« Je voudrais qu’ils se rendent compte qu’il y a des gens qui meurent quand on ne s’en occupe pas » déclarait il y a quelques jours la mère de Lucas, 25 ans, décédé aux urgences faute de prise en charge et après avoir attendu plus de 8 heures à l’hôpital de Hyères. Comme Lucas, ils sont de plus en plus nombreux à mourir à l’hôpital, tués par l’inaction politique et malgré les alertes répétées, sans cesse, des soignants qui décrivent un « enfer ».
Tous font le même constat : l’hôpital public est saturé et son personnel épuisé par des années de néolibéralisme. Les néolibéraux ont saccagé méthodiquement un système de santé en tête de classement mondial, réputé pour sa qualité et par la boussole de l’immense sécurité sociale. Sous Macron, et le discours de Gabriel Attal le confirme, ce saccage s’est accélérée et va en s’accélérant encore davantage avec l’idée de transformer la santé en vaste marché.
Le chef de l’État a supprimé 21 000 lits d’hôpitaux en 5 ans. Un carnage. Au nord de Paris, le projet de fermeture des hôpitaux de Beaujon et de Bichat n’est toujours pas enterré, du fait d’un entêtement du pouvoir. L’insoumission revient sur ce symbole de la casse de notre système hospitalier, menée par le camp présidentiel. Notre article.
Fermeture de Beaujon et Bichat : un pas de plus vers la privatisation du système hospitalier
Le projet de l’APHP consiste en la suppression des hôpitaux de Beaujon à Clichy et de Bichat à Paris (18ᵉ arrondissement), et la création d’un nouvel hôpital. Ce dernier rassemblerait – partiellement – les activités médicales et chirurgicales de ces deux hôpitaux à Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis.
S’il aboutit, ce projet aura non seulement pour conséquence la perte pour le bassin de population concerné de ses hôpitaux de proximité, mais également la suppression de 1 000 postes de soignants et de 500 lits ainsi que la réduction du nombre de places en ambulatoire et de naissances pouvant être accueillies, en comparaison aux capacités actuelles des deux hôpitaux. Ce projet va ainsi à rebours des besoins de santé publique et des constats qui ont émergé de façon prégnante pendant la crise du Covid-19 : la France a besoin de plus de lits, de plus de soignants, et d’hôpitaux de proximité mieux répartis sur le territoire.
Ce même constat a été souligné par le tribunal administratif de Montreuil dans sa décision du 10 juillet 2023 d’annuler la déclaration d’utilité publique du projet. La raison ? La diminution non compensée de l’offre de soin qu’il entraînerait dans un territoire pourtant marqué d’importantes inégalités de santé et d’un accès à la médecine libérale inférieur à la moyenne nationale. Si les travaux sont suspendus en l’attente d’une nouvelle enquête publique, qui a lieu actuellement et se terminera le 4 mars, force est de constater l’entêtement de l’APHP, du Préfet et de nos décideurs politiques (dont les maires de Saint-Ouen et de Clichy. Tous continuent de soutenir ce projet mortifère pour des raisons de rentabilité financière.
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Casse de l’Hôpital ou la création d’un véritable « marché hospitalier »
Car en ligne de mire, l’objectif inavoué de ce projet est celui d’une privatisation de notre bien commun, la santé, et d’une marchandisation de l’hôpital public. D’abord, dans les enceintes mêmes du futur hôpital, dont la gestion serait pénétrée par une logique managériale : pour palier la suppression de plusieurs centaines de lits, le projet prévoit de créer un hôtel au sein même de l’établissement, qui serait géré par une structure privée d’hébergement.
Cette configuration – bien que déjà présente actuellement dans les hôpitaux Beaujon et Bichat depuis respectivement 2 et 6 ans – est fortement questionnable sur le plan de la qualité de l’accueil des patients, qui ne seront pas sous surveillance et qui devront être rapatriés à l’hôpital en cas de problème. De plus, elle est contestable sur le plan de la gestion de nos deniers publics, puisque la sécurité sociale sera contrainte de payer une structure privée et lucrative au lieu d’un établissement public.
Ensuite, la privatisation de notre système de santé, dont le projet de l’hôpital Paris-Nord n’est que l’un des nombreux symptômes, ne peut se comprendre sans analyse croisée avec les politiques foncières locales. Car derrière chaque projet de suppression, fusion ou délocalisation d’un hôpital, il existe un terrain, faisant très souvent l’objet de nouveaux projets d’investissement et d’architecture. Cela est d’autant plus vrai en Région parisienne où la spéculation immobilière est telle que la convoitise de ce genre de terrains par les investisseurs privés en est d’autant renforcée.
À Clichy, le projet d’installer des appartements/lofts au sein de l’hôpital Beaujon a été évoqué dès 2016. Le Mairen Rémy Muzeau (Les Républicais), néglige dans sa ville le parc de logements sociaux existant tout en cédant régulièrement des parcelles de terrains à des promoteurs immobiliers réalisant de juteuses opérations. Cela rappelle fortement la vente en 2022 par l’APHP du terrain « Renouillers », situé en bordure de l’Hôpital Louis-Mourier, au promoteur Interconstruction en vue d’y développer un programme de logements.
Ces constats sont d’autant plus aberrants que le projet de l’hôpital Paris-Nord ne présente pas d’atout sur le plan financier et de bonne gestion des deniers publics. Quand bien même cet élément est fréquemment utilisé par les décideurs politiques pour justifier de tels projets : alors que la création du nouvel hôpital Nord coûtera aux alentours de 1,5 milliard d’euros, la rénovation des hôpitaux de Beaujon et de Bichat, elle, ne coûterait que 500 millions d’euros. Avec ce projet, il y aura donc moins de lits et une qualité d’accueil diminuée pour un coût pourtant trois fois supérieur – et tout cela au bénéfice du secteur privé, grand gagnant de l’opération.
Un projet néo-libéral dans la droite lignée de la politique de Macron
Le projet de l’hôpital Paris-Nord n’est pourtant que l’un des nombreux symptômes de la privatisation insidieuse, progressive mais totale de notre système de santé, amorcée dès les années 1980 avec l’introduction du New Public Management dans la gestion des hôpitaux qui marque la fin du compromis non-marchand d’après-guerre via une modification de l’organisation de l’hôpital selon les modalités du privé.
À cette « managérialisation » s’est ajoutée par la suite, dans les années 2000, une « marchandisation », soit l’introduction d’une logique de rentabilité marchande dans les actes de soins, symbolisée par la tarification T2A, ou les indicateurs de performance. L’arrivée au pouvoir de Macron n’a fait qu’accélérer ce tournant, notamment avec le « virage ambulatoire » du plan « Ma Santé 2022 » qui cherche à raccourcir le temps de séjour des patients.
Les gros pôles hospitaliers à la pointe de l’innovation technique, dont l’hôpital Paris-Nord ferait partie, poursuivent quant à eux cette même logique de rentabilité financière, d’industrialisation et de concurrence (notamment pour attirer des médecins), à la manière d’un véritable « marché » de la santé publique. In fine, ces projets nous rapprochent chaque jour d’un système hospitalier très technicisé et déshumanisé, incapable de prendre en compte des besoins de la population et niant la vocation sociale de l’hôpital. D’autres projets similaires sont en cours, à l’instar du nouvel hôpital du plateau de Saclay qui ouvrira en 2024 et qui résulte de la fusion de trois hôpitaux (Orsay, Juvisy et Longjumeau).
La création d’un marché hospitalier, logique à laquelle répond le projet de l’hôpital Paris-Nord, est incompatible avec la santé publique et la solidarité collective, qui doivent reposer sur un bien commun financé par la nation et placé hors des lois du marché. Au-delà de l’hôpital public, c’est notre économie toute entière que nous devons repenser pour faire face à la crise multidimensionnelle du service public : il faut créer une véritable économie au service des besoins.
Par Léa Druet-Faivre