L’extrême droite menace la République, on se réveille ?

Le climat est à l’orage en France. La tribune des militaires factieux et l’importance de la vague de soutien qu’elle a engendrée constitue une piqure de rappel pour tous ceux qui l’auraient oublié : l’extrême droite menace notre République. Le résultat de longs mois durant lesquels la majorité du champ politique et médiatique a préféré dénoncer un «islamogauchisme» imaginaire. Le résultat aussi de la stratégie d’Emmanuel Macron pour 2022. Les signaux se sont multipliés ces derniers mois : l’extrême droite est en roue libre dans notre pays. On se réveille ?

8000 militaires factieux, des soutiens et des silences qui en disent long

Nauséabond. Le climat dans notre pays pue franchement. Ce mercredi 28 avril 2021, durant toute l’après-midi, le #soutienauxgénéraux était en tête des tendances en France sur Twitter. En soutien à la tribune de 20 généraux publié dans le journal d’extrême droite Valeurs Actuelles appelant l’« intervention de [leurs] camarades d’active » pour mettre fin au « laxisme », dessinant «une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national ». Ces généraux soutenus par 1000 militaires désignent les adversaires : «l’islamisme», les «hordes de banlieues» , un «certain antiracisme» dont les représentants, «partisans haineux et fanatiques» veulent «la guerre raciale».

Un appel publié le 21 avril 2021. Soixante ans jour pour jour après la tentative du putsch d’Alger, le 21 avril 1961. Le message est fort. La rhétorique utilisée, celle de la guerre civile, et la cible dressée, les jeunes de banlieues et les islamogauchistes, ne laissent guère de place au doute. L’extrême droite se prépare. Elle compte ses forces. Les soutiens engrangés ces dernières heures sont nombreux. Ce sont désormais plus de 8000 militaires qui ont signé l’appel. Plus de 5000 militaires factieux en moins de 24 heures. Les soutiens venus de la droite du champ politique et médiatique se multiplient. Les silences en disent beaucoup également.

Il aura fallu cinq jours au gouvernement pour réagir par la voix timide de sa ministre des armées, Florence Parly. Deux jours auront suffit à Marine Le Pen pour appeler ces militaires factieux à la rejoindre dans sa « bataille » pour la France, se débarrassant au passage de sa stratégie de dédiabolisation, jugée surement devenue superflue face à l’explosion de l’extrême droite dans le pays. Seul Jean-Luc Mélenchon dénonçait dès le 24 avril la «stupéfiante déclaration de militaires s’arrogeant le droit d’appeler leur collègue d’active à une intervention contre les islamogauchistes. Il est temps de se mobiliser pour défendre les valeurs que ces gens piétinent». Et le leader des insoumis de passer à l’action face à l’apathie générale, convoquant une conférence de presse ce 26 avril pour annoncer la saisie du procureur de la République et tirer le signal d’alarme : « c’est la première fois depuis les évènements de la guerre d’Algérie qu’on voit en France des militaires à la retraite appeler leurs collègues d’actives pour rétablir je ne sais quelles « valeurs civilisationnelles », plutôt que les valeurs républicaines ».

Le résultat de la stratégie du duo LREM / RN

Comment a-t-on pu en arriver là ? Voilà le résultat de longues semaines où main dans la main le gouvernement, le Rassemblement national et la quasi intégralité du champ politique et médiatique, ont désigné l’«islamogauchisme» comme adversaire. Le sang de Samuel Paty avait à peine coagulé que le duo LREM & RN débutait ses procès en «islamogauchisme». Bien aidé par le silence de beaucoup et les accusations en «ambiguïtés» y compris à gauche. Le résultat de longs mois durant lesquels les différents ministres ont joué à faire monter l’extrême droite sur ses thèmes de prédilection, de l’«ensauvagement» au «séparatisme». Pas une semaine n’est passée sans qu’un ministre ne tente de monter en épingle une polémique comme sur les groupes de paroles non mixtes qui menaceraient la République et constitueraient la «pente vers le fascisme» selon Jean-Michel Blanquer. Voilà le résultat : les antiracistes sont devenus des «partisans haineux et fanatiques» qui veulent «la guerre raciale» et des militaires factieux appellent à prendre les armes pour les combattre.

Voilà le résultat quand on désigne l’«islamogauchisme» comme adversaire plutôt que l’extrême droite. Pire quand on choisit l’extrême droite comme alliée, reprenant ses thèmes de prédilections et son vocabulaire, en espérant la voir monter, pour mieux se poser en rempart «républicain» face à elle au second tour de l’élection présidentielle. Car c’est bien la seule stratégie du Président de la République pour se faire réélire en 2022 : se retrouver face à Marine Le Pen et agiter une nouvelle fois le chiffon rouge du vote barrage. Mais la stratégie est usée, comme en témoigne la Une de Libération du 28 Février dernier : « 2022 : j’ai déjà fait barrage, cette fois c’est fini ». Emmanuel Macron est devenu le meilleur trampoline à Marine Le Pen.

L’extrême droite en roue libre dans notre pays

Voilà le résultat quand la majorité du champ politique et médiatique concentre ses coups sur Jean-Luc Mélenchon plutôt que sur Marine Le Pen. Plutôt Hitler que le front populaire disaient-ils dans les années 30. La bête immonde est belle et bien réveillée, les signaux ne cessent de se multiplier. Le 29 octobre dernier l’Action Française déployait une banderole « Décapitons la République » en plein cœur de Paris. Ce même 29 octobre un militant de Génération identitaire tentait d’abattre un commerçant d’origine maghrébine à Avignon et des centaines de militants d’extrême droite défilaient au cri de « on est chez nous » à Nice. Le 4 juin dernier, jour des 7 ans de l’assassinat de Clément Méric, le café Le Saint Sauveur était attaqué à Paris. Le 20 mars, la libraire La Plume Noire à Lyon était une nouvelle fois attaquée par l’extrême droite. Ce 25 mars, l’Action Française s’attaquait au conseil régional d’Occitanie et déployait une banderole « islamo-gauchistes traîtres à la France ». Et ainsi de suite. L’extrême droite est en roue libre dans notre pays.

L’insoumission tire la sonnette d’alarme depuis des mois. Des néonazis gangrènent l’armée française, Mediapart faisait l’état de 50 nouveaux cas le 16 mars dernier. Vengeance Patriote, un groupuscule d’extrême droite inconnu des médias et du grand public, rassemblant 400 membres répartis sur l’ensemble du territoire, prépare ses membres au combat. L’insoumission vous a également révélé que des militants d’extrême droite se sont armés… dans l’objectif de ressusciter les milices d’Hitler. Fusil d’assaut, pistolets-mitrailleurs, revolvers, des centaines d’armes pour reconstituer une section d’assaut (SA), sur le modèle des SA d’Hermann Goering lieutenant d’Adolf Hitler, ont en effet été retrouvés chez 10 militants néo-nazis, mis en examen les 15 et 16 janvier dernier par le parquet de Paris pour « acquisition et détention non autorisée de matériel de guerre » et « association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un délit ». Les enquêteurs ont notamment retrouvé une dague ornée de croix gammées à l’effigie du IIIe Reich et des disques vinyles des discours d’Adolf Hitler datant de 1939 et 1940. Et ainsi de suite.

Mais les différents ministres et portes-paroles LREM préfèrent pointer l’«islamogauchisme». Peu importe que le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) ait rappelé que «l’ islamogauchisme n’est pas une réalité scientifique». Peu importe que la Conférence des Présidents d’Université (CPU) ait avertit que l’islamo-gauchisme n’est « pas un concept mais une pseudo-notion qu’il conviendrait de laisser, sinon aux animateurs de Cnews, plus largement, à l’extrême droite qui l’a popularisé ». Force est de constater que le gouvernement a repris le vocabulaire de l’extrême droite, et, ce faisant, ce dernier s’est répandu comme une trainée de poudre sur les plateaux. La zemmourisation médiatique n’est plus à démontrer. On en constate aujourd’hui le résultat : des milliers de militaires factieux reprennent à leur compte la rhétorique de la guerre civile et pointent « l’indigénisme« , « les théories décoloniales« , « les partisans haineux et fanatiques qui s’en prennent ( …) par le biais de statues, à d’anciennes gloires militaires et civiles« , « les hordes de banlieues » et « certains antiracistes » comme adversaire. La menace est écrite noir sur blanc : les militaires appellent à « éradiquer ces dangers« , faute de quoi se produira « une intervention de nos camarades d’active dans une mission périlleuse (…) de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national« .

On se réveille ?

Face à cette menace, outre les différents soutiens, la lenteur des réactions et le silence de certains en disent long. Au premier rang desquels, celui d’Emmanuel Macron. Le Président de la République, chef des armées, n’a toujours pas daigné réagir. Ceux qui se proclament à longueur d’année «républicain» dès qu’on leur tend le micro, sont bien moins prolixes que d’habitude. Heureusement, l’armée ne saurait être confondue avec cette minorité de factieux. La majorité des militaires dans notre pays est fièrement républicaine et ne saurait être être salie par ces pestiférés, comme l’a rappelé Jean-Luc Mélenchon, appelant les militaires républicains à faire revenir sur le chemin républicain leurs collègues égarés. Beaucoup n’ont pas oublié la naissance de l’armée républicaine, la victoire du peuple en arme contre les troupes royalistes coalisées.

Mais face à la menace que font peser ces militaires factieux soutenus par la candidate en tête des sondages, il serait temps que la société se réveille. Face à ce climat nauséabond, après plus d’un an d’un confinement dévastateur sur la santé mentale de plus en plus de Français, le pays a grandement besoin d’une respiration républicaine. Ce 1er mai peut-être l’occasion au peuple de se retrouver. Les insoumis appellent depuis plus d’un mois à une marche des libertés en riposte au climat nauséabond et à l’explosion de l’extrême droite dans le pays. Jean-Luc Mélenchon l’a rappelé ce 26 avril : « entre cette tribune de militaires factieux, le soutien de Mme Le Pen, les procès du gouvernement en islamogauchisme… Contre cette ambiance, nous avons besoin de l’affirmation d’une respiration républicaine» et a réitéré sa proposition d’une grande marche des libertés à l’ensemble de la société civile. Nous avons besoin d’un sursaut républicain. Pire que le bruit des bottes, le silence des pantoufles.

Par Pierre Joigneaux.