leurs compétences.

Les travailleurs frontaliers ne sont pas à blâmer : aux prix exorbitants de l’immobilier dans ces territoires, au délitement des services publics et au chômage de masse, ils préfèrent traverser la frontière et aspirer à un traitement humain et salarial plus digne. C’est un système qui se nourrit de lui-même, que les gouvernements français et luxembourgeois continuent d’alimenter.

Un autre modèle est possible

Mais comme toujours, un autre modèle est possible. Vivre à la frontière des ultras-riches ne condamne pas nécessairement à la pauvreté et au délitement des services publics. Il existe quelque part, un modèle qui fonctionne mieux : celui de Genève. Dans la convention fiscale qui lie la France et Genève, les français qui y travaillent payent également leurs impôts à la ville suisse.

Mais la différence réside dans ce qu’il en est fait : après avoir perçu l’impôt, Genève reverse l’équivalent de 3,5% des salaires bruts des frontaliers français à la France. C’est la Rétrocession Fiscale. Une partie de ces sommes est versée à l’État et l’autre distribuée équitablement aux collectivités, au prorata du nombre de frontaliers. Ainsi, la France et Genève continuent de financer des projets en commun, mais dans des dispositions plus équitables. Les collectivités sont moins pauvres, le chômage y est moins fort et les services publics fonctionnement mieux. Une solution simple, qui tombe sous le sens.

Solution qui tombe d’autant plus sous le sens que le PIB de Genève est largement inférieur à celui du Luxembourg. Le paradis fiscal pourrait-il se le permettre sans égratigner ses finances ? Oui, sans aucun doute. Si l’on rapportait le modèle franco Genévois à la situation avec le Luxembourg, c’est aujourd’hui 185 millions d’euros qui pourraient revenir à l’État français et aux communes frontalières chaque année. Une goutte d’eau dans le pays aux 24 milliards d’euros de recettes. Recettes d’ailleurs largement dues au travail des frontaliers, qui représentent aujourd’hui 25% de sa force de travail.

De l’urgence d’une rétrocession fiscale

Finalement, à problème complexe, solution simple. Pour lutter contre les inégalités causées par l’accaparement des richesses, il faut rétrocéder. Pourtant, le gouvernement français n’a jamais évoqué la question avec le Luxembourg. Les ministres successifs refusent l’idée même de la mise en place d’une rétrocession fiscale. « C’est contraire aux règles de l’OCDE » disent-ils. C’est faux, puisque Genève le fait.

On pourrait aisément croire que l’inaction gouvernementale relève de l’incompétence, mais il n’en est rien. C’est une question de volonté politique et de projet idéologique. Lorsqu’il s’agit de faire des économies, et d’augmenter les recettes, Emmanuel Macron et ses ministres choisissent d’aller chercher l’argent dans les poches des pauvres, en continuant à appauvrir les communes frontalières qui supportent pourtant les couts de transport, d’hébergement et de formation des travailleurs frontaliers, ou encore en durcissant les conditions du chômage.

Ils refusent d’aller chercher l’argent là où il est. À l’image de son comportement face aux actionnaires ou aux superprofits, il laisse les plus gros s’enrichir, courbant le dos devant l’aisance financière et enchainant les justifications pour s’assurer d’un soutien politique et financier.  

Pour aller plus loin : Désintox : « trop de taxes » ? 4,5% d’impôt pour le CAC 40, 25% pour les PME

Faire entrer le sujet sur la scène politique

Alors quelles solutions ? Les élus, associations et députées du Nord Lorrain se mettent en ordre de bataille pour imposer le sujet au gouvernement et lui faire changer sa position. Petit à petit, à mesure que leurs dépenses augmentent et que leurs recettes diminuent (notamment depuis la suppression de la taxe d’habitation) certains élus rejoignent la bataille. Certains députés luxembourgeois soutiennent également la revendication.

En été 2024 se tiendra une énième conférence intergouvernementale. La France et le Grand-Duché vont y discuter des termes de la coopération. Si le sujet de la rétrocession fiscale n’y est pas abordé, elle sera un échec. Les élus essaient de faire monter le sujet sur la scène politique, pour que chacun s’en empare et interpelle les ministres.

Bruno Le Maire est prévenu : s’il n’impose pas le sujet de la compensation financière au Luxemburg, ce sont 185 millions d’euros qui vont se perdre dans les caisses d’un paradis fiscal. Et ça va se savoir. Pour celui qui prétend vouloir faire des économies et inverser la courbe du chômage, sa soumission aux intérêts financiers serait de nouveau exposée. La question est simple : le gouvernement va-t-il agir, ou continuera-t-il à courber l’échine ?

Par Romane Mayer