Jean-Luc Mélenchon était l’invité de BFM Politique ce dimanche 13 décembre, l’occasion de rappeler une de ses propositions phares : l’annulation des dettes publiques détenues par la BCE pour financer la bifurcation écologique. Une proposition soutenue par de plus en plus d’économistes. À contresens, le gouvernement vient de nommer une commission sur l’avenir des finances publiques. Sa composition ne laisse guère place au doute : le gouvernement prépare le retour de l’austérité. Pour faire face au défis du siècle, il est pourtant plus que jamais vital d’abattre le mur de la dette.
Comparer la dette avec la richesse produite sur une année : une absurdité pour nous faire peur
La question est plus que jamais à l’ordre du jour. La crise sanitaire du coronavirus s’est transformée en crise économique. Selon les prévisions de Bruno le Maire, la dette publique pourrait atteindre 119,8% % du PIB en 2020. Le gouvernement vient de mettre sur pied une « commission sur l’avenir des finances publiques » qui devrait rendre ses travaux fin février. Sa mission semble limpide : justifier le retour de l’austérité. Dès qu’il en a l’occasion, le ministre de l’économie rappelle en effet le poids de la dette publique, et ouvre notamment la porte au retour de la réforme des retraites. La dite commission aura à sa tête Jean Arthuis, ancien ministre de l’économie et des finances sous Chirac, gardien du temple de l’orthodoxie néolibérale, à l’image des neufs autres membres de la commission. Sa composition ne laisse hélas guère place au doute : le gouvernement prépare le retour des cures d’austérités.
Faisons cependant d’ores et déjà un rappel salutaire. Vous n’entendrez ça sur aucun plateau télé. Pourtant, comparer le montant de la dette publique et celui du produit intérieur brut n’a aucun sens à part essayer de nous faire peur. En effet, pourquoi évaluer le poids de la dette par rapport à une année de production ? Lorsque vous empruntez pour acheter un appartement, devez-vous rembourser votre emprunt en un an ? Non. Sinon vous n’auriez pas emprunté. C’est justement parce que les ménages ne le peuvent pas qu’ils empruntent. Pour les États, la durée moyenne de remboursement d’un titre de dette est de 7 ans et demi (et va même parfois jusqu’à 50 ans). Si on rapporte la dette publique à sa durée moyenne de remboursement, elle ne représente plus que 12 % de la richesse produite sur la période. Tout de suite, cela fait moins peur.
On nous rabâche les oreilles avec la dette publique, alors que les dettes privés sont beaucoup plus importantes. Et c’est bien d’elles que pourraient advenir une nouvelle crise financière. Les « experts » jouent à nous faire peur avec les dettes publiques pour une raison : justifier les politiques d’austérité. Alors même que le niveau des dépenses publiques et des dettes publiques ne sont pas liés. Des pays avec des taux de dépenses publiques élevés conservent de faibles dette publique. Et inversement. Ne nous laissons pas confisquer ce sujet par des pseudos « spécialistes ». Il s’agit bien de choix politiques.
L’annulation des dettes publiques détenues par la BCE : une question ancienne… d’une actualité brûlante
Les propositions d’annulation des dettes publiques ne datent pas d’hier. Depuis 2005, Jean-Luc Mélenchon en a fait l’un de ses principaux chevaux de bataille. De son célèbre débat contre Jacques Attali un soir d’avril 2013, à ses différentes interventions au Parlement européen ou à L’Assemblée nationale (ici, ici, là ou là), les prises de position du tribun sur le sujet ne manquent pas. Et elles ont le mérite de rendre accessible un sujet perçu comme technique et compliqué quand on est extérieur au champ politique et économique. Pourtant, nos vies en dépendent.
La proposition de Jean-Luc Mélenchon est simple : transformer la dette actuelle des États membres, détenue par la banque centrale européenne (BCE), en dette perpétuelle à taux nul. La BCE pourra ensuite augmenter sa politique de rachat des dettes publiques sur le marché secondaire pour les geler petit à petit. Avec l’inflation, les titres de dettes rachetés finiraient par fondre au fil des ans dans les coffres de la BCE. Cette opération ne nécessite pas de sortir des traités. Elle permettrait de débloquer 400 milliards d’euros pour la France et 2 000 milliards pour l’ensemble des États membres, soit le montant des dettes publiques détenues par la BCE.
Cette proposition réémerge dans le débat public. Elle devrait être le point de départ de tout programme économique sérieux. Quelle autre solution sérieuse ? La guerre ? Vraiment ? L’inflation ? La BCE a déversé des milliers de milliards d’euros sur les banques sans provoquer d’inflation. Les eurobonds ? C’est une dette mutualisée mais une dette… qu’il faudra payer quand même. Le défaut de paiement ? Le chaos. Aucune de ces propositions ne tient sérieusement la route. Disons-le clairement : personne ne payera la dette. Elle n’a jamais été remboursée dans l’Histoire quand elle atteint de tels montant.
La proposition d’annulation est d’ailleurs reprise dans le champ intellectuel. Plusieurs économistes l’appellent de leurs vœux : Alain Grandjean et Nicolas Dufrêne dans « Annulation de la dette publique : possible juridiquement, nécessaire économiquement », ou encore Gaël Giraud dans Le Point ou dans cette tribune parue dans le Monde. L’annulation des dettes rencontre également un fort écho dans le champ politique international. Plus de 300 parlementaires de 30 pays ont écrit à la Banque Mondiale et au FMI pour annuler la dette, dont Bernie Sanders, Alexandria Ocasio-Cortez et Jean-Luc Mélenchon. Même des ultralibéraux comme Alain Minc plaident pour la même solution que celle proposée par Jean-Luc Mélenchon.
Annuler les dettes : condition d’une véritable bifurcation écologique et sociale
Avec la crise économique engendrée par le coronavirus, deux options s’offrent à nous. Poser la dette comme seul horizon pour les jeunes générations, comme le dénonçait Jean-Luc Mélenchon ce dimanche 13 décembre. Passer nos vies respectives à rembourser la dette. Comme seul projet de société. Et réitérer les erreurs de 2008 en relançant les cures d’austérités et en s’entêtant dans le dogme néolibéral imposé par les traités européens. De ce point de vue, la décision de la cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe, a constitué un véritable coup de pression adressée à la BCE pour sa politique monétaire. Dès qu’il en a l’occasion, Bruno le Maire rappelle également le poids de la dette publique, et ouvre la porte au retour de la réforme des retraites et des politiques d’austérités. Signe de leur entêtement. Comme un CD rayé qu’on s’entêterait à refaire tourner.
Première option donc : l’entêtement dans l’idéologie du monde d’avant. Deuxième option : ouvrir une alternative, une bifurcation au modèle économique que l’on connaît depuis 30 ans. Lancer de grands plans de relance économique finançant la création de centaines de milliers d’emplois dans la transition écologique. Ce que proposait Jean-Luc Mélenchon avec le programme « L’Avenir en commun » durant la présidentielle de 2017. Ou bien sur le modèle du « Green New Deal », un plan ambitieux porté par Alexandria Ocasio-Cortez et Bernie Sanders aux États-Unis. À ne pas confondre avec le « Green Deal » rabougri porté par la Commission européenne, institution littéralement obnubilée par le dogme néolibéral qui détruit nos services publics. Un seul exemple : entre 2011 et 2018, la Commission européenne a demandé 63 fois aux États membres de réduire leur dépense de santé. Le coronavirus aura révélé une fois de plus l’absurdité de ce genre de politique sur le plan humain.
Deux bouffées d’oxygènes, deux voies de sorties de crise, de bifurcation, de changement de modèle, ont été présenté par le groupe parlementaire de la France insoumise à l’Assemblée nationale à l’occasion de sa niche parlementaire 2020. Une proposition de résolution pour une véritable bifurcation écologique, inspirée du Green New Deal d’Alexandria Ocasio-Cortez et Bernie Sanders, portée par Mathilde Panot et Danièle Obono. Une proposition de résolution déclarant la nécessité du rachat de la dette publique par la Banque centrale européenne, portée par Jean-Luc Mélenchon. La première ne pourra voir le jour sans la deuxième. Une véritable bifurcation écologique ne pourra advenir sans affronter la question de la dette. De face. Sans détour. Nous n’avons plus 5 ans à perdre. Le temps presse.
Par Pierre Joigneaux.