RTE, Négawatt, que retenir des scénarios et des propositions des candidats à l’élection présidentielle ?

RTE, Négawatt, que retenir des scénarios et des propositions des candidats à l’élection présidentielle ?

A quelques jours de la COP26 à Glasgow, où l’on va bien évidemment beaucoup parler de climat, et donc d’énergie, à quelques 200 jours de l’élection présidentielle, voici que l’énergie et son inévitable compagnon le nucléaire s’invitent dans le débat. Lundi 25 octobre, avec les 6 scénarios de Réseau de Transport d’Électricité (RTE), puis mardi 26 avec la présentation du « Scénario 2022 » de négaWatt.

Entre la voix de son maître, RTE dépendant pour 80% de l’État, et l’expertise indépendante, que peut-on penser ?  Que pensent les candidats ? Revue de détail des scénarios, et des programmes.

RTE : des scénarios limités par les contraintes du gouvernement Macron

RTE (Réseau de Transport d’Électricité) est une Société Anonyme dépendant pour 80% de l’État : 50,1% à EDF (dépendant pour 85 % de l’État) et 29,9% à la Caisse des Dépôts. Rien d’étonnant à ce que le scénario de référence de RTE soit dans la droite ligne de la Programmation Pluriannuelle de l’énergie du gouvernement, décidée par décret le 21 avril 2020, sans débat et après un mois de confinement. Rien d’étonnant non plus à ce que l’ensemble de la presse s’empare de ce rapport, mais ignore la présentation, le lendemain, du « Scénario 2022 » de NégaWatt.

On l’a dit, ce qui sous-tend la stratégie RTE, c’est bien la PPE et la SNBC (Stratégie Nationale Bas-Carbone) qui imposent les 40% de diminution de la consommation énergétique finale par rapport à la situation actuelle, la neutralité carbone en 2050, ainsi que le recours au nucléaire avec la construction de nouvelles centrales. Et RTE, en bon petit soldat, va se couler dans ces contraintes.

RTE commence – et c’est normal – par évaluer les besoins. Et c’est là que l’on va apprendre le plus : le scénario de consommation de référence repose pour beaucoup sur l’efficacité énergétique et le basculement de l’énergie fossile vers l’électricité (les transports, le chauffage des bâtiments). Pour le reste : la sacro-sainte croissance reste forte (+ 1,3% en moyenne), l’industrie manufacturière relève la tête et augmente sa part dans le PIB, et se relocalise en France. Bref, il s’agit d’abord de continuer en dégradant le climat le moins possible.

D’autant que l’on sait ce que le concept d’efficacité énergétique peut avoir de pervers s’il est mal utilisé : au titre de l’efficacité, il faut changer son sèche-linge, puisque les nouveaux consomment moins pour le même service. Mais le plus efficace, c’est encore la corde à linge. Il est vrai que cela ne fait pas travailler l’industrie.

RTE évalue également des variantes à ce scénario de référence : un scénario basé sur la sobriété (moindre consommation, transports collectif) ou d’autres avec une électrification des usages plus rapide ou moins rapide, une  efficacité énergétique réduite ou encore un recours plus fort à l’hydrogène. On note que le scénario « sobriété » est plus proche de celui de NégaWatt.

Et c’est là la limite de l’exercice RTE : aucune de ces variantes n’est étudiée sérieusement, seule la référence – imposée par la PPE – donne lieu aux fameux 6 scénarios, avec plus ou moins de nucléaire, plus ou moins de nouvelles centrales, et toujours un vibrant appel aux énergies renouvelables.

Le seul scénario sans nucléaire est jugé trop ambitieux : il faudrait arriver à un développement des énergies renouvelables (EnR) plus rapide que dans le reste de l’Europe, et visiblement RTE oublie que pour le nucléaire actuel, entre la décision (1973) et la mise en service du plus récent (2002) réacteur, il s’est écoulé une  petite trentaine d’années. Ce qui reste avant 2050.

Les autres scénarios sont jugés selon qu’ils impliquent trop de réacteurs actuels prolongés, trop de nouveaux EPR à démarrer, le recours à plus ou moins de PMR (Petits Réacteurs Modulaires) – la nouvelle lubie d’Emmanuel Macron, mais qui, même pour RTE, seront marginaux en 2050). Et donc, sans avoir besoin de le dire, RTE choisit la voie médiane : développement limité des EnR (3 fois plus d’éolien, 8 fois plus de photovoltaïque) et 36% de nucléaire : 14 nouveaux EPR (une paire tous les 3 ans à partir de 2035) et près d’un tiers de réacteurs actuels prolongés.

Reste aussi à évaluer la pertinence économique des scénarios proposés. Là, RTE estime les coûts du nucléaire avec les chiffres d’EDF ou du gouvernement  – un EPR2 est estimé à 7 milliards d’euros malgré la dérive des coûts de l’EPR actuel, un démantèlement à 360 M€ alors que Fessenheim en est officiellement à 403 M€ – et relève les incertitudes liées aux EnR. Avec pour conclusion que  » Construire de nouveaux réacteurs nucléaires est pertinent du point de vue économique » tout en relevant  que compte tenu des incertitudes sur le taux de rémunération du capital, « le coût complet annuel varie de plus 35 milliards par an pour tous les scénarios, ordre de grandeur bien supérieur aux écarts dus aux proportions respectives de production renouvelable et de nucléaire« 

En conclusion, RTE présente une étude sérieuse, bien documentée, mais qui travaille d’abord sur l’offre (décidée par l’Etat à travers la PPE et la SNBC), sans trop s’inquiéter de la manière dont on peut arriver à cette offre, en mettant en priorité l’efficacité. Avec bien sûr, un recours évident  au nucléaire, puisque dans cet exercice imposé le nucléaire doit occuper une place prédominante.

NégaWatt : un projet politique complet sur lequel s’appuie l’Avenir en commun

Autant la problématique de RTE se base sur les décisions gouvernementales, autant le scénario négaWatt entend répondre sur les 17 objectifs de développement durable définis par l’Organisation des Nations Unies. C’est un scénario ambitieux que Jean-Luc Mélenchon reprend à son compte.

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NégaWatt se fonde sur 3 principes fondamentaux :

·         La sobriété d’abord. Il s’agit de s’interroger sur l’utilisation de l’énergie en visant la satisfaction des « besoins essentiels individuels et collectifs de l’énergie par des actions de sobriété (supprimer les gaspillages, contenir l’étalement urbain, opter pour des alternatives à la voiture, réduire les emballages, etc.) « 

·         L’efficacité ensuite : diminuer la quantité d’énergie nécessaire pour un même service

·     Le recours à terme aux énergies renouvelables, en raison de « leur faible impact sur l’environnement et leur caractère inépuisable ». Ce sont des énergies de flux (eau, vent, soleil, etc.) par opposition aux énergies de stock (fossiles ou nucléaire) aux réserves finies.

On le voit, par rapport au scénario de RTE dans lequel on cherche d’abord la neutralité carbone, elle est une conséquence d’un nouveau rapport à l’énergie dans le scénario négaWatt.

Contrairement aux scénarios RTE qui ne concernent que la partie électrique de la consommation énergétique, l’essentiel du scénario négaWatt se base sur des simulations concernant les différents aspects de l’activité et de la vie : mobilité et transports, bâtiments, industrie et biens de consommation, agriculture, sylviculture, alimentation, énergies renouvelables, énergies fossiles et nucléaire et équilibre du réseau (électrique).

Ces différents aspects sont parfaitement décrits dans la quinzaine de pages de synthèse du scénario négaWatt.

Pour ce qui en est du chapitre agriculture-sylviculture-alimentation, négaWatt est couplé au scénario Afterres2050 de Solagro. La grande nouveauté du scénario 2050 est l’introduction de négaMat pour « montrer comment et de combien réduire la consommation globale de matériaux primaires. »

Pour ce qui concerne l’énergie, les principales hypothèses incluent :

·         L’éolien avec un parc terrestre de 19 000 éoliennes (contre 30 000 en Allemagne) et 3000 éoliennes en mer

·         Le photovoltaïque avec des installations en friches industrielles ou délaissés impropres à l’agriculture, en plus des ombrières, toitures…

·         La biomasse solide, essentiellement des résidus de filières bois-matériaux. Il est à noter qu’il n’y a pas de sylviculture dédiée au bois-énergie

·         Le biogaz par la méthanisation, qui n’exige pas de terres dédiées à la seule production d’énergie

Quant aux énergies fossiles, elles s’effacent progressivement grâce aux transformations dans les différents secteurs : le chauffage des bâtiments, les transports routiers et le fonctionnement des industries.

Enfin, pour ce qui concerne le nucléaire, les 56 réacteurs actuels seront arrêtés au plus tard 50 ans après leur mise en service, dans des conditions garanties de sûreté et d’emploi. Par rapport à négaWatt 2017, ce délai de 10 ans sur la mise à l’arrêt des réacteurs est justifié par l’inertie actuelle du gouvernement pour ce qui concerne les fermetures prévues. Bien sûr, aucune nouvelle construction n’est envisagée, et l’EPR en construction actuellement est abandonné immédiatement.

En conclusion, la consommation énergétique a fortement baissé en 2050, est couverte à 96 % par des énergies renouvelables (il reste bien un peu de pétrole, mais pour des usages non-énergétiques), et le scénario négaMat  évalue une moindre consommation de matières premières, malgré une réindustrialisation : -76% de Fer et -84% de Cobalt, par exemple. 

Enfin, l’impact positif sur l’emploi a lui aussi été estimé : 250 000 emplois supplémentaires dès 2030 dans la rénovation des bâtiments (300 000 en 2040), 90 000 emplois dans le secteur des énergies en 2030 (135 000 en 2040). 

En conclusion, si le scénario négaWatt 2022 – couplé à Afterres2050 et négaMat permet d’arriver à une  transition sans révolution technologique ou sociale à un paysage « 100% renouvelables – 0% carbone », il repose sur un prérequis : la volonté politique. Au rebours du scénario RTE, pour lequel il s’agit d’abord de prolonger le passé en tentant de résoudre la crise climatique.

Volonté politique de changement ? Il faut se rendre à l’évidence qu’en France du moins, la problématique climatique se résume de fait au nucléaire… Il est clair, à la lecture du passé, que ce n’est pas à droite qu’il faut la chercher. Mais qu’en est-il des candidats dit de gauche ?

Pour ou contre le nucléaire ?

Fabien Roussel est favorable au « maintien du nucléaire », qu’il voit comme une « énergie pilotable et décarbonée ». Pour lui, nucléaire et hydraulique sont les bases de la solution. Il affirme que les énergies renouvelables ont un mauvais bilan carbone, ce qui est plus que discutable, et ont surtout le défaut de consommer des terres rares. C’est faux, le photovoltaïque n’en a pas besoin. Quant à l’éolien, la consommation de néodyme (pour les aimants de certains types d’éoliennes) reste largement minoritaire en comparaison des besoins des moteurs (essuie-glaces, vitres électriques, jouets…). Et au rythme actuel, il y a du néodyme pour les 1000 ans à venir ! En outre, Fabien Roussel, s’il parle de « maintien » se garde bien de parler du  remplacement éventuel des 56 réacteurs existants. Sauf pour parler de relancer le projet Astrid (successeur de SuperPhénix) arrêté en 2019 après 800 millions de crédits d’études depuis 2009, sans résultat. Sa méconnaissance du dossier apparaît criante.

Mis à part sa bêtise sur les zéro morts de Tchernobyl ou Fukushima, pour Arnaud Montebourg « le réinvestissement dans le nucléaire est inéluctable si on veut se débarrasser du pétrole. Cela passe par la construction de nouvelles centrales nucléaires ». Cela a au moins le mérite d’être clair. Ce qui l’est moins, c’est que cette relance ne passe pas « forcément [par] des EPR ». Comme la France n’a pas d’autre type de réacteur, et que au mieux les SMR (petits réacteurs modulables) ne seront disponibles qu’en 2040, cela veut-il dire que nos futurs réacteurs seront aussi étrangers que l’uranium qu’ils consomment? Et lorsque Montebourg parle de nucléaire, il semble oublier qu’il existe d’autres énergies, certaines même renouvelables (et gratuites).

Pour Anne Hidalgo, il faut sortir « aussi vite que possible » du nucléaire. Mais en se hâtant lentement : « sortir du nucléaire aussi vite que l’on va faire monter les énergies renouvelables », en rajoutant que comme la France n’est pas un champion en la matière (d’énergies renouvelables), il n’y a « pas un cap ou une date fixe » à estimer. Autrement dit : on en sort, mais on ne sait ni comment, ni quand…

Quant à Yannick Jadot, la sortie du nucléaire doit se faire en 20 ans, en investissant « massivement sur l’isolation des logements [et les] énergies renouvelables.  Et sa préférence va clairement en faveur du scénario « sobriété » de RTE, qui prévoit 100 TWh de moins que le scénario de référence. Mais ceci ne concerne que l’électricité (55% de l’énergie consommée, selon RTE). Quid du reste ?

Outre leur soutien ou leur refus du nucléaire, il faut bien reconnaître que ce qui rapproche ces candidats, c’est leur relative incapacité à comprendre l’on ne  pourra résoudre les problèmes climatiques et énergétiques sans sortir du contexte politico-économique actuel. Ce n’est pas une transition qui importe, mais un changement radical de perspective.

Et de ce point de vue, il est certain que seule la démarche négaWatt s’inscrit dans une telle perspective de changement. Il n’est donc pas étonnant que dès le 21 octobre Jean-Luc Mélenchon, dans un communiqué, confirme que « ce scénario [négaWatt] constitue la base de mon programme en matière de transition énergétique. Nous faisons nôtres les objectifs qu’il contient. » En précisant que « Je ne veux pas de blocage sur les dates. Mais je prends l’engagement de tout faire pour faire plus vite que le scénario 2050 face aux prévisions alarmistes sur le climat et à la menace que représente aujourd’hui l’énergie nucléaire. »

Jean-Marie Brom