La Réunion

Obésité, précarité, défense de la cuisine locale : à La Réunion, la lutte contre la prolifération des fast-foods

La Réunion enregistre le plus fort taux de diabète en France (10%). Près de 44% de la population de l’ile est en surpoids ou obèse. Plusieurs facteurs l’expliquent dont la prolifération des fast-foods qui pose un véritable sujet de santé publique localement. Les insoumis du Tampon et de l’APRES (Alliance pour une Réunion écologique et solidaire) ont décidé de prendre les choses en mains pour lutter, entre autres, contre ce fléau en créant le collectif « Goutanou ». La lutte contre la précarité et la défense de la cuisine locale motivent également leur lutte. Très vite, ils ont été rejoints par d’autres collectifs comme la Réunion plus verte, le PLR, EELV, ATTAC Réunion et Greenpeace, reliés par leur inquiétude commune et grandissante face à la prolifération exponentielle des grandes enseignes de fast-food sur l’île.

Baptisé en référence au regretté Christian Antou, cuisinier, ardent défenseur de la cuisine créole, et président de l’association du même nom, le Collectif Goutanou est une belle réussite de « zembrocal réunionnais » (un plat, emblème de la société réunionnaise, où chaque aliment garde son goût tout en étant mêlé aux autres dans la marmite, ndlr). Il fédère des organisations et des sympathisants d’horizons divers, aux sensibilités et inquiétudes plurielles, qu’elles soient d’ordre économique, social, écologique, sanitaire, ou encore culturel. Cette mobilisation s’est construite autour de deux grandes lignes directrices : la protection et la valorisation de la cuisine traditionnelle réunionnaise et la lutte contre la prolifération des fast-foods.

Dans la ville de Saint-Pierre, l’ouverture récente de deux nouveaux établissements de ces « géants de la restauration rapide », en quelques semaines, et à proximité (Pour l’un à moins de 400 mètres d’un établissement de la même enseigne) de ceux existants déjà, a alerté les membres du collectif sur l’impérieuse nécessité d’agir face à cette « colonisation alimentaire » caractérisée par une uniformisation du goût et une standardisation des produits – en grande majorité importés. Notre article.

Imposer la question de la prolifération des fast-foods dans le débat public

Il fallait imposer le débat dans la sphère publique en lançant un appel à des personnalités réunionnaises ; interpeller les maires sur leur position quant à la prolifération de ces « multinationales de la malbouffe » par le biais de lettres ouvertes, et organiser un événement festif – un pique-nique partage traditionnel avec des ateliers autour de la « cuisine lontan » -pour la dimension éducation populaire

150 personnalités issues du milieu artistique, culinaire, sanitaire, agricole, universitaire, sportifs, ont co-signé cet appel aux côtés d’organisations politiques, associatives et syndicales. Cela a permis un certain retentissement médiatique, et par conséquent,
d’imposer cette problématique comme véritable sujet de société. Le succès de la pétition mis en ligne à la suite de l’appel – qui compte aujourd’hui plus de 2000 signataires – montre, s’il était nécessaire, que ce combat est aussi fédérateur qu’essentiel sur une île qui a déjà vu
les limites – et les dangers – d’un système basé sur le « tout-import » pendant le Covid et le début de la guerre en Ukraine.

La prolifération des multinationales du fast-food ou l’autre visage du libéralisme sauvage

À l’image des plantes exotiques, dites invasives, qui font disparaître les espèces indigènes ou endémiques, les multinationales de la restauration rapide colonisent le territoire et risquent, tant de faire disparaître les artisans-restaurateurs et l’art culinaire réunionnais, que d’impacter fortement la filière agricole. Les fast-foods s’inscrivent, en effet, dans une logique de standardisation, d’importation massive des matières premières, et s’opposent ainsi à une démarche de valorisation de la production locale – petits producteurs, agriculteurs et artisans locaux – qui constitue pourtant le cœur de l’économie réunionnaise.

Cette marginalisation de la production locale, non seulement prive nos concitoyens d’une alimentation de qualité, mais elle menace également les moyens de subsistance de nombreux ménages qui dépendent de l’agriculture, de la production et de l’artisanat local. L’argument de création d’emplois – argument phare de ces mastodontes, mais aussi de certains maires – est quant à lui une chimère.

Tout d’abord parce que bien souvent, ces géants du fast-food remplacent des restaurants « traditionnels » déjà existants (comme dans les deux dernières installations à St-Pierre). Ensuite parce que sur la totalité des emplois promis, une grande partie est en réalité des remplacements de postes déjà existants liés à un turn-over particulièrement exacerbé. La création d’emplois serait donc à mesurer à moyen terme : combien d’emplois perdus par la fermeture de petites structures de restauration ?

La question de la « qualité » de l’emploi se doit aussi d’être posée. Là où des « petits restaurateurs » auront plus tendance à fidéliser leurs employés par des CDI notamment face à la pénurie de personnel qualifié dans la restauration, les géants des fast-foods proposent des emplois précaires, mal rémunérés, aux temps de travail discontinus, souvent proposés à des étudiants ou des jeunes sans formation. Aussi nombreux ces derniers fussent-ils, la « macdoïsation des emplois » ne peut être considérée comme une solution de long terme mais doit être plutôt perçue comme une poudre de perlimpinpin utilisée par certaines communes pour tromper quelques temps les chiffres du chômage.

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Slogan inspiré par l’artiste Danyel Waro monument de la musique locale. Néologisme qui peut se traduire par « dé-macdoisez votre/vos estomacs/papilles/habitudes alimentaires »

La (libre) concurrence, tant vantée – si ce n’est érigée en valeur absolue du libéralisme – , est pourtant déloyale : les forces en présence sont fortement inégales. Outre les économies d’échelle, les moyens publicitaires engagés par les multinationales de la restauration rapide font que, quotidiennement, ces enseignes sont sur-représentées dans l’environnement sonore et visuel, avec un effet particulièrement néfaste chez les enfants. Évidemment, il est important de souligner qu’à La Réunion, comme dans d’autres territoires relativement épargnés jusque-là, les fast-foods correspondent à un exotisme, une nouveauté attrayante et un terrain d’affirmation pour une partie de la population, en particulier les jeunes.

Et c’est bien parce que le choix du collectif a toujours été, depuis le début, de ne pas culpabiliser le consommateur, que Goutanou lutte contre la prolifération, et non l’interdiction, de ce genre de grandes enseignes. La question n’est donc pas de condamner des comportements individuels mais plutôt de rechercher, collectivement, les moyens à mettre en œuvre pour réguler ces implantations et freiner cette alarmante prolifération exponentielle.

Obésité, surpoids : quand le néolibéralisme nous rend malades

La Réunion contient le plus fort taux de diabète en France (10%). De plus, 44% de la population est en surpoids ou obèse. Ainsi, prolifération des fast-foods pose un véritable sujet de sujet publique localement. « C’est parce qu’elle est confrontée à de plus en plus d’élèves en mauvaise santé que Clara, infirmière scolaire, a rejoint le collectif [Goutanou] », écrit Reporterre. « La vraie cuisine créole n’est pas trop riche, il y a des protéines et beaucoup de légumes. La viande, nos anciens n’en mangeaient qu’une fois par semaine ! », explique-t-elle.

Pour rappel, la malbouffe est la cause principale des épidémies de diabète et d’obésité. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que l’obésité cause la mort de 2,8 millions de personnes par an dans le monde. En France, sa diffusion dans la population a doublé depuis 1997. « La malbouffe en général est caractéristique des discordances de temps de notre époque. Un fait social récent, le capitalisme financiarisé de l’industrie du sucre, rencontre un fait biologique multimillénaire, notre goût pour le sucre, et provoque un renversement de situation : un appétit utile devient malsain. », écrit Jean-Luc Mélenchon dans son livre Faites mieux !

Les maires : levier ou frein à l’implantation de ces multinationales de la restauration rapide ?

Indéniablement, la puissance publique a les moyens de réguler par la réglementation. Elle le fait tous les jours dans différents domaines et notamment dans le commerce. Les maires disposent déjà de certains outils comme l’article 11 du Code de l’urbanisme, mais il est nécessaire que le cadre législatif donne plus de pouvoir au maire, à travers le PLU notamment, pour qu’il puisse s’opposer à la prolifération, en particulier dans des zones emblématiques comme les zones isolées (les cirques), les centres villes et/ou les fronts de mer.

« Dérouler le tapis rouge ou mettre des bâtons dans les roues » : voilà le choix qui s’offre aux
maires. Le combat du collectif Goutanou sera donc, à la fois d’inciter les édiles à utiliser tout l’arsenal réglementaire dont ils disposent déjà, et de proposer, aux parlementaires nationaux comme européens, des pistes pour un projet de loi permettant de réguler l’implantation de ces multinationales de la restauration rapide.

De la lutte contre les fast-foods à l’autonomie alimentaire… Quel avenir pour La Réunion ?

Parmi les suites à donner à ces différentes actions, et au vu des enjeux essentiels pour La Réunion de demain qui sont liés à l’alimentation – de la production aux conduites alimentaires – le Collectif Goutanou aimerait proposer l’élaboration d’une initiative institutionnelle. Elle serait organisée de concert entre les services de l’État et le collectif et ses sympathisants, autour d’échanges sur le moyen de promouvoir une alimentation saine, sûre, durable, accessible et au juste prix pour l’ensemble des personnes concernées, tant les consommateurs/consommatrices que les producteurs/productrices.

« Ces états généraux de la bonne alimentation » auraient pour dessein de penser le bon manzé « du champ jusqu’à l’assiette » en y intégrant les défis économiques, sociaux, climatiques et environnementaux qui sont les nôtres. Ils auraient aussi pour but de valoriser la production, la restauration et la consommation alimentaires éthiques et engagées sur le territoire et, plus généralement, de tendre, au maximum, vers une démocratie alimentaire.

Pour aller plus loin : Que proposent les insoumis pour réduire les inégalités en Outre-Mer ?

Dans la partie du programme insoumis (l’Avenir en Commun) consacrée aux Outre-Mer, nous
pouvons lire « ces territoires éloignés d’Europe et insulaires ont tous les atouts pour être des
avant-postes de la bifurcation écologique et du progrès humain
». Et si cela commençait par
la lutte contre la prolifération des grandes enseignes de fast-food ?

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