Le décret de réquisition de la raffinerie d’Esso-ExxonMobil de Gravenchon-Port-Jérôme est paru ce mercredi 12 octobre au matin. La pénurie de carburant est-elle une justification suffisante pour rendre légale une telle atteinte au droit de grève ? Ce n’était pas l’avis du tribunal administratif de Melun en 2010. L’Organisation Internationale du Travail (OIT) avait également condamné le comportement de Nicolas Sarkozy et de son gouvernement à l’époque. Notre article.
À l’automne 2010, le président de la République Nicolas Sarkozy, jugeait déjà nécessaire une réforme des retraites, contre l’avis de la population. Un immense mouvement social avait alors tenté de l’empêcher de s’attaquer à cette grande conquête sociale gagnée grâce à la victoire de François Mitterrand en 1981 : la retraite à 60 ans. Comme aujourd’hui, de nombreuses raffineries étaient en grève.
Invoquant le risque d’une pénurie de carburant le gouvernement de l’époque avait décidé d’utiliser pour la première fois l’article L2215-1 alinéa 4 du Code général des collectivités territoriales
Celui-ci prévoit que la réquisition des salariés grévistes est possible, mais elle est strictement encadrée. Elle ne peut « intervenir que dans des situations exceptionnelles, par exemple en cas de guerre (art. L. 2212-1 à 2212-3 du Code de la défense), ou en cas « d’atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques » (art. L. 2215-1 du Code général des collectivités territoriales).
Autrement dit, l’État doit assurer par tous les moyens aux véhicules d’urgences un approvisionnement en carburant : pompiers, Samu, forces de sécurité. Dans le cadre précisé par l’article L2215-1. La réquisition est donc légale.
Ce qui l’est beaucoup moins, en revanche, c’est de réquisitionner le personnel, par la contrainte physique ou la menace d’une sanction (6 mois de prison et 10 000 euros d’amende) afin de limiter l’impact d’une grève sur le fonctionnement normal d’une entreprise. Si la loi permet à l’État de contraindre les grévistes à approvisionner les hôpitaux et la défense nationale, il est totalement contraire à l’État de droit d’user de l’arme de la réquisition pour rétablir un fonctionnement normal ou quasi-normal de l’entreprise.
En 2010, constatant un grave abus de l’utilisation de la réquisition, le tribunal administratif de Melun avait cassé l’arrêté préfectoral pris à la demande du gouvernement Fillon
Le tribunal avait justifié ainsi sa décision ainsi : en « réquisitionnant la quasi-totalité du personnel de la raffinerie Total de Grandpuits […] et non en tentant d’assurer uniquement le « service minimum », le préfet avait porté une « atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève ».
Dans le cas de la raffinerie Total de Gargenville dans les Yvelines, le juge des référés avait validé la réquisition du préfet. La justification : la nécessité d’alimenter l’aéroport de Roissy qui n’avait plus que trois jours de stock de carburant. En pleine crise climatique, et après 18 mois de pandémie pendant lesquels les avions étaient restés cloués au sol sans qu’aucun trouble à l’ordre public n’en résulte, il n’est plus certain qu’un juge administratif accepterait de valider une telle atteinte aux libertés fondamentales des travailleurs sur un motif aussi léger.
L’OIT pour sa part avait condamné le gouvernement pour l’ensemble de son œuvre dans ce mouvement social. « Le comité demande au gouvernement de privilégier à l’avenir, devant une situation de paralysie d’un service non essentiel mais qui justifierait l’imposition d’un service minimum de fonctionnement, la participation des organisations de travailleurs et d’employeurs concernées à cet exercice, et de ne pas recourir à l’imposition de la mesure par voie unilatérale. » Il est peu probable que le comité de surveillance du respect du droit du travail apprécie beaucoup plus le comportement autoritaire d’Élisabeth Borne et Emmanuel Macron.
La réquisition est donc légale pour assurer le fonctionnement de certains services publics de première nécessité. En revanche, s’en servir comme le fait le gouvernement pour diminuer l’impact de la pénurie de carburant, est totalement contraire aux normes internationales et à l’État de droit consacré par la Constitution française qui reconnaît le droit de grève dans les droits fondamentaux.
Une question demeure : où sont les stocks stratégiques ? Ce gouvernement est-il donc incapable de prévoir quoi que ce soit ? Pas de stocks de masque avant la pandémie ? Maintenant, aucun stock de carburant permettant d’alimenter les services publics essentiels ?
Par Ulysse