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Pénurie de médicaments : un infirmier témoigne

Médicaments. Depuis la pandémie de COVID-19 et les graves tensions d’approvisionnement sur les masques, le doliprane et les vaccins, le monde politique a, semble-t-il, commencé à prendre conscience de l’importance stratégique de la production médicamenteuse. De fait, en pleine pandémie, ne pas disposer d’un antipyrétique (médicament contre la fièvre) est un problème. Ce n’est pas le seul.

Des conséquences plus graves liées à une pénurie de médicaments existent bel et bien. Qu’advient-il lorsqu’il n’y a plus assez de thrombolytiques, le principal médicament pour lutter contre les accidents cardio-vasculaires (AVC) ? « En tant que soignant, je suis révolté de savoir que je ne peux pas soigner dans de bonnes conditions et offrir à toute personne la meilleure chance de guérir », nous confie F. Boutin, infirmier. Témoignage.

Avant-propos

Avant toute chose, je tenais à vous prévenir que je vais parler d’un phénomène courant, au milieu de l’article. Il s’agit des AVC. Je sais que la maladie d’une façon générale est un sujet qui implique émotionnellement. Je vous demande de bien réfléchir avant de le lire. Vous sentez vous suffisamment en bonne condition pour le lire ? Avez-vous des proches qui ont vécu cette difficulté ? Je ne souhaite pas que cet écrit, qui a une visée explicative, vous provoque des sentiments négatifs.

Une maladie, comment ça se présente ? 

Je vais essayer de ne pas rentrer dans un cours d’histoire ou de sociologie de la médecine. La maladie, c’est un concept qui fluctue en fonction des époques et des savoirs. Ici, je ne parlerai que de la dimension anormale ou abnormale. Anormal, un concept que tout le monde comprend. Quelque chose qui sort d’une norme.

En médecine, comme ils aiment bien tout compliquer, ils ont décidé de faire simple en disant qu’une chose est normale quand elle représente 95% des cas. En résumé, même si vous n’êtes pas malades, il peut y avoir des abnormalités. C’est un écart à une norme. La maladie, si on la définit comme un fonctionnement anormal du corps, peut, elle aussi, avoir des abnormalités. Vous verrez, c’est important pour la suite.

Un AVC, un petit caillot ou un saignement dans la tête

Un accident vasculaire cérébral (AVC) est un fonctionnement anormal des vaisseaux sanguins, dans le cerveau. Il en existe deux types, ischémiques ou hémorragiques. Celui qui nous intéresse est l’AVC ischémique. Il se produit quand le sang circule mal dans les artères. Vous avez déjà dû voir, dans certains bras de ruisseaux, de l’eau qui stagne. Dans un corps fatigué par les facteurs de risques (drogue, alcool, viande rouge, hérédité) la même chose peut se produire et dans ce cas, le sang s’épaissit jusqu’à former un petit caillot qui va circuler et bloquer une artère.

Dans le cœur, c’est un infarctus et dans le cerveau, c’est un AVC. Le caillot va empêcher cette partie du cerveau de fonctionner et des cellules vont commencer à se désactiver. Cela va provoquer des symptômes immédiats, qu’on dit neurologiques. Faiblesse d’un côté, troubles de la vue, de la parole, etc… Sauf que parfois, la maladie aussi est abnormale et aucun de ces symptômes n’apparaît tout de suite. Cette abnormalité va provoquer des retards de prise en soin. On dit que pour traiter un AVC hémorragique par embolise, il faut avoir le patient dans les quatre heures.

Mais voilà, si le patient ne ressent pas tout de suite les symptômes, c’est dur de le faire venir aux urgences. Sans compter celles et ceux qui passent par le médecin traitant au lieu d’appeler immédiatement le Samu (c’est le 15 ou le 112, je sais que vous savez, mais ça vaut toujours le coup de le rappeler). Pour ces raisons, il n’est pas rare de recevoir des patients juste après ce délai de quatre heures. L’AVC est la première cause de mortalité chez les femmes, la troisième chez les hommes et la première cause de handicap acquis, loin devant la traumatologie.

Les thrombolytiques, en pénurie depuis août 2022

Je ne vous refais pas le discours sur la destruction du tissu productif français et de la désertion des grandes entreprises pharmaceutiques du territoire national. Cette destruction du tissu productif nous a conduit à manquer du principal médicament pour lutter contre l’AVC, le thrombolytique. Ce médicament permet de dissoudre le caillot comme on dissout le sucre dans un verre. C’est aussi simple que ça.

Ce n’est pas sans risque, mais bien surveillé, c’est le plus efficace et le moins risqué. Cette pénurie a poussé l’agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) à émettre une recommandation aux médecins de moins l’utiliser et la réserver à ce fameux intervalle de quatre heures après l’apparition des symptômes. Il existait, du temps où j’étais stagiaire dans un « Stroke Center » (centre référent du traitement des AVC) une discussion médicale qui pouvait les pousser à l’utiliser hors délai et qui produisait malgré tout des résultats. 

« Toi tu vis, toi tu vis, toi tu meurs… »

Cette recommandation est compréhensible du point de vue de l’ANSM. Son rôle étant de réguler l’utilisation des médicaments, il est normal qu’elle cherche à éviter les « gaspillages » en période de pénurie. Elle est inacceptable du point de vue politique. Cette décision est une perte de chance pour les patients. Elle punit ainsi, toutes les personnes qui ne savent pas dater précisément l’apparition des symptômes ou qui ont dépassé le délai. Et le plus grave est à venir. Lorsque le délai est dépassé, la principale méthode est la thrombectomie. On vous introduit dans le pli de l’aine un long cathéter avec une sorte de pince au bout pour aller attraper le caillot et l’enlever.

Seulement voilà, depuis le 1er mars 2023, ce fameux cathéter, qui vaut la bagatelle de 1500€ quand même, n’est plus remboursé. Que va-t-il se passer à l’hôpital quand ces patients arriveront ? Deux options possibles, le tri ou la faillite. Les dirigeants d’hôpitaux n’étant plus des médecins, mais des « comptables », il est certain qu’à tout le moins leur utilisation sera limitée, voire proscrite. Tout dépendra du rapport de force que créeront les soignants.

Ces techniques sont les deux principales utilisées dans les cas d’AVC ischémiques. Ils représentent 78% du nombre total d’AVC. De plus, non seulement les AVC touchent plus les pauvres que les riches, mais de surcroît, les pauvres ont moins accès aux « Stroke Centers » quand ils en sont victimes. Donc en France, pays d’Ambroise Croizat, de l’imagerie nucléaire et de Pasteur, en 2023, on décide de ne plus soigner correctement les AVC des pauvres. Les riches, eux, pourront se payer ce surplus nécessaire pour rester en vie…

Nous, soignants et militants, avons le devoir d’agir !

Il me semblait important d’accompagner cette pénurie de médicaments et dispositifs médicaux d’un exemple suffisamment frappant. Parce que dans la santé, nous travaillons avec l’humain, parce que la vie est ce que nous chérissons le plus, il me paraît indispensable que nous connaissions les conséquences concrètes de ces politiques, parce qu’en tant que soignant je suis révolté de savoir que je ne peux pas soigner dans de bonnes conditions et offrir à toute personne la meilleure chance de guérir.

Par F. Boutin

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