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Gavage d’argent public aux entreprises qui licencient : on continue sans contreparties ?

Les milliards déversés sur les entreprises sans aucune contrepartie ? C’est le projet du plan de relance du gouvernement. En pleine crise, des entreprises gavées d’argent public ne se cachent même plus pour licencier. Le groupe parlementaire de la France insoumise propose le conditionnement des aides à ce qu’il n’y ait aucun licenciement dans les entreprises qui font des bénéfices ainsi qu’une taxe sur les profiteurs de crise. Entretien avec le député insoumis Éric Coquerel publié par le journal Libération.

Bridgestone, Sanofi ou encore Nokia ont perçu des aides et annoncé des suppressions de poste ces derniers mois. Cela vous a-t-il surpris ?

Ça m’a choqué, mais pas surpris. Si on était surpris, ça voudrait dire qu’on l’est par l’échec de la politique de l’offre et de la compétitivité menée depuis des années. Notamment avec le CICE [Crédit d’impôt compétitivité emploi, ndlr] : il n’a pas créé d’emplois et était l’exemple même de dotations d’argent aux entreprises sans contreparties. Mais je suis choqué qu’en pleine crise, des entreprises bénéficiaires ne se cachent même pas pour faire des plans de restructuration sous prétexte de Covid. Ce capitalisme-là est vraiment sans gêne.

L’Etat est très généreux envers les entreprises. Est-il trop naïf dans sa manière de les aider ?

Non, accuser le gouvernement de naïveté serait trop gentil, et ce serait nous-mêmes être bien naïfs. Je me rappelle avoir demandé à Bruno Le Maire, il y a deux ou trois ans : «Comment vous comptez faire avec le CICE, avec tout l’argent que vous mettez, pour contraindre les entreprises à investir et créer des emplois au lieu de tout reverser en dividendes aux actionnaires ?» Sa réponse a été : «Le bon sens l’emportera.» Sauf que le bon sens, dans le capitalisme financiarisé, ça ne marche pas. A partir du moment où le critère de bonne santé d’une entreprise, c’est la rente, eh bien l’argent va à la rente.

Des mesures d’urgence comme le chômage partiel ou le fonds de solidarité pour les entreprises ne sont pas contestables

C’est vrai. Heureusement que l’Etat a mis en œuvre ces mesures d’urgence, c’est son rôle ! Mais on pourrait tout de même poser des conditions. Il y a d’abord des conditions de base, c’est-à-dire ne pas licencier en période de crise. Mais vous pouvez aussi décider que quand vous mettez des dizaines de milliards dans l’économie, ça sert à la réorienter vers la transition écologique. Quand l’Etat débloque autant d’argent, il a intérêt à assumer son rôle d’Etat stratège.

En septembre, Bruno Le Maire renvoyait à la discussion parlementaire pour intégrer des contreparties au plan de relance. Résultat ?

Il n’y en a pas eu. Les seules contreparties dont il parle, ce sont des «engagements». Mais ça n’a jamais un caractère obligatoire. Nous, on a fait des amendements sur la question du remboursement des aides avec coefficient multiplicateur. On a fait des amendements conditionnant les aides à ce qu’il n’y ait aucun licenciement dans les entreprises qui font des bénéfices. On a aussi proposé une taxe sur les «profiteurs de crise», c’est-à-dire les entreprises dont le chiffre d’affaires était supérieur de 5 % en 2020 à celui de 2019, de sorte que celles qui perdent beaucoup d’argent en bénéficient. Aucun de nos amendements n’a été accepté par la majorité En marche, bien sûr.

Donc ce qui reste, c’est un amendement adopté par la majorité qui prévoit une consultation des représentants du personnel, un suivi des émissions carbone et de l’égalité femmes-hommes

Oui, une «consultation» comme vous dites, et pour le reste, à certains moments, ça peut se transformer en pénalité si les entreprises sont vraiment hors des clous. Mais si on regarde les dizaines de milliards d’euros qui chaque année partent vers les grandes entreprises, tout cela est un leurre. Pour défendre les 20 milliards de baisses d’impôts de production, le gouvernement disait qu’il n’y a qu’en France que les entreprises sont aussi pénalisées. D’accord, mais il n’y a qu’en France qu’on reverse autant d’argent aux entreprises sans conditions. C’est ça la réalité.

Le gouvernement dira que dans le cadre des appels à projets les entreprises ne peuvent pas prétendre à des aides si elles ne prennent pas des engagements…

Oui, des engagements qui seront vérifiés dans plusieurs années, car ce sont des engagements sur des objectifs. Et vous verrez que dans plusieurs années, quand les objectifs ne seront pas atteints, ça ne donnera rien.