Israël-Palestine. « Crime de guerre « ou « terrorisme » ? Poser la question aujourd’hui parait hautement déplacé au regard de la catastrophe humanitaire à Gaza. Danger de « nettoyage ethnique » dénoncé par l’ONU, bombardements d’hôpitaux, écoles et autres infrastructures civiles, siège complet, bombes au phosphore : les crimes de guerre de l’armée israélienne s’enchaînent, jour après jour. Il y a pourtant une semaine, juste après les crimes de guerre du Hamas sur le sol israélien, la question a été posée et reposée sur tous les plateaux : « terrorisme » ou « crime de guerre » ? Si aujourd’hui le niveau d’intensité du débat entre les deux termes a baissé au fur et à mesure que la situation à Gaza a empiré, cette séquence fut révélatrice.
Ce bavardage alimenté par le pilonnage médiatique a voulu faire passer à l’arrière-plan les appels au cessez-le-feu et à la paix portés par les insoumis dès le premier jour. Pour avoir condamné les crimes de guerre, les insoumis ont été accusés d’être « ambigus », voire même d’être « complices » du Hamas. Pourquoi ? Car ne pas utiliser le terme « terrorisme » reviendrait à refuser la justification des massacres et des représailles en série de l’armée israélienne. Ce serait à l’encontre du « soutien inconditionnel » à l’État d’Israël défendu par la quasi-totalité de la classe politique et médiatique, à l’exception des insoumis et quelques autres.
Parler de « crimes de guerre », c’est parler le langage du droit international, celui de la paix et de l’ONU. C’est aussi permettre la poursuite des auteurs des crimes devant la Cour pénale internationale, pour les juger et les condamner. En cela, l’imputation de crimes de guerre est bien plus grave que celle de « terrorisme ». Ce dernier terme vise à internaliser le conflit, à taire son historique, à le réduire à un combat entre le bien et le mal et à effacer la question centrale de la reconnaissance d’un État palestinien qui est au cœur du conflit en cours. Notre article.
À l’inverse du « crime de guerre », le « terrorisme » n’est pas un concept juridique en droit international
Comme le rappelle notamment Julia Grignon – professeure de droit international à l’Université de Laval et directrice de recherche à l’IRSEM – il existe quatre crimes majeurs en droit international humanitaire : le crime d’agression ; le crime de guerre ; le crime contre l’humanité ; et le crime de génocide. Cela signifie en d’autres termes que pour être jugée et condamnée sur la scène internationale – en l’occurrence par la Cour pénale internationale (CPI) –, toute exaction doit être imputée de l’une de ces qualifications juridiques précises.
Le terme de « terrorisme », de son côté, ne bénéficie d’aucune définition juridique internationale. Chaque État en a sa définition. Par ailleurs, le Conseil de sécurité de l’ONU n’a reconnu comme organisations terroristes que deux groupes : Daesh et Al-Qaïda.
C’est ainsi que Johann Soufi – avocat international, ancien procureur international en Ukraine et chef du bureau des affaires juridiques de l’agence de l’ONU pour les réfugié·es de Gaza – évoque une « instrumentalisation politique généralisée [du terme de terrorisme] au niveau international ». Il considère, comme le fait par ailleurs Julia Grignon, qu’une telle qualification n’apporte rien en termes de droit international.
Omar Kamel – professeur de droit international public et de conflits armés à Sciences Po Paris – et Marco Sassoli – professeur de droit international public à l’Université de Genève – reconnaissent, eux aussi, la dimension fondamentalement politique du terme « terrorisme ».
Israël-Palestine – « Crimes de guerre » plutôt que « terrorisme » : la seule boussole doit être celle de l’ONU et du droit international
De cette opposition juridique entre « crimes de guerre » et « terrorisme » est issue la position officielle de l’ONU. Ainsi, comme elles l’avaient déjà fait à l’occasion d’un rapport sur l’opération « Plomb durci » de 2009, les Nations Unies ont publié ce 10 octobre un communiqué qualifiant et condamnant comme crimes de guerre certaines des actions commises par les deux principales parties au conflit.
En conséquence, et parce qu’elle veut que puissent être jugées et condamnées toutes les exactions commises en Israël et à Gaza, La France insoumise utilise le seul vocabulaire susceptible de le permettre : le vocabulaire du droit international et de l’ONU elle-même.
Les chiens de garde des plateaux de télévision peuvent bien continuer à hurler en meute et à attribuer à LFI des positions qui ne sont pas les siennes. Mais les insoumis s’attachent à qualifier les récents évènements au Proche-Orient par l’imputation la plus grave du droit international, précisément pour ne lui soustraire aucune attaque susceptible d’avoir engendré des victimes civiles, et pour qu’Israël et le Hamas, chacun accusé sur la base d’une même qualification juridique, puissent être jugés sur le même plan.
En ouvrant la voie à des condamnations pénales internationales et contrairement à ce que veulent faire croire les perroquets de la droite et de l’extrême droite, la qualification de crime de guerre est en fait plus grave que celle de terrorisme.
L’usage du terme de « terrorisme » est incompatible avec la position historique de la France et avec une résolution diplomatique du conflit
L’usage du terme de « terrorisme » pour qualifier les récents évènements du Proche-Orient relève d’une dimension bien davantage politique que juridique. Il constitue ainsi un obstacle colossal à une sortie diplomatique du conflit, et à la perpétuation de l’indépendance historique de la France sur la scène internationale.
Parce qu’il place le débat sur le terrain d’une opposition entre le Bien et le Mal, l’usage du terme de terrorisme permet de justifier des cycles de représailles indiscriminées, en même temps qu’il place d’office celui qui l’utilise du côté de l’un ou de l’autre des belligérants.
Or, un tel positionnement est par nature incompatible avec une sortie diplomatique du conflit. Si la France a dans son histoire été une voix puissante de la scène internationale, une nation non-alignée porteuse de paix, c’est précisément du fait de son indépendance et d’une voix singulière portant sur le respect du droit international.
Loin des caricatures et des insultes, c’est donc bien parce qu’ils n’ont d’autre horizon que le cessez-le-feu et que la paix entre les peuples, que les insoumis s’astreignent à s’exprimer dans le strict cadre du droit international. Oui à la diplomatie, oui à la paix, non au droit à la vengeance.
Si prompts à exiger de LFI leur vocabulaire étriqué, les chiens de garde des plateaux le seront-ils autant pour condamner le déluge de bombes sur Gaza ?
Les insoumis se sont prononcés clairement en condamnant tous les crimes de guerre, quels qu’en soient leurs auteurs. Mais les médias et quelques autres partis politiques qui font la leçon sont-ils prêts à en faire de même ? Sont-ils prêts à condamner avec la même vigueur le déluge de bombes qui s’abat sur Gaza et ses habitants, sur ses hôpitaux, sur ses écoles ? Sont-ils prêts à condamner les actions d’un gouvernement d’extrême-droite qui prive d’eau, de nourriture et d’énergie 2 millions de civils pris au piège d’une prison à ciel ouvert ?
Pour aller plus loin : « Éradiquer Gaza mais aussi LFI » : l’arc des faiseurs de guerre contre les défenseurs de la paix
Ou alors, comme on l’entend de la bouche de certains, considèrent-ils ces crimes de guerre aux insupportables accents d’épuration ethnique comme un simple droit à la riposte ?
Une chose est sûre, ailleurs dans le monde et jusqu’au plus haut de la diplomatie israélienne à l’ONU, un tel débat sémantique n’a pas lieu. L’usage du terme de « crimes de guerre » fait largement consensus.
En France en revanche, ceux qui s’en prennent aux insoumis sur la base de positions fantasmées, n’ont rien à faire du sort des Israéliens, et peut-être encore moins de celui des Palestiniens. Cette infâme instrumentalisation de crimes de guerre a pour but, une fois de plus, de placer la France insoumise en dehors de leur « arc républicain », d’en convaincre certaines franges de la gauche bourgeoise, et d’y faire entrer le Rassemblement National à sa place.
La position de LFI est claire et conforme à la position de l’ONU : cessez-le-feu immédiat et solution à deux États. Les insoumises et les insoumis ne cèderont donc rien aux pressions qui s’exercent sur eux. Car en définitive, et pour reprendre les mots de Jean-Luc Mélenchon, « la charge contre LFI est un prétexte. Un liant de circonstance. Le programme commun des faibles ».
Par Eliot