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A69 – 10 000 personnes pour le ramdam sur le macadam : récit d’une mobilisation réussie

A69. Ce week-end des 21 et 22 octobre 2023 a lieu un week-end intense de mobilisation contre l’autoroute A69 Toulouse-Castres. Un projet symbole d’un capitalisme devenu fou, se résumant en trois points : 400 hectares de terres agricoles et d’espaces naturels ravagés, 17 euros de péage pour gagner 15 minutes de trajet, 23 millions d’euros d’argent public. Grâce à la mobilisation de ses opposants, ce projet d’autoroute est sous les feux des projecteurs médiatiques depuis plusieurs mois.

Depuis avril, tout s’accélère : abattages et poursuite de la lutte. Les « écureuils », [opposants au projet, installés sur les arbres, ndlr] menacés par le bras géant de la machine qui les dévore, retardent le massacre naturel en cours. Mais il reprend le 1ᵉʳ septembre à 0 h 04 à Vendine (Haute-Garonne). Aussitôt, le militant Thomas Brail entame sa grève de la faim, accompagné rapidement par neuf camarades localement, mais aussi quatre militants écologistes au Burkina Fasso. Ils soulèvent le couvercle de silence qui écrase les arguments et les propositions de ceux qui luttent contre l’A69 depuis de longs mois.

Mis sous pression par les grévistes et la mobilisation qui monte dans la société, le gouvernement organise une mascarade de concertation à la sous-préfecture de Castres. Les associations et les collectifs claquent la porte tandis que le mythe de l’unanimité des élus explose. La position du ministre des Transports, Clément Beaune, et de la présidente de la région Occitanie, Carole Delga (PS) est de plus en plus intenable. L’ambiance est créée pour que le weekend de rassemblement et de manifestation « Ramdam sur le Macadam » soit un succès. C’est ce qu’il a été. Récit de notre reporter sur place.

Lutte contre l’A69 : une mobilisation bien encadrée d’un mouvement militant auto-organisé

Tôt le jeudi matin, les camions chargés de tout le matériel débarquent sur le site choisi. C’est à côté de Saïx (Tarn) à quelques centaines de mètres du tracé prévu de l’A69. En quelques heures, les bénévoles installent chapiteaux, barnums, sonorisation, cuisine, bar, toilettes sèches… Les pôles secours et soins, accompagnement psy, violence sexistes et sexuelles, antivalidisme s’organisent.

Des dizaines de bénévoles commencent à préparer les repas. Plusieurs milliers d’assiettes complètes seront servis pendant tout le weekend. Une extraordinaire logistique qui montre la puissance d’un mouvement militant auto-organisé. Les stands des associations, La Voie est Libre, Les Soulèvements de la Terre, No Bitume, les associations naturalistes, etc, s’installeront le lendemain. Et vendredi à midi, le camp est prêt à accueillir les premiers arrivants qui se sont installés sur la zone camping. Elle se couvrira samedi d’une marée de tentes.

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Vendredi soir, première conférence. Karim Lahiani, présente son contre-projet « Une autre voie » élaboré avec un groupe de citoyens du territoire. Ce véritable projet de territoire travaille de nouveaux imaginaires pour engager une réflexion collective sur la transformation de nos modes de déplacement et de développement. Et suit une soirée concerts pour réchauffer les corps et les cœurs en vue de la manif-action du samedi.

Samedi matin. Les manifestants affluent. C’est un flot continu depuis le tout début de la matinée. À midi ont lieu des prises de parole devant une foule compacte. Se succèdent au micro, Geoffrey pour le collectif La Voie Est Libre, Thomas Brail pour le GNSA (Groupe National de Surveillance des Arbres), la militante écologiste Camille Etienne, le collectif Lauraguais sans bitume, la Déroute des routes, Geneviève Azam pour ATTAC, l’ATECOPOLE (collectif de 200 scientifiques toulousains), le syndicat Solidaires… La foule est prête à démarrer la manifestation.

Plusieurs groupes se forment. C’est le cortège bleu, dit « désenclavement », qui constitue le cœur de la manifestation. En tête, les tracteurs de la Confédération paysanne, puis les Insoumis marchent derrière la banderole « Face au changement climatique, la planification écologique ».

Plusieurs députés de La France insoumise sont là, ceints de leur écharpe tricolore : la députée tarnaise, Karen Erodi, et des Toulousains, Anne Stambach-Terrenoir, qui avait remis en main propre au ministre des Transports le projet alternatif proposé par le collectif La Voie Est Libre, François Piquemal, Christophe Beix et Nathalie Oziol. Plus loin, des élus EELV dont Sandrine Rousseau. D’autres cortèges, moins nombreux, doivent le rejoindre pour un regroupement sur la RN 126, celle dont pour laquelle les opposants à l’A69 réclament l’aménagement, au lieu de cette autoroute inutile, destructrice et anti-sociale avec son péage à 17 € l’A/R pour 53 km qui en ferait une des autoroutes les plus chères de France.

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Côté cortège bleu, c’est une manifestation joyeuse, familiale, mais néanmoins déterminée. Les pancartes rappellent l’attachement à défendre une terre nourricière et les slogans conspuent les irresponsables politiques favorables au projet : Clément Beaune, Carole Delga et Christophe Ramond, président du du conseil départemental, qui s’entêtent dans leur vision passéiste.

Près de 10 000 personnes pour dire non à l’A69

Des échos nous parviennent du cortège jaune parait-il bloqué par les forces de l’ordre à la suite de l’action, en marge de la manifestation, d’un groupe qui aurait provoqué un incendie de véhicules dans une cimenterie. Pendant ce temps, un autre groupe a investi la ferme dite de la Crémade, proche du camp de base. Cet ensemble de bâtiments a été exproprié et doit être détruit pour faire place au bitume. Ils n’y commettront donc  aucuns dégâts. Combien de temps tiendront-ils ? Nous le saurons vite.

Au total, c’est près de 10 000 manifestants qui ont convergé sur Saïx ce dimanche pour dire non à l’A69. Les chiffres du Préfet du Tarn, 2 400 manifestants et 2 500 « casseurs » ne font que montrer la fébrilité des autorités face à une mobilisation qui grandit, et qu’ils n’arrivent plus à contenir.

Samedi soir : repas. Le travail extraordinaire des bénévoles doit être salué. Viennent les concerts – de même, les artistes et les techniciens doivent être chaleureusement remerciés. Enfin, repos bien mérité pour tous. Mais ceux qui dorment au camping seront réveillés à 4 heures du matin, puis à 7 heures, par le survol à basse altitude d’hélicoptères, projecteur braqué sur les tentes.

Une tentative d’intimidation venant après les multiples contrôles et barrages qu’ont eu à subir les manifestants. Le tout pour brandir au public la menace que constitueraient les quelques objets confisqués, un fusil à air comprimé, une paire de boules de pétanques et des couteaux de camping.

L’inexorable répression du camp présidentiel

Dimanche 9 heures. Il fait beau. Les « zadistes » sont installés à la Crémade où s’organise l’assemblée des luttes prévue au programme. Des collectifs de toute la France montrent comment des projets qui peuvent paraître éloignés les uns des autres, rassemblés, forment une toile de résistance à la logique mortifère d’un modèle de production et d’échanges qu’il faut radicalement transformer.

La conférence avec les scientifiques de l’Atécopol (Atelier d’écologie politique toulousain) et du collectif « Scientifiques en rébellion », très attendue, se tiendra dans un champ voisin, champ privé qui appartient au même propriétaire que celui où le camp est installé. La conférence débute. Devant plusieurs centaines de personnes, un « scientifique atterré », comme en témoigne son teeshirt, prend la parole pour souligner la légitimité des opposants à ce projet au vu des enjeux climatiques et environnementaux.

Mais au bout d’une dizaine de minutes, tout bascule. Alors que les scientifiques étaient en train de rappeler l’inadéquation de ce projet face aux trajectoires nécessaires pour respecter l’Accord de Paris, et d’expliciter leur positionnement critique face aux pratiques de compensation écologique, sous le bruit croissant d’un hélicoptère de la gendarmerie, les forces de l’ordre (du désordre) interviennent et donnent l’assaut à la Crémade. Quel symbole ! La camp présidentiel fait taire la science.

Et à la fin, ce sont toujours les gaz lacrymogènes

Des militants s’interposent, tentent de parlementer et de s’opposer à l’expulsion des zadistes, ou éteignent les départs d’incendies que les explosions provoquent dans ce champ de chaumes particulièrement sec et inflammable. Rien n’y fait. Premiers tirs de gaz lacrymogènes, les matraques éloignent les premières lignes. Thomas Brail est blessé à la jambe et au poignet. Les gaz lacrymogènes se répandent sur le camp et les détonations des grenades assourdissantes résonnent dans les bâtiments de la ferme. Des tentes sont sauvées de justesse des flammes.

Les fumées atteignent les barnums des secours et du pôle assistance psychologique où se sont réfugiées les familles avec enfants. Nombre de campeurs sont allés porter assistance aux zadistes. En milieu d’après-midi, force est de constater que l’intervention brutale des forces de l’ordre est venue à bout des occupants. On dénombre une trentaine de blessés, mais heureusement aucun gravement. Le calme revient dans une ambiance lourde. Dès le début de l’assaut, plusieurs barnums ont été démontés pour sauvegarder le matériel. C’est ensuite le tour des chapiteaux. Le démontage et le nettoyage du camp se poursuivra ce lundi sous la surveillance des forces du désordre.

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La mobilisation Ramdam sur le macadam a tenu ses promesses. Une mobilisation qui s’amplifie avec plus de participants qu’en avril 2023. Le mur du silence médiatique percé. Le gouvernement dans son obstination aveugle n’a plus que l’usage de la force pour poursuivre son projet. 61 % des habitants des départements concernés souhaitent l’abandon du projet. 82 % sont favorables à une consultation populaire. Seront-ils entendus ? Les collectifs sont bien décidés à poursuivre la lutte et sortent encore plus déterminés de cet épisode mais le Tarn ne veut pas revivre le drame de SIvens. La balle est dans le camp du gouvernement.

Par Bernard Cordier

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