déconnexion nature

Notre déconnexion de la nature s’aggrave : quelles en sont les conséquences ?

Nature. L’éloignement des individus des zones naturelles augmente. Voilà ce que démontrent des chercheurs de l’université de Leipzig dans leur étude publiée en décembre 2022, intitulée « Une synthèse globale des tendances dans l’expérience humaine de la nature ». Dans le monde, la distance moyenne s’est accrue de 7% en 20 ans pour atteindre 9,7 km aujourd’hui. En France métropolitaine, c’est en moyenne 16 km. Dans notre pays, 39% des enfants de 3 à 10 ans ne jouaient jamais en plein air. Résultat : nous sommes de plus en plus nombreux à souffrir d’un « trouble de déficit de nature ». Notre article.

À force d’être aveugles aux dynamiques écologiques, aux autres espèces, nous créons un monde dans lequel rien d’autre ne saura vivre

75% de la surface des écosystèmes continentaux et 40 % des océans ont été fortement dégradés ; un million d’espèces sont menacées d’extinction à brève échéance.

Dans sa vidéo du 31 mai 2022, où il explique l’évolution de sa chaîne Partager c’est sympa, Vincent Verza annonce son projet de réaliser des documentaires pour « ouvrir les yeux sur le vivant, car c’est à force d’être aveugles aux dynamiques écologiques, aux autres espèces, aux milieux, que nous créons un monde dans lequel rien d’autre ne saura vivre ».

Une équipe de recherche de Leipzig a publié en décembre une étude explorant les sources de cet aveuglement aux dynamiques écologiques. La racine de cette cécité : l’éloignement croissant des humains aux zones naturelles. 

La distance d’un humain vis-à-vis d’un espace naturel a augmenté de 7% en 20 ans

Sans entrer dans un cours de philosophie sur la pertinence de dresser une frontière plus ou moins perméable entre nature et culture, espace naturel ou artificiel, commençons par préciser la définition de zone naturelle sur laquelle se fondent les chercheurs pour réaliser leur étude. Ce sont des zones moins impactées par l’activité humaine, rassemblant à la fois des zones de nature luxuriante peu transformées par les humains et les zones faiblement urbanisées, avec de petits villages ou des hameaux, des parcelles d’agriculture bio ou raisonnée ou encore des zones de forêts plantées pour l’exploitation. En gros : tout ce qui n’est pas du bitume ou de la monoculture intensive. 

Convenons que c’est une définition assez large de l’espace naturel. Voire même un peu trop quand on connaît la pauvreté écologique des champs d’arbres plantés pour répondre aux besoins voraces du capitalisme : produire le plus possible, n’importe où, n’importe comment, n’importe quoi, n’importe quand. Pourtant, même avec une acception large, les chiffres sont alarmants. La distance d’un humain à un espace naturel a augmenté de 7% en 20 ans pour atteindre 9,7 km en moyenne dans le monde, 16km (4 heures à pied, 1 heure à vélo) en France métropolitaine.

Culture de la peur, virtualisation et amnésie générationnelle

Cette distance géographique induit une distance émotionnelle. Loin des yeux, loin du cœur dit le dicton populaire. Si les outils technologiques ont partiellement permis de dépasser cette réalité dans le domaine amoureux, notre connexion numérique a en revanche amplifié notre déconnexion avec le non-humain. En effet, la bétonisation des sols n’est qu’un des facteurs. D’après Romain Couillet, la culture de la peur, la virtualisation du monde et « l’amnésie générationnelle environnementale » amplifient le déficit de nature,chronique dans notre société. 

La « culture de la peur ». Selon le professeur des universités de Grenoble, nous sommes de plus en plus nombreux à éprouver de la peur devant tout ce qui n’est pas maîtrisé, encadré par la technique humaine : la pluie, le froid, le vent, les animaux sauvages, les insectes. Peur du visqueux, de l’humide, de toucher l’herbe, de marcher pieds nus, de se promener seul. Peur de ce qui est mort. 

À côté de ces peurs du non-humain, se développe également la peur des humains, notamment à cause des chaînes de télévisions qui usent et abusent de ces enquêtes et reportages sur les faits divers pour vendre de l’espace de cerveau disponible dont raffolent les publicitaires et secteurs marketings des entreprises spécialisées dans la sur-consommation. 

Cette culture de la peur conduit les parents à privilégier pour leurs enfants la sécurité du foyer, de l’intérieur, plutôt que le plein air. Ce phénomène de « génération indoor » frappe de plein fouet l’Europe de l’Ouest et l’Amérique du Nord. D’après Santé publique France, 39 % des enfants de 3 à 10 ans ne jouaient jamais en plein air et seuls 50 % des enfants pratiquaient des jeux en plein air au moins 2 jours d’école par semaine. 

Corollaire immanquable de cette vie passée à l’intérieur : les écrans, le numérique, l’explosion du temps passé dans un monde virtuel. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail montre que 49 % des jeunes de 11 à 17 ans passent « plus de quatre heures trente par jour devant un écran » et/ou effectue « moins de vingt minutes d’activité physique par jour ». Des statistiques proches de celles des adultes, mais aux conséquences encore plus désastreuses : les enfants ont perdu 25% de leur capacité cardiovasculaire en 40 ans. 

Sur ce cocktail explosif peur de l’extérieur-virtualisation s’ajoute l’amnésie générationnelle environnementale. Soit la tendance de chaque génération à considérer son environnement comme « normal ». Conséquence, au fur et à mesure que les individus s’éloignent de la nature, ils perdent la perception de cette mise à distance et transmettent à la génération suivante des habitudes de vie de plus en plus détachées du monde non-humain. 

Comment briser la roue ? 

Les conséquences de l’éloignement de la nature sont importantes. D’une part, la sédentarité et l’enfermement impactent la santé des individus. D’autre part, les humains coupés du reste du vivant mettent également à distance la disparition en chaîne des espèces animales comme végétales. Plus facile de s’en ficher quand on ne sait pas, on ne voit pas, on ne ressent pas ce que l’on perd. Comment rompre ce cycle infernal ? 

À court terme, chaque personne peut agir. Comme Vincent Verza, consacrer quelques heures à aller observer les oiseaux ou renouer avec la tradition camping délaissé au profit d’AirBnb. L’utilité de ces petits gestes est bien sûr questionnable quand il s’agit de faire évoluer la société. Cependant, ils permettent a minima à chaque individu d’améliorer sa santé ou celle de ses enfants.

À long terme, la solution est collective, et donc politique

À l’heure où 80% de la population française et 56 % de la population mondiale habitent une zone urbaine, il est urgent de revoir notre manière de construire, d’organiser et d’habiter les villes pour y permettre la pénétration du non-humain. Cela commence par limiter l’usage du béton. Et non, les immenses parkings pour les entrepôts Amazon n’en font pas partie. 

Tout aussi urgente est la bifurcation de notre modèle agricole pour lui permettre de contribuer à la préservation de la biodiversité et du rapprochement des humains avec le reste du vivant. Et non, les méga-bassines ne vont pas dans le bon sens. 

Ainsi se dessinent quelques pistes pour inverser la tendance à l’artificialisation des sols et l’éloignement géographique des humains aux zones naturelles. Reste à combattre la peur. C’est peut-être le plus grand obstacle. Si l’extérieur du foyer continue à nous faire peur, il sera difficile pour renouer avec la nature. 

Pour cela, il faut commencer par réduire le pouvoir de nuisance des CNews et compagnie par une loi de déconcentration de la propriété privée des médias pour empêcher quelques milliardaires de se payer le droit d’informer. Le travail des journalistes doit permettre d’éclairer les citoyennes et les citoyens sur les grands enjeux de notre temps, aiguiser l’esprit critique, vivifier le débat démocratique, non rabougrir à des stériles polémiques incessantes et exciter la peur de l’autre, du différent. 

Ensuite, viendra le moment de réinventer ensemble des projets scolaires, éducatifs, artistiques et culturels pour retrouver le goût du dehors, du sauvage, de l’inconnu, le goût de l’exploration et de la découverte, renouer avec la poésie du vent et de la pluie, développer notre capacité et celles des générations futures à s’émerveiller des prouesses techniques et artistique du reste du vivant. 

Par Ulysse