Enseignants. « Le point de rupture est atteint ». Telle est l’alerte du premier syndicat de l’enseignement primaire en France, le FSU-SNUIPP, lequel a déposé près de 102 alertes sociales pour dénoncer la situation « explosive » dans les écoles. Classes surchargées, manque de moyens, de remplaçants, surcharge administrative, les conditions de travail dans l’Éducation nationale se dégradent à grande vitesse. Résultat ? En 2022, 2836 enseignants ont démissionné.
Le sujet de la revalorisation de leurs salaires a fait couler beaucoup d’encre, et a causé beaucoup de bruits pour presque rien. « De manière inconditionnelle, il y aura une revalorisation d’environ 10% des salaires des enseignants et il n’y aura plus de démarrage de carrière sous 2000 euros par mois. Donc je veux dire ici très clairement que ce n’est conditionné à absolument rien. » Ces mots, prononcés le 20 avril 2022, ne sont pas ceux d’un syndicaliste, mais bien d’Emmanuel Macron, alors candidat à la présidence de la République, lors du débat de second tour l’opposant à son assurance-vie, Marine Le Pen.
Si ce sujet occupe alors un bon moment d’un débat aussi important, c’est que la problématique a été mise en lumière lors du mouvement de lutte contre la réforme des retraites de 2019. Souvenez-vous : les personnels de l’éducation nationale auraient perdu énormément de retraites avec la réforme voulue par Edouard Philippe, dans un contexte où leurs salaires étaient inférieurs à la moyenne de l’OCDE. Le coupable : le blocage des salaires, grignotés peu à peu par l’inflation, au point que le SMIC finisse par rattraper les débuts de carrière. Comme le dit le syndicat SNES-FSU dans un communiqué de 2019 : « En 20 ans, les professeurs ont perdu l’équivalent de 2 mois de salaire par an ».
De fait, la grille de salaire de certaines catégories les place en dessous du SMIC, au point qu’une prime d’ajustement au SMIC leur est accordée. C’est le cas notamment des AESH qui ont les pires salaires de l’éducation nationale (et dont le salaire reste tassé malgré les années d’ancienneté), ou des assistants d’éducation… Toujours est-il que, lorsque le chef de l’État annonce de fortes augmentations de salaires, en contexte de forte inflation, c’est du flan. Notre article.
Une augmentation qui revient à une baisse de pouvoir d’achat pour les enseignants
La revalorisation inconditionnelle de 10% s’est transformée en une revalorisation de 3,5% (inflation de 5,2) en juillet 2022, et de 1,5% (pour une inflation de 4,5%) en juillet 2023… Pas besoin d’être prof de maths pour se rendre compte qu’on est loin des 10% promis, et encore plus loin du rattrapage de décennies de rabotage. Résultat : une perte de pouvoir d’achat pour les profs, avec des salaires qui ne sont pas indexés sur l’inflation.
Pour aller plus loin : Les profs ont perdu 15 à 25% de salaire en 20 ans, selon un rapport du Sénat
Et ce n’est pas l’augmentation de l’ISOE qui viendra améliorer les choses. Les syndicats le pointent bien : les primes atteignent un montant important en début de carrière, mais diminuent par la suite, freinant des quatre fers les augmentations de salaire liées à l’ancienneté (De 23,2% la première année, elles passent à moins de 6% en fin de carrière). Autre problème : les primes ne rentrent pas dans le calcul de la pension, et ne sont pas versés lors d’un congé maladie.
Et le reste de l’augmentation alors, nous direz-vous ? Le camp présidentiel a concocté un bon plan comme il en a l’habitude, lui qui n’aime pas vraiment le statut de fonctionnaire et aimerait bien en finir avec un statut qui « protège trop ».
Un pacte avec la contractualisation
Ce n’est pas un secret que les néolibéraux veulent en finir avec le fonctionnariat. Après avoir réduit le nombre de postes aux concours, avoir recours de plus en plus aux contractuels, il fallait s’attaquer à ceux qui sont déjà en poste.
La réforme PACTE a été faite pour cela : proposer en carotte un surplus de salaire, et y attacher du travail supplémentaire. Les missions proposées sont avant tout le remplacement de courte durée (RCD), soutien scolaire (devoirs faits), École ouverte (école pendant les vacances scolaires), projets « d’innovation pédagogique »…
Tout a été fait pour maquiller au mieux possible le plat immangeable que cela est : de nombreux chefs d’établissements ont dit aux personnels concernés que le remplacement serait fait avec l’accord du concerné, que le personnel ne ferait que la mission pour laquelle il avait signé.
Or, les textes sont tombés en plein milieu des vacances : l’engagement pour du remplacement crée une astreinte dont on ne peut s’affranchir que pour les motifs habituels d’absence, un contrôle avec arrêt des versements est introduit et les missions peuvent être changées du fait des « besoins du service ». Le détail des missions ne laisse aucun doute (mise en œuvre du SNU, devoirs faits, « classes engagées, découverte des métiers…) : le Pacte est un outil de mise en œuvre du projet macroniste de tri entre les élèves.
C’est d’une logique de contractualisation qu’il s’agit, quand c’est le chef d’établissement qui est amené à définir les priorités, selon les urgences ministérielles, et non sur la base de programmes ou de fonctions. Avec la rédaction de rapport d’activité, et la possibilité de se voir refuser une mission, les chefs d’établissement seront donc libres d’attribuer à leur bon vouloir des « parts fonctionnelles » (nom de la rémunération d’une mission) ou de la retirer. On est loin du fonctionnaire concepteur de son activité. On passe du service au public, au service au chef.
Du temps de travail allongé
Alors que les professeurs se sont battus pour ne pas allonger le temps de travail tout au long de la vie avec une énième contre-réforme des retraites, ce « pacte enseignant » était l’étape suivante voulue par l’Élysée. Il s’agit de faire reposer toujours plus de travail, toujours sur les mêmes personnes, à l’heure où, selon l’INSEE, le temps de travail moyen des enseignants est de 43h par semaine.
Les missions données par le Pacte correspondent à un nombre d’heures, fixé par la note de service du 20 juillet : 18h pour le remplacement de courte durée, 24h pour la plupart des autres missions… Elles viendront donc alourdir la charge de travail pour espérer augmenter le niveau de vie des enseignants et personnels de l’éducation.
Faire peser plus de tâches sur les mêmes personnes, c’est la recette macroniste pour dépenser moins. Cela lui a permis de supprimer de nombreux postes : 8381 depuis 2017, 1500 à la rentrée 2023. Comment s’étonner, dès lors, que, faute de remplaçants, on ne puisse remplacer les enseignants ? En plus d’alourdir le temps de travail des enseignants, Pacte vient aussi leur faire porter le chapeau du manque de remplaçants.
Lutter toutes et tous ensemble pour une éducation de qualité et des personnels respectés
De nombreux enseignants ont compris les enjeux de ce pacte, et ont refusé de signer. Le ministère tablait sur 30% de personnels pactés, mais les volontaires manquent. L’affluence aux heures syndicales à la fin et au début de l’année scolaire montrent que la mobilisation est possible et peut faire échouer cette réforme. Les insoumis, de leur côté, proposent de supprimer le Pacte et de rediriger les moyens vers des hausses de salaires inconditionnelles. En 2022, Jean-Luc Mélenchon