Les coulisses de la campagne de Mélenchon racontées dans une série documentaire

L’image de Jean-Luc Mélenchon relayée par le champ médiatique est souvent celle d’un homme seul, les traits tirés, la bouche ouverte, les bras écartés, le visage défiguré par la colère. Un choix éditorial. « 2022 : Nos pas ouvrent le chemin », série documentaire réalisée par Flore Cathala et Milan Prados, jeunes vingtenaires, révèle les coulisses de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon. Avec comme pari de sortir ses épisodes au fur et à mesure de la campagne en train de se faire, montrant un Jean-Luc Mélenchon que le grand public ne connait pas : entouré de ses équipes, drôle, touchant, mais également et surtout avec le temps de développer ses idées et ses combats. Un pari indéniablement réussi avec talent. Notre article entretien.

Une série documentaire pensée pour que les épisodes sortent au fur et à mesure de la campagne présidentielle

« Je commence une nouvelle carrière d’acteur, c’est moins facile que de monter sur une scène de meeting ». Dès le premier épisode, Jean-Luc Mélenchon annonce la couleur : ce n’est pas la caricature médiatique du député des Bouches du Rhône que l’on voit à l’écran. « On veut montrer Jean-Luc Mélenchon comme il est vraiment : un être humain engagé. On essaie une autre manière d’expliquer notre programme ». Flore Cathala, la réalisatrice, 24 ans.

En déplacement sur l’île de La Réunion en décembre 2020, l’idée germe dans la tête de Flore Cathala. Jusqu’ici co-responsable de la communication numérique de La France insoumise (LFI) avec Antoine Léaument, la jeune femme qui s’occupe de tout ce qui touche de près ou de loin à la vidéo dans les évènements de la sphère insoumise, s’est lancée dans la réalisation de plusieurs « vlogs » des déplacements de Jean-Luc Mélenchon. Succès sur Youtube. Alors pourquoi pas aller plus loin et carrément réaliser un documentaire sur les coulisses de la campagne présidentielle de celui qui vient alors de se présenter et ainsi faire vivre la campagne de l’intérieur ?

Chiche. Flore Cathala parle de son projet à Jean-Luc Mélenchon. Le grand chef valide. Le pari est le suivant : réaliser une série documentaire. À mi chemin entre le documentaire et la série, l’objectif est de publier des épisodes thématiques au fur et à mesure de la campagne. Flore Cathala : « Je ne voulais pas faire comme pour l’Insoumis, (documentaire sur la campagne 2017 de Jean-Luc Mélenchon, NDLR) un documentaire formidable qui donne très envie de voter Jean-Luc Mélenchon mais qui sorte une fois la campagne terminée ».

L’objectif : qu’en janvier 2022, quand le niveau de politisation commencera à grimper dans le pays à quatre mois de l’échéance présidentielle, que les épisodes sur la campagne sortent en temps réel, que les gens qui découvriront la série à la fin de la campagne au moment décisif puissent avoir accès à un an de coulisses découpées en épisodes thématiques déjà publiés. À l’heure où nous écrivons ces lignes, 5 épisodes ont déjà été publiés. Stratégie politique, travail parlementaire, Laïcité, Écologie, Social, chaque épisode, d’une trentaine de minutes environ, permet de creuser un combat des insoumis.

« Pas le seul relou de la table à Noël qui rêve d’un monde meilleur » : une autre manière de montrer les idées et les combats des insoumis

« On est les premiers à utiliser YouTube de manière politique ». La chaîne Youtube du candidat insoumis est en effet la première chaîne politique de France avec 600 000 abonnés, devançant largement ses adversaires politiques. Que font les autres ? En Marche a sorti un documentaire pour les 4 ans du quinquennat. Flore Cathala tacle, les deux pieds décollés : « La bataille culturelle sur « Jean-Luc est gentil » : je ne voulais pas faire que ça. Le documentaire sur Macron c’est quasiment que ça : de l’anecdote. Pour quoi ils se battent, qu’est-ce qu’ils veulent pour le pays, le fond de leur projet, il y a jamais. Que de l’anecdote : Macron qui voudrait un cordon bleu, la dame de la cantine qui lui répond ah non prenez le saumon, le cordon bleu c’est pour les enfants ».

L’avantage de ce type de format, pouvoir développer, loin de la tyrannie du temps des médias traditionnels : « des moments auxquels on a accès nous, dans les réunions, où on explique nos arguments, notre stratégie, parfois de manière plus compréhensible que dans les médias, car on n’est pas interrompu ». Et de pouvoir inclure toutes celles et ceux qui partagent la cause mais qui n’ont pas accès aux coulisses : « je voulais permettre aux gens de participer à la campagne, ça fait du bien de voir ça, on se dit qu’on est pas tout seul, souvent on est le seul relou de la table à Noël qui rêve d’un monde meilleur. Oui on est des militants politiques, oui on veut changer le monde et on est pas tout seul ». 

L’idée est bien de montrer la raison de l’engagement, pour quoi les insoumis se battent. L’épisode 3, mieux réussi que les autres aux yeux d’une réalisatrice qui semble particulièrement perfectionniste, montre notamment les coulisses de la bataille contre la loi séparatisme à l’Assemblée nationale. Un épisode qui constitue un matériau en or massif pour tout sociologue qui n’a pas accès aux coulisses du travail parlementaire, on y voit notamment Jean-Luc Mélenchon préparer un discours prononcé par la suite dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, avec toute son équipe parlementaire. Flore Cathala : « Une vraie bataille à l’Assemblée, avec un groupe parlementaire qui fonctionne comme une équipe de foot. Ils essaient de mettre de côté les musulmans et faire comme si c’était pas la France, et bien nous on se bat contre ça et on explique pourquoi ».

Le dernier épisode, le 5, montre « La France au travail », la lutte des travailleurs quotidienne face à l’exploitation du capital. Avec des séquences particulièrement marquantes : de cet ouvrier à la retraite qui transmet la mémoire ouvrière des coups de grisou dans les mines, à ce syndicaliste qui doit annoncer lui même le licenciement à 300 de ses collègues, les larmes aux yeux et la rage au cœur contre le capital au moment de raconter cette épreuve. Des séquences où le cœur s’arrache du thorax. « Cette histoire là c’est l’histoire de pleins de gens, celle de gens qu’on ne montrent jamais ». Celle de la réalité de la dureté du combat du travail face au capital, que les médias montrent si rarement.

Une série documentaire plébiscitée, réalisée par deux jeunes vidéastes militants

«« On va essayer de faire ça bien. » La sincérité a un visage ». Le premier commentaire sous le dernier épisode de la série donne le ton. Les commentaires élogieux sont légions. « Très bonne idée de faire voir « dans les coulisses » et ça permet d’expliquer la démarche, bravo, belle initiative la France insoumise », ou encore : « super intéressant ce format ! Un genre de « making off » de la campagne je suis fan bravo pour cette idée ! », autre fan : « en quelque sorte ce sont les « coulisses » de ce début de campagne ! C’est une très bonne idée, du bon boulot une fois de plus, les gens peuvent donc avoir des explications sur comment sont prises les décisions, les intentions, les interrogations, etc, etc. Cela amène de la transparence dans la façon dont fonctionnent le mouvement et la campagne. Bravo à vous tous et toutes, le lien est maintenu ».

Manifestations, usines qui ferment, luttes écologiques, déplacements à l’étranger, Assemblée nationale, plateaux télés, siège du mouvement… Les deux caméras de Flore Cathala et de Milan Prados, membre de l’équipe communication de LFI venu porter main forte à sa camarade sur le documentaire, aussi bien sur le tournage que sur le montage, suivent le leader insoumis, partout. En temps normal, une équipe de tournage est composée au minimum d’un.e journaliste, un.e cadreur.e, et un.e preneur.e de son. Mais la norme, ces deux jeunes vidéastes passionnés l’ont envoyé valdinguer.

Milan Prados a été « formé à l’école insoumise, l’école de la street » rigole son binôme. Reste qu’avec des bouts de chandelle, les deux jeunes vidéastes, 25 ans et 24 ans, arrivent à un sacré résultat. Le premier a conseillé à la seconde de regarder « Les Yeux dans les Bleus », le magnifique documentaire de Stéphane Meunier sur la coupe du monde 1998. Une recommandation précieuse. Flore Cathala : « J’aime les documentaires de famille, avec l’oncle tremblant, t’es plongée dedans. Même si on a pris le temps de beaux plans, travaillés, parfois on a juste posé la caméra et on est parti. Et de la contrainte nait aussi la créativité ».

« Ce documentaire c’est notre plus belle manière de militer, montrer que les insoumis sont des militants qui veulent changer le monde ». Un pari sacrément réussi.

Par Pierre Joigneaux.