Mélenchon migrants

Exclusivité : « Le pape François est le bienvenu » : retrouvez le discours de Jean-Luc Mélenchon à Marseille

En exclusivité, l’Insoumission.fr vous retranscrit ci-dessous le puissant et émouvant discours de Jean-Luc Mélenchon prononcé ce soir à Sainte-Marthe.

Madame, Messieurs les députés, 
Chers amis et camarades, tous, très cher Kamel,

Nous vivons en ce moment un moment choisi par nous d’un genre très spécial. Il vient à la suite de bien des engagements des uns et des autres, et il les couronne. 

Aujourd’hui, le pape François est à Marseille. Il y est le bienvenu pour le combat qu’il mène depuis le début de son pontificat : celui pour que la cause des migrants ne soit pas rabaissée au niveau du fait divers occupant de temps en temps le centre de l’actualité. Ce, nonobstant les malheurs, les douleurs, la mort prévalant dans cette circonstance.

Il y a quelques minutes, il y a eu un rassemblement à son initiative pour une cérémonie œcuménique. En nous retrouvant ici nous avons voulu manifester à notre manière, dans notre conception des choses, notre convergence avec ceux qui, tout à l’heure, ont prié. Nous disons notre admiration pour ceux engagés dans l’action concrète. Je pense à tous ceux d’entre vous qui, au fil de l’année, se préoccupent des migrants, dont l’association SOS Méditerranée, aujourd’hui figures de proue du meilleur de ce que nous pouvons attendre de l’humanité.

Et nous avons voulu le faire ici, à cet endroit si particulier, précisément parce que c’est un de ces hauts lieux de la fraternité humaine. Notre message, à notre façon, tient en peu de mots : la plus grande force de l’humanité, alors même qu’elle va être confrontée partout à la grande crise de la civilisation humaine résultant du changement climatique… Cette plus grande force de l’humanité, c’est la fraternité humaine, c’est la solidarité entre les êtres humains. Solidarité, fraternité inconditionnelle. 

Nous affirmons à cet instant avec toute la fierté de ce que nous croyons être : un peuple humain. Et ce lieu l’a exprimé à sa façon. Quand ces travailleurs pour défendre leur outil de travail, quand ce quartier pour défendre un de ces rares lieux d’animation, se sont regroupés autour des courageux comme Kamel et quelques autres, ils ont tenu haut la flamme de l’espérance. Cela a donné ce nouveau style de restaurant dont je ne retiens à cet instant qu’une vertu. C’est le seul endroit dans Marseille – et je reconnais bien là Kamel – où on distribue des colis pour se nourrir sans avoir à montrer de papiers. Ici, il suffit de se présenter et de montrer son visage d’être humain pour être reçu comme un être humain. 

Ceci nous donne une très grande leçon. Chaque fois qu’on chasse des êtres humains de l’humanité commune, non seulement on commet un crime, parce qu’on l’abandonne à la mort, parce qu’on l’abandonne à l’isolement, à la pauvreté, à la famine, à la déchéance… Mais aussi en le retranchant de la condition humaine, on le pousse dans un autre univers, dans lequel personne ne peut plus être totalement un être humain.

Hier un d’entre vous me disait : “il faut que tu dises quel crime c’est d’abandonner des gens en mer, quel crime c’est de les y rejeter quand pourtant le contact est établi. Mais tu dois dire quel crime c’est de leur refuser tout abri, toute nourriture, toute possibilité de boire ou de manger et d’être hébergés.”

Car, me disait ce camarade : “sans papier” ça n’existe pas ! Tout le monde a des papiers. Tout le monde a une feuille attestant qui il est dans son pays d’origine. C’est la façon dont nous n’accueillons pas qui fait d’une personne un “sans papier”. Ensuite, c’est la façon avec laquelle nous repoussons tel ou tel qui fait qu’il n’est plus en état de s’insérer dans la société. Et nous n’avons pas le droit de leur demander de respecter des règles quand nous-mêmes nous n’en respectons aucune ! 

Ces pensées complexes nous mettent à distance des simplifications et des hallucinations dominant aujourd’hui toute parole sur les questions de l’immigration. Quand 30 % de nos compatriotes pensent qu’il y a ici en France, plus de 25, de 30, voire 40 % d’immigrés, nous sommes dans une hallucination. Mais cette hallucination contient à son tour elle-même un message. Elle veut dire que l’on assimile une partie de la population française elle-même à l’immigration. Dès lors on nous demande, à tous ceux ayant au moins, pour un sur quatre d’entre nous un grand parent étranger, de le renier, de l’oublier. 

Comme si chacun d’entre nous n’était pas directement et personnellement concerné par la migration. Et comment pourrait-il en être autrement ? À quel moment dans l’Histoire de l’humanité, les êtres humains ont-ils cessé de se déplacer pour aller d’un endroit à l’autre, y vivre et aimer et continuer l’histoire humaine ? Jamais. La migration est une activité spontanée, naturelle des êtres humains. Depuis toujours, la totalité de la surface de la Terre a été occupée par les êtres humains partis tout le temps tous du même endroit. Et d’ailleurs, ça continue. 

Tout cela doit être présent à notre esprit et c’est pourquoi, quand il vient quelqu’un avec lequel nous aurons peut être, pour des raisons diverses, des contradictions, nous renouons avec la meilleure part de nous-mêmes. Celle refusant que le genre, la couleur de peau, la religion, la provenance, l’origine sociale soient jamais un seul instant un obstacle au devoir de solidarité et de fraternité humaine.

Nous nous manquerions à nous-mêmes si, parce qu’il s’agit du Pape et parce qu’il s’agit d’une cérémonie œcuménique, nous n’assumions pas en pleine et totale lumière notre convergence avec ce qu’il est en train de faire. Nous avons là une cause commune et nous disons au pape François que parfois, dans notre fierté d’être Français, il y a la honte de voir comment nous traitons nos frères en humanité n’étant pas Français. Le pape François a raison de rappeler ceux qui se réclament de lui à leurs devoirs et à leurs propres croyances : respecter l’humanité qu’ils méprisent !

Comment avons-nous pu en arriver là ? Nous autres Français ? Comment avons-nous pu en arriver là, nous autres Européens ? Comment l’Europe a-t-elle pu, pour finir, prendre ces décisions absurdes consistant à transformer les peuples de l’autre rive de la Méditerranée en gardiens du cimetière que cette mer est devenue ? 

Comment avons nous pu être capables d’accueillir en Europe 4 800 000 Ukrainiens, dont 135 000 dans ce pays en leur consentant une allocation, en leur donnant des facilités de logement, en leur facilitant les déplacements… et ensuite le refuser à une poignée de pauvres gens comme à Lampedusa où s’empilent 10 000 personnes pour 400 places ? Répartis entre les 28 États européens, il s’agirait de 250 personnes à accueillir.

Françaises, Français. Ne vous laissez pas emporter par les récits qu’on vous fait de cette migration. Ne vous laissez pas emporter ! Ou bien alors assumez. Et dites que pour ne pas parler des tâches qu’ils accomplissent et que vous ne voulez pas faire, vous prendrez à votre charge les 30 milliards que la migration apporte à la richesse de la France en cotisations et en impôts. 

On peut le comprendre compte tenu des conditions dans lesquelles ces tâches s’exercent et du salaire consenti. Si vous sortez de la clandestinité ceux qui s’y trouvent, alors vous abolirez la concurrence entre les travailleurs. Et abolirez donc la diminution du prix du travail résultant de cette concurrence. Il n’y a pas de mesure plus saine pour l’économie.

Il n’y a pas de mesure plus saine pour la qualité des salaires que de régulariser les travailleurs qui n’ont pas de contrat avec ce pays mais qui ont un contrat de travail. Ce que j’en dis n’est pas la vaine abstraction que l’on pourrait m’imputer. J’ai dit il y a un instant le devoir de fraternité humaine. Je veux dire maintenant nos devoirs de fraternité de salariés, de travailleurs.

À mon tour, je veux m’adresser, comme Jean Jaurès, à tous les travailleurs, comme il l’a dit en Argentine, où se présentaient devant lui des immigrés de toutes les nations européennes. Car mesdames, messieurs, tous les peuples d’Europe eux aussi, migrent. C’est par dizaines de milliers que nos enfants sont partis de Grèce, du Portugal, d’Espagne, et en ce moment même partent de France et d’Allemagne. Aucun d’entre nous ne se désintéresse des conditions dans lesquelles ils sont accueillis. Alors c’est un devoir plus grand de s’y intéresser ici.

Comme Jean Jaurès, je dis aux travailleurs, qu’ils parlent français ou non, même si pour finir, il faudra bien que tout le monde parle français pour se comprendre, et c’est d’ailleurs ce qui se passe. Je dis à tous ces gens : vous apportez à ce pays ! Ne vous regroupez pas autrement que du point de vue de vos intérêts communs. Ne vous regroupez pas  par nation, par couleur de peau, ou par religion. D’ailleurs vous ne le faites pas. Vous n’avez qu’une espérance : être tous ensemble. Que vos enfants ne viennent pas vous demander la permission de s’aimer en fonction ni des religions, ni des couleurs de peau, ni de leur histoire. 

Formez un seul peuple et alors vous élèverez le niveau général dans lequel nous vivons tous. Voilà le message que nous portons en pleine convergence avec ceux qui se rassemblent pour le porter à leur tour. Quelle que soit, encore une fois, la religion au nom de laquelle ils s’engagent. 

Bienvenue à ceux qui, parce qu’ils croient, s’engagent. 

Malheur à ceux qui ne s’engagent pas. 

Regardez la terre. Regardez-la en fermant les yeux, en oubliant l’instant. Voyez-la depuis l’espace. C’est une petite boule bleue, fragile. Bleue, parce que 70 % de son territoire est fait d’eau. Entendez qu’un fossé rempli d’eau de 1000 kilomètres dans sa plus grande largeur, des frontières du Maghreb au fond de l’Adriatique, n’empêche personne d’essayer de passer. Rien ni personne n’empêchera jamais aucun être humain d’essayer d’améliorer son sort et celui de ses enfants au prix des plus grands risques. 

À cet instant, vu depuis l’espace, nous sommes le peuple humain. 

À cet instant, vu depuis l’espace, nous sommes des criminels parce que nous laissons mourir des gens en leur refusant notre aide. 

À cet instant, la houle de la mer Méditerranée porte les cris et les larmes de ceux qui se noient et des familles attendant le retour de leur enfant. 

Honte à nous êtres humains si nous abandonnons nos frères et nos sœurs.

Gloire à ceux d’entre nous prenant le risque en mer et à terre, de s’engager quoi qu’il en coûte pour être à la hauteur du destin qui nous a été fixé par notre humaine condition. 

Voilà, Monsieur le Pape François, vous êtes le bienvenu. 

Votre combat est le bienvenu. 

Vos paroles sont les bien-entendues.

Entendez-nous à notre tour, nous autres, comme nous sommes là. Voyez les visages de nos héros. Ils ont illustré les valeurs humaines auxquelles nous croyons et auxquelles nous tâchons de ressembler. 

Pape François, La France n’est pas seulement les institutions qui rejettent à la mer. La France n’est pas seulement ces dirigeants hypocrites niant la condition humaine des migrants pour ensuite faire des simagrées dans les offices religieux où ils n’ont aucune place.

Vous êtes le bienvenu et voici comment nous allons à notre tour nous associer à vous en observant une minute de silence. 

Vive la dignité humaine.

Jean-Luc Mélenchon, à Sainte-Marthe

SAINTE MARTHE 2 JLM

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