Un décompte qui oscille entre des moments tantôt inquiétants, tantôt mélancoliques, la 7ème symphonie de Beethoven, pour rythmer une annonce de candidature qui ne faisait plus aucun doute. Cela avait été annoncé la semaine passée puis précisé le 29 novembre : l’annonce de la candidature d’Eric Zemmour à l’élection présidentielle devait avoir lieu le 30 novembre à midi. Cela faisait plusieurs semaines que le polémiste candidat ne laissait plus l’ombre d’un doute sur ses intentions, il ne voulait que choisir son moment. “Vous n’avez pas quitté votre pays, c’est comme si votre pays vous avait quitté”, voici ce que déclare Eric Zemmour. La promesse de son élection serait donc de retrouver cette France. De quelle France parle-t-il ? Le décryptage de la vidéo permet de comprendre les contours du projet du candidat.
Arrêtons-nous un instant sur le décor et les images qui illustrent ses mots lentement lus au fil des pages tournées. Eric Zemmour parle dans une bibliothèque qui rappelle étrangement la bibliothèque de l’Elysée, la bibliothèque où se sont succédé le Général de Gaulle, François Mitterrand ou encore Nicolas Sarkozy pour les portraits présidentiels. Le micro ensuite nous rappelle le micro du Général de Gaulle lorsqu’il a enregistré l’appel du 18 juin.
Une déclaration de candidature qui s’apparente donc à la constitution d’un bloc de “résistance” contre des ennemis de la France qu’Eric Zemmour présente dans sa vidéo, avec des extraits savamment choisis : des scènes d’émeutes, un entremêlement d’images de services publics comme par exemple les urgences d’un hôpital, de mouvements toujours marqués par la violence dans la rue ou dans les gares. L’immigration, la pauvreté, la délinquance, un ensemble inquiétant rythmé par une septième symphonie qui n’en finit plus.
Cet imaginaire qui n’existe de la sorte nulle par ailleurs que sur les chaînes d’information en continu diffère de la France qu’on a “connu dans notre enfance”, le pays que nos “parents ont décrit” et plus intéressant du pays qu’on a “vu dans les films ou dans les livres”. Ensuite, plusieurs secondes de films et de séquences historiques : le château de Versailles succède à Mila Jovovich ou la comédie musicale des Misérables de Tom Hooper, difficile dans cet entremêlement de distinguer l’histoire de la fiction même historique, qui n’est pas l’histoire mais une représentation de l’histoire.
Plus étonnant encore, les extraits de films avec Alain Delon, Brigitte Bardot ou Jean-Paul Belmondo, ensuite la mention des films de Claude Sautet ou d’Henri Verneuil. Le pays “dont vos enfants ont la nostalgie sans même l’avoir connu” est en fait un pays qui n’existe pas. Il s’agit de la France des films, une France parfois marquée par son histoire récente mais avant tout des grands événements. L’imaginaire qui en découle est lissé : la vie du jeune Antoine Doinel dans les 400 coups, ses fugues dans Paris sont touchantes et un délice à voir et revoir, les disputes des couples modernes et des personnages individualistes de Claude Sautet également. Pour autant, c’est un leur de faire croire que ces images, ces histoires correspondent à l’histoire des Français. Retirer des représentations de la capitale ses logements ouvriers, c’est tronquer l’histoire de la capitale au profit d’une carte postale irréelle, bourgeoise, pour produire un discours réactionnaire.
Faire de la politique, c’est appuyer des discours, un projet sur un imaginaire : les conquis sociaux, la lutte des classes… Eric Zemmour de son côté a choisi une France des conquêtes qui a “conquis l’Europe et le monde”, contre l’exil de l’intérieur. Un exil causé par une crise que l’immigration accroît et dissimulée par des adversaires qu’il nomme : “les puissants, les élites, les universitaires, les sociologues, les syndicalistes…”. Ce bloc aurait causé la disparition de la France et le déclassement du pays. La bataille qu’engage Eric Zemmour en déclarant sa candidature est une bataille contre un bloc imaginaire contre lequel il faudrait “sauver la France” pour ne pas “être grand remplacé”, pour préserver les “modes de vie” ou encore la “tradition”, que les garçons ne soient “pas soumis” et les filles ne soient pas “voilées”.
La France d’Eric Zemmour n’existe pas et n’a jamais existé. Il s’agit d’un ensemble de représentations qu’il agrège en vue de définir un projet qui confine au bellicisme et à la guerre civile. Les responsables designés par Zemmour sont ceux traditionnellement pointés du doigt par la droite, mais avec plus de virulence encore : ils ne sont plus des adversaires mais des ennemis qui détruisent le pays. Eric Zemmour rêve d’une guerre intérieure. Sa France est fantasmée. Éric Zemmour se serait présenté en 1965, qu’il aurait déjà été à côté de la France.
Par Marion Beauvalet.